50 aînés réunis autour d'un repas qui respire la convivialité au Monteil
Veine Verte : À pied par l'Aubépin (Opinion)
Il est chez nous des noms qui gouleyent à l'oreille, "des mots si jolis qu'on les voudrait avec des joues pour les embrasser", comme disait Jules Renard. Le Pontajou, le Lioussel, la Louade, le Bourbouilloux, la Gazeille… Séjallières, Ninirolles, Marmaille, Ramourouscle, Foumourette...
Qu'est-ce que Veine Verte ?
L'environnement qui nous entoure et qui nous est cher - celui de la Haute-Loire - nous l'évoquons ici, de manière engagée, comme chaque fin de mois, dans notre chronique Veine Verte. Cette tribune d'opinion n'a pas vocation à représenter l'avis de la rédaction.
L'Aubépin est de ceux-là. D'autant qu'il évoque l'aubépine, l'arbuste aux fleurs délicates (et aux cenelles rouge sang comestibles), immortel symbole de l'amour courtois qui, de Ronsard à Clément Marot, fut célébré et chanté par tous les poètes du temps jadis.
L'Aubépin, chez nous, ce sont des gorges passablement encaissées au fond desquelles serpente une rivière miniature, presque un pipi de chat. Pour les arpenter, on pourra bien sûr chausser ses godillots et opter pour les chemins de chèvre qu'on devine dans la végétation ici ou là (on pourrait les chercher longtemps sur une carte d'état-major, ils n'y figurent pas !). Sinon, il y a une petite route, qu'on croirait tracée par un poète ou par un suppôt de Bacchus tant elle dessine d'arabesques. C'est là que des jeunes du pays en mal de sensations viennent se faire des frayeurs au volant de leurs puissants bolides (gare aux pneus lisses !). Pour notre part, nous cheminerons pedibus cum jambis…
La promesse du Mézenc
La vallée offre au regard du promeneur des bosquets riants mêlés de landes à genêts rocailleuses baignées de soleil, et ponctués çà et là de fières aiguilles de granit. C'est la chasse gardée du circaète (l'aigle à tête de chouette dont nous avons déjà brossé le portrait) et de l'aigle botté. À peine plus gros qu'une buse, mais en plus "classe", ce dernier se reconnaît à son plumage velouté et aux macules noires à ses poignets.
L'Aubépin, c'est aussi la promesse du Mézenc, que l'on aperçoit au loin et vers lequel nos pas nous guident inexorablement. Sur l'amont, à l'aplomb de Moudeyres, les gorges gagnent encore quelques degrés de sauvagerie. Sous des orgues basaltiques gardées par un imperturbable hibou grand-duc, le ruisselet s'escamote à la vue, noyé dans un profond maquis d'où remontent le soir des renards et des chevrettes. C'est là aussi qu'on pourra voir bondir, si l'on a de la chance, le chat sauvage, reconnaissable à son poil bourru, à sa fameuse raie noire qui lui court sur l'échine, à son air maussade et à sa queue touffue…
Les deux premières strophes de "Bel Aubespin", poème de Ronsard
Bel aubespin verdissant,
Fleurissant
Le long de ce beau rivage,
Tu es vestu jusq'au bas
Des longs bras
D'une lambrunche* sauvage.
Deux camps drillantz de fourmis
Se sont mis
En garnison soubz ta souche ;
Et dans ton tronc mi-mangé,
Arrangé,
Les avettes ont leur couche.
* lambrunche = vigne
* avette = abeille
Sauvés par les gorges
Parallèle à l'Aubépin, il y a la Gagne. Deux rivières, deux mondes. Enrésinée au forceps il y a deux siècles, la Gagne est noire, homogène et austère, parsemée de pitons rocheux auxquels s'accrochent des écharpes de brume en hiver. C'est le royaume de la martre, de l'autour, du pic noir et du chat-huant. Elle est impénétrable, et c'est précisément ce qui fait son charme et sa magie. Avec cet avantage sur l'Aubépin qu'elle n'est scarifiée d'aucune route. C'est là qu'on pourra échapper au brouhaha de la vie parmi les hommes pour redécouvrir les bruissements de la vie sauvage.
Qu'elles soient Aubépin, Gagne, Semène, Sumène, Loire, Arzon, Méjeanne ou Allier, ce sont les gorges qui sauvent le département. À elles seules, elles forment un patrimoine naturel étourdissant. Sans les gorges (que certains élus rêvent de "valoriser", ne supportant pas l'idée que certaines poches de nature échappent à l'emprise du dieu Argent), les tentacules de bitume et de béton seraient, sans l'ombre d'un doute, omniprésents. Puissent-elles résister à nos assauts longtemps !
Oumpah-Pah
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