Face à "la mort annoncée des communes", les maires endossent l'écharpe noire
Partage des terres, le dilemme entre artisans et paysans
À La Séauve-sur-Semène et Dunières, les deux zones industrielles devraient s'agrandir pour faire place à de nouvelles entreprises. Problème, ces terres sur lesquelles les zones souhaitent s'avancer sont celles d'agriculteurs.
Soutenus pas la Confédération paysanne, le Réseau écologie nature et France Nature Environnement, les deux agriculteurs concernés dénoncent des méthodes peu scrupuleuses de la part des élus.
Didier Bert, d'abord, est agriculteur à La Séauve. Le projet de développement économique porté par la communauté de communes visant à agrandir la zone artisanale des Portes du Velay pour accueillir l'entreprise MOB-Outillage pourrait le priver de 8,5 hectares, soit 13 % de terres agricoles.
Une perte qui pourrait, selon lui, hypothéquer l'autonomie alimentaire de son troupeau et les chances de voir son fils s'installer sur la ferme. Et pour cause, ces 13 % de terres ne représentent pas moins de 25 % de sa production, donc de son revenu total.
Du côté de Dunières, c'est Didier Largeron qui dénonce la menace portée directement à la viabilité de son exploitation, puisque cinq hectares de terres labourables lui seront enlevés.
Précisions
Le fermage est un type de bail rural dans lequel un propriétaire, le bailleur, confie à un preneur, le fermier, le soin de cultiver une terre sous contrat.
Le droit de préemption est un droit légal ou contractuel permettant à son titulaire d'acquérir un bien en priorité lorsque le propriétaire manifeste sa volonté de le vendre.
La réserve foncière correspond à l'acquisition des terrains encore disponibles pour y ériger de nouvelles constructions dédiées à la réalisation de projets publics ou privés dans une zone d’activités économiques.
Des compensations insuffisantes
Dans un communiqué adressé à la presse locale, on lit : « Dans les deux cas, les élus profitent du fermage pour passer directement des accords avec les propriétaires des fermiers, tentatives de bafouer le droit de préemption, les agriculteurs subissent des pressions politiques et menaces, ne reçoivent que des propositions de compensation inadaptées, des indemnités d’éviction bien loin des réalités économiques des fermes, procédures d’expropriation… Malgré ces projets datés, aucune réserve foncière n'a été prévue, aucune animation foncière de programmée... »
La confédération paysanne et FNE rappellent ainsi que la perte d'usage d'une terre agricole est définitive. Et d'ajouter que « davantage d'artificialisation contribue toujours à précariser et faire disparaître des paysans. »
« Sans elles et sans eux, ce sont des territoires ruraux qui se désertifient, des espaces qui se banalisent, s’imperméabilisent et une production alimentaire qui s'effondre. » FNE et la Confédération paysanne
Le Duniérois, éleveur de vaches laitières, détaille sa position : « J'ai au total 38 hectares, dont 17 sont autour des bâtiments. Ils vont m'en prendre 5 pour agrandir cette zone artisanale, donc il ne m'en restera que 12, dont la moitié n'est pas mécanisable. L'exploitation est condamnée. »
Et de préciser : « J'ai eu des propositions au prix d'1,40 € le m² pour démanteler mon exploitation. Avec 2,5 € du m² pour le propriétaire. J'ai refusé, donc le dossier est actuellement entre les mains de l'Établissement Public Foncier (EPF). Pour ce qui est de la compensation, j'ai transmis à la Chambre d'agriculture l'ensemble de mes justificatifs de revenus, ce qui aurait dû permettre d'évaluer l'impact de la perte de l'exploitation. »
Pour Didier Bert, l'éleveur ovin de La Séauve, la situation est semblable : « On me propose uniquement l'indemnité réglementaire, mais ce que j'attends, c'est une compensation de terrain. Identique au moins en surface, et à peu près en qualité. Parce que quand on aura reçu l'enveloppe, il nous manquera toujours notre terrain, donc de la nourriture pour nos animaux ainsi que du revenu. »
« On fait confiance en nos chambres d'agricultures pour nous aider, mais au contraire, elles nous enfoncent. » Didier Largeron
Au fil de la discussion, le premier agriculteur évoque des manipulations douteuses, de la part des élus à l'origine du projet : « La personne qui s'en est chargée n'a évalué que l'impact de la perte de ces cinq hectares sur mes revenus, ce qui donne une somme dérisoire. Mais ce n'est pas sa faute, je suis sûr qu'elle a reçu des pressions. On fait confiance à nos chambres d'agriculture pour nous aider, mais au contraire, elles nous enfoncent. »
