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Veine Verte : L'adieu au saumon (Opinion)
----L'environnement qui nous entoure et qui nous est cher -- celui de la Haute-Loire -- nous l'évoquons ici, de manière engagée, comme chaque dernier vendredi du mois, dans notre chronique Veine Verte. Cette tribune d'opinion n'a pas vocation à représenter l'avis de la rédaction.-----Au total, on dénombre une petite quinzaine de saumons seulement en amont de Prades. Pire encore, on ne voit pas l'ombre d'un tacon - ces jeunes saumons qui passent normalement de un à trois ans dans la rivière avant de redescendre vers l'Océan... Sans doute ont-ils été asphyxiés par les vidanges du barrage de Poutès. Le point de non-retour semble donc atteint. Reste une question : qui s'en soucie ?
Localement, les causes du crépuscule de cette espèce millénaire sont connues. Il y a le barrage de Poutès, d’abord, qui a empêché les saumons de regagner leurs frayères historiques pendant des décennies et dont les vidanges de fond – malgré l’arasement récent de l’ouvrage – ensablent le lit de la rivière, colmatent les frayères et troublent les eaux (les normes de turbidité sont respectées, nous dira-t-on… mais que valent ces normes ? Les anciens ne reconnaissent plus l’Allier cristallin de leur jeunesse). Les perches et les brochets "chimiques" lâchés à Naussac, ensuite, qui écument la rivière et déciment les alevins. Les montagnes de boues visqueuses engendrées par l'action des bulldozers dans le lit du cours d'eau (à Monistrol d'Allier, la quantité de boue était telle qu'il a fallu interdire l'accès à la rivière). Les pneus vagabonds qui parsèment les gorges par centaines et distilleront pendant des siècles leur poison mortel, comme dans toutes les rivières de France et de Navarre (combien de milliers de ces répugnants donuts sont en train de moisir en aval du Puy, au fond de la Loire ?). Les intrants agricoles, bien sûr, ammonitrates en tête. Certains observateurs pointent également du doigt la zone industrielle de Langogne et les eaux de lavage des salles de traite, charriant des produits agressifs qui se retrouvent par négligence dans les anciens ruisseaux à truites du bassin versant (les anciens se souviennent des pêches miraculeuses de jadis !) et donc, in fine, dans les eaux de l’Allier. Ouh là, mais c'était bien pire avant, entend-on souvent répliquer, il y a eu des progrès ! Nous posons la question : en quoi la disparition du saumon de l'Allier est-elle le signe d'un quelconque progrès ?
Les avantages sonnants et trébuchants de la pollution
Pourquoi nos rivières sont-elles polluées (officiellement, la qualité des eaux de Haute-Loire est « optimum », mais il suffit de mettre le nez dessus ou d’en observer la faune pour comprendre qu’il y a comme un hic) ? Parce qu’une rivière propre n’intéresse personne, ou en tout cas pas les décideurs – une rivière propre ne sert à rien dans leur vision du monde, car elle ne fait pas tourner l’économie (l’économie ne tourne que quand l’argent tourne). Une eau polluée, en revanche, fait grimper le PIB trois fois : une première fois quand les déchets et les effluents (ménagers, agricoles, industriels…) la contaminent (il y a nécessairement eu circulation d’argent pour produire ces déchets) ; une deuxième fois quand il faut aller chez le médecin pour soigner les diverses maladies causées par la contamination (deuxième échange d’argent) ; une troisième fois lorsqu’il faut faire appel à des laboratoires d’analyse et à des structures spécialisées pour traiter cette eau souillée. Et tant pis pour les amoureux de la nature : on ne badine pas avec le PIB.
Pourtant, si elles étaient propres et poissonneuses, les eaux de l’Allier pourraient être une source de revenus très valorisante. Il n’est qu’à voir les énormes retombées financières générées par la réintroduction du vautour sur les grands Causses, ou par la protection du lac de Der, en Champagne (redevenu le royaume des échassiers). Souvenons-nous encore de l’époque pas si lointaine où des pêcheurs venaient des quatre coins de l'Hexagone, et même d’Écosse (mais oui, d’Écosse, le pays du saumon !), pour se frotter au roi des poissons dans l'onde alors limpide de l’Allier. Notre salmo salar était réputé pour son tonus et sa combativité, gages de parties de pêche endiablées !
Comment sauver (pour de vrai) le saumon de l’Allier ?
Réponse courte : effacer les barrages (l’arasement n’est évidemment pas suffisant), traquer toutes les sources de pollution sur le bassin versant, interdire l’agriculture intensive et la pêche industrielle en mer, stopper l’acidification des océans, convertir la population au "zéro déchet" et à la permaculture, revenir à la sobriété énergétique de nos grands-parents, inciter les gens à manger bio et local (et surtout pas du saumon chimique gavé de colorants, comme à Noël chez belle-maman - à ce propos, est-il bien logique de manger du saumon d'élevage de Norvège en Haute-Loire, le pays du saumon sauvage ?), etc. En un mot, changer radicalement de modèle économique, sur l'ensemble du territoire. Voilà pour la réponse honnête.
La réponse des décideurs est différente et se veut pragmatique : il s’agit de ménager la chèvre et le chou, de se plier à la fameuse dictature du compromis. Et donc de s’occuper superficiellement de la question (arasement de Poutès, salmoniculture de Chanteuges, programmes d’alevinage et de suivi… à grands renforts de coups de com' et de panneaux touristiques, bref, l’approche cosmétique habituelle chère à nos politiques), mais sans toucher au fond, et donc à l’économie (c’est qu’EDF en a fait travailler, du monde dans les gorges de l’Allier, et puis n’oublions pas que la nature doit se soumettre à la volonté de l’Homme, tout de même !). En somme, on veut bien se soucier du saumon, mais sans renoncer aux barrages, à la pêche industrielle en mer, à l’agriculture intensive, aux rayons surgelés des supermarchés, aux vacances dans les îles, bref à tout ce qui dégrade le milieu naturel. C’est la méthode actuelle, celle qui condamne le saumon à une mort certaine, celle qui fait de l’Allier un royaume des eaux noires peuplé de fantômes. Celle qui refuse la radicalité, même si la radicalité est la clé de la survie du saumon (et de la nôtre, in fine).
Si des extra-terrestres débarquaient sur Terre et faisaient le tiers du quart de ce que nous faisons subir à ce minuscule petit pois qui nous sert de planète (extermination des insectes et des oiseaux, contamination de l’air et de l’eau de pluie, décimation des rivières, invasion des machines et de la chimie…), que ferions-nous ? Nous prendrions les armes, sans hésiter, comme un seul homme.
Si les derniers saumons de l’Allier pouvaient parler, que diraient-ils ? Ils nous diraient peut-être de mettre des naturalistes et des poètes à la place des élus gestionnaires en poste. Parce que la vie, comme nous le comprendrons sans doute bientôt, mais peut-être trop tard, passe avant l’économie…
Oumpah-Pah
Précédemment dans Veine verte
Requiem pour une poubelle (25 mai 2018)
Ode à nos paysages (28 juin 2018)
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