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Veine verte : Verdun dans les sous-bois (OPINION)
----Cette tribune d'opinion n'a pas vocation à représenter l'avis de la rédaction.-----Nous vivons dans le passé. Dans quelques années, de force ou de gré, le monde aura changé. Plus personne ne consommera d’aliments ultratransformés importés d’on ne sait où. Plus personne n’achètera de jouets ou de gadgets venus de l’autre bout du monde. Plus personne ne cèdera aux sirènes du tout-technologique et tout-électrique. Plus personne ne restera dans une banque qui place l’épargne de ses clients dans des projets polluants. Plus personne ne prendra l’avion pour un oui ou pour un non. Plus personne ne retournera le sol ni ne traitera les cultures avec des billes de chimie. Plus personne ne fera de monoculture forestière…
Verdun 2.0
Un sol sens dessus dessous, méconnaissable, des ornières gigantesques, presque vertigineuses, des amas de branches décharnées, des giclées de boue sur un arbre esseulé… pour un peu on s’attendrait à voir émerger du chaos le cadavre d’un poilu. Nous ne sommes pourtant pas dans les tranchées de Verdun en 1916, nous sommes dans une plantation de douglas du département aujourd’hui. Tous les randonneurs et promeneurs du dimanche sont déjà tombés un jour sur une coupe rase en Haute-Loire. Une scène de désolation devant laquelle on passe en vitesse, en se disant que, de toute façon, on ne peut pas y faire grand-chose, que c’est le « système » qui veut ça… Même si, quelque part, le tréfonds de l’âme est ébranlé…
Quand l’Homme a découvert la chasse, il a entrepris d’exterminer tout ce qui l’entourait (comme on n’était pas encore bien nombreux, ça passait). Quand il s’est lancé dans l’agriculture, voilà 10 000 ans, il a commencé à labourer, sans se rendre compte alors qu’il décapitalisait, puisqu’il favorisait l’érosion et tuait la vie du sol sous ses pieds (comme on ne labourait pas encore bien profond, ça passait). Quand il s’est lancé dans la sylviculture, rebelote : on sait que les Celtes en leur temps dégradaient déjà sérieusement la forêt (comme on n’avait pas encore de machines surpuissantes qui abattent, ébranchent et billonnent un arbre en moins d’une minute, ça passait)…
De même que l’on commence (depuis 60 ans !) à comprendre tout le mal que peuvent occasionner les machines, la monoculture et la chimie sur le sol en agriculture, on sait que les mêmes causes produisent les mêmes effets dans les forêts, réduites au triste rôle d’usines à bois, comme si la Terre était une mine à ciel ouvert.
Un siècle pour restaurer un sol compacté
Si un être humain est composé à 65 % d’eau, un sol forestier naturel (non dégradé par l’Homme), lui, est composé majoritairement... de vide, étant brassé en permanence par toutes sortes de micro-organismes (une forêt peut vivre sans oiseaux et sans mammifères, mais pas sans micro-organismes). C’est donc peu dire que les engins forestiers font du dégât – notamment sur les racines en les asphyxiant et sur les gigantesques réseaux mycorhiziens, ces champignons qui mettent en communication directe tous les végétaux d’un sous-bois (l’Internet de la forêt, en somme). Résultat, un sol compacté par un de ces engins mettra près d’un siècle à se reconstituer (pour restaurer une forêt primaire dans son ensemble, comptez-en sept). Si l’idée d’un retour au débardage animal fait sourire à l’heure de la technologie triomphante, elle n’en correspond pas moins à une gestion douce de la forêt et à un désir de sobriété qui est dans l’air du temps. Le vif succès de livres comme "Plaidoyer pour l’arbre" de Francis Hallé ou "La vie secrète des arbres" de l’Allemand Peter Wohlleben en témoigne.