« Je parle du président de la Communauté de communes, Bernard Souvignet. C'est lui qui paie l'EPF, donc c'est lui qui commande. Et puis, à la chambre d'agriculture, ce ne sont que des dessous, des magouilles. C'est une mafia, dont il faut faire partie pour ne pas être délaissé ». Didier Largeron
Face à ces accusations, nous avons contacté le principal intéressé, Bernard Souvignet, qui dément ainsi : « La communauté de communes a voulu régler ce problème à l'amiable. Ne trouvant pas de solution, nous avons confié ce dossier à l'EFP. Je démens ces remarques. »
« La solidarité paysanne n'existe plus du tout. On est seuls, et on se sent abandonnés. » Didier Bert
Didier Bert, le second agriculteur touché par l'extension d'une zone artisanale, à La Séauve, le rejoint et évoque des faits similaires : « Je sais que de hautes personnalités de la FNSEA et de la Chambre d'agriculture ont participé à la CDPENAF ( la Commission de Préservation des Espaces Naturels, Agricoles et Forestiers est un des outils de la stratégie de lutte contre l'artificialisation des terres agricoles) qui a validé le projet. Notamment le président de la Chambre Régionale, Gilbert Guignan, qui habite à La Séauve. »
Plus que de la colère, c'est de la déception qui s'entend dans la voix de l'éleveur : « Les personnes qui soutiennent ce projet, et la fin de nos exploitations sont, pour certains, d'anciens agriculteurs. La solidarité paysanne n'existe plus du tout. On est seuls, et on se sent abandonnés. »
Didier Largeron complète : « La Chambre d'agriculture est censée aider les agriculteurs, mais ça dépend quel type d'agriculteur. On voit bien par qui elle est gérée : si vous ne faites pas partie de la Fédération, si vous n'êtes pas syndiqué, ils vous ignorent complètement. »
Ô désespoir
Face aux propositions dérisoires des élus pour le rachat des terres agricoles sur lesquelles ils travaillent, Didier Bert et Didier Largeron ont tous les deux entamé des procédures. Tous deux sont pour autant pessimistes quant à leur avenir.
Le premier souligne d'ailleurs : « Quand il vous manque 20 % de votre chiffre d'affaires, ça coince forcément, tôt ou tard. Un commissaire enquêteur va donner des conclusions en septembre. Le classement en urbanisme va se poursuivre et après le classement, le Préfet va certainement m'exproprier ou résilier mon bail. »
Et le second, lui, annonce : « Je suis sûr de perdre, mais mon exploitation est finie. Ça fera un agriculteur en moins. Ils ne se rendent pas compte. J'ai une famille à charge. Ça fait depuis 2018 que je suis dans cette situation, et je me sens plus qu'abandonné. Comment voulez-vous que je gère une exploitation si je sais qu'elle n'a pas d'avenir ? Ils m'auront à l'usure. »
« On vient nous voler nos terres agricoles, notre outil de travail. C'est une honte. » Didier Largeron
Et il détaille que « dans quelques mois, l'EPF émettra une proposition, qui sera évidemment ridicule. Je la refuserai, donc il y aura une expropriation, puis l'affaire ira dans les tribunaux. Cette offre, je ne l'accepterai pas, parce qu'on est ridiculisés. On nous prend pour des moins que rien, des mendiants. Je ne me laisserai pas faire, au cas où cela servirait à d'autres par la suite ».
Face à cette situation, il explique que, pour continuer de nourrir sa famille, et permettre à son fils de faire des études à la faculté de Saint-Étienne, il se verra contraint de cumuler deux emplois jusqu'à la fin de cette affaire, puis de travailler dans une usine ensuite.
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2 commentaires
On détruit le climat, la biodiversité. On raréfie les ressources en eaux. On artificialise les sols... bref on crée toutes les conditions du chaos pour nos enfants, par égoïsme, par amour du pognon, par logique capitaliste. Tant pis si nos euros prociquerons souffrance , désolation, on aura un tas d euros, ça vaut bien la fin de la.cie humaine sur terre !
La sécurité alimentaire d'un territoire doit primer sur tout le reste, même dans une région comme la nôtre, qui importe l'essentiel de sa nourriture. Aujourd'hui, quand on parle de "sécurité", on pense à la délinquance, mais pendant des siècles et des siècles, la priorité numéro un était la sécurité alimentaire. Le jour où les supermarchés ne sont plus approvisionnés en malbouffe industrielle plastifiée par des norias quotidiennes de camions, que mangeront les Altiligériens ? Les "circuits courts" ne nourriraient quasiment personne. Priorité aux besoins fondamentaux, c'est-à-dire la nourriture : préservons les terres agricoles.