L’ère de la forêt géométrique
Le Mézenc est ici un cas d’école. Avant la campagne d’enrésinement lancée sous Napoléon III, notre mont Fuji était râpé comme une lande bretonne des monts d’Arrée. Le surpâturage ovin, couplé à la pratique du dégazonnement (on se chauffait alors comme on pouvait), a fini par mettre la terre à nu, funeste erreur entraînant un phénomène de ravinement et donc de graves inondations en aval. Décision fut prise de boiser les reliefs du vieux fauve accroupi. L’époque étant hélas toute dévolue à l’industrie (et à la « science sans conscience »), on opta pour la monoculture. Le résultat fut, comme un peu partout ailleurs dans le département, une forêt géométrique et sans charme ni vie, compacte, monotone, et souffreteuse tant qu’à faire, les essences sélectionnées ne prisant guère la rude météo de ces hautes terres.
On sait aujourd’hui que, pour être bien portante et résiliente face au dérèglement climatique, une forêt doit être la plus diversifiée possible (pour en trouver en Haute-Loire, il faudra se lever tôt, en regardant du côté de la Margeride, peut-être…). Les scientifiques nous ont aussi appris que, plus une forêt est ancienne, plus elle stocke de carbone (surtout dans le sol), alors que la tendance actuelle est de couper les arbres de plus en plus jeunes. Ils nous ont appris également que les arbres vivaient en famille et qu’il existait même des liens d’entraide, par l’entremise des champignons toujours, entre des essences différentes et entre les générations (les vieux arbres nourrissent les jeunes qui n’ont pas accès à la lumière et, inversement, les spécimens vigoureux aident les plus cacochymes à tenir le coup), contrairement aux monocultures où l’Homme induit une concurrence artificielle entre des sujets tous identiques.
Panne de sonnette
Comme dans l’agriculture, il semblerait que ce soient surtout des non-professionnels qui tirent la sonnette d’alarme (depuis des lustres… c’est à se demander si la sonnette n’est pas en panne, songez à la biologiste américaine Rachel Carson, qui avait prédit la disparition actuelle des insectes à cause des pesticides dans son livre « Printemps silencieux »… sorti en 1962 !) et dénoncent une approche comptable, mécanisée, technicienne, « phytosanitaire » de la nature, appelant à un changement radical des pratiques qui tienne véritablement compte des sols, de l’eau et de la vie (de la beauté en somme !), en se détournant des machines, du pétrole et de la chimie.
À l’échelle individuelle, que faire ? Les amoureux des arbres comme Peter Wohlleben recommandent en premier lieu de limiter sa consommation de bois pour ne pas encourager cette industrialisation du vivant. On peut aussi, si l’on est soi-même propriétaire forestier, tendre vers la forêt naturelle en favorisant la diversité des essences, en privilégiant les feuillus (les résineux acidifient le sol et résistent mal à la sécheresse, étant originaires de régions où ils n’en souffrent pas) et bien sûr en bannissant la machine. À plus petite échelle, pourquoi ne pas créer chez soi une mini « forêt-jardin », un séduisant concept à la mode qui consiste à concentrer sur plusieurs étages de végétation des essences comestibles et rustiques, des couvre-sols (fraisier, pourpier, ail des ours…) aux arbres les plus opulents (noyer, châtaignier…) en passant par les petits buissons (cassis, groseille…), les arbustes (goji, éléagnus…), les petits arbres (pommier, poirier…) et les lianes (vigne, kiwi…) ?
Oumpah-Pah
>> Précédemment dans Veine Verte :
Éloge permacole (24 avril 2018)
Requiem pour une poubelle (25 mai 2018)
Ode à nos paysages (28 juin 2018)
Oui-Oui et l'Éolienne magique (19 septembre 2018)
Retour à la case marché (22 octobre 2018)
Le chasseur de serpents (22/11/2018)
Un verger pour royaume (21/12/2018)
Zones humides au régime sec (19/01/2019)
Simple comme un reste au compost (20/02/2019)
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