Veine verte : Le chasseur de serpents (OPINION)

, Mise à jour le 27/11/2020 à 08:55

----L'environnement qui nous entoure et qui nous est cher -- celui de la Haute-Loire -- nous l'évoquons ici, de manière engagée, comme chaque dernier vendredi du mois, dans notre chronique Veine Verte. Cette tribune d'opinion n'a pas vocation à représenter l'avis de la rédaction.-----La Haute-Loire est une terre de rapaces. Plus qu'une terre, c'est un bastion. Les rapaces, merveilles de l'évolution, sont presque tous menacés de disparition, à de rares exceptions près, dont notre fameux "mouchet" (le petit faucon crécerelle qui papillonne inlassablement au bord des fossés).
Il fut un temps où l'on trouvait de l'aigle royal en plaine, du vautour aux quatre coins de l'Hexagone et du pygargue à queue blanche (l'aigle symbole des Etats-Unis !) dans la plupart des régions de France. C'était avant qu'homo sapiens – qu'il serait peut-être temps de rebaptiser homo debilus – ne se dote de moyens de destruction perfectionnés. Car, de tout temps, l'Homme a cherché à détruire les animaux : des études récentes montrent que, depuis la préhistoire, à de rares exceptions près et contrairement à ce que beaucoup pensaient, l'Homme a toujours fait le vide autour de lui.
Jusqu'au début du XXe siècle, une littérature qui n'avait de scientifique que le nom a présenté la plupart des animaux sauvages, les prédateurs surtout, comme des créatures viles et sanguinaires auxquelles il fallait à tout prix "faire la peau". Le Chasseur Français, célébrissime revue éditée par la Manufacture d'Armes et de Cycles de Saint-Etienne, a longtemps proposé, au milieu de ses croustillantes annonces de jeunes filles à marier, des publicités pour des pièges à loutres, à loups, à chats-huants, à orfraies, le tout "made in Saint-Étienne". Ajoutez à cela le prix des fourrures et la vogue des trophées, et vous obtenez une extermination de masse dont il subsiste parfois quelques relents dans les mentalités, les oiseaux de proie n'étant pas toujours, encore aujourd'hui, en odeur de sainteté.

> Lire aussi : Où sont passés les oiseaux des champs ? (20.03.2018, Journal du CNRS)

La Haute-Loire sauvée par sa géologie
Grâce à sa diversité géologique et à des reliefs torturés qui empêchent les monocultures industrielles et la destruction totale par les aménagements, la Haute-Loire fait l'envie de nombreux ornithologues pour ses populations de rapaces. Le milan royal, reconnaissable entre mille à sa queue fourchue, son vol virevoltant et ses couleurs chamarrées, est encore bien présent dans le département, alors qu'il a disparu presque partout ailleurs. Le faucon pèlerin, une espèce ô combien fragile, se maintient cahin-caha (20 couples environ chez nous) après avoir frôlé l'éradication dans les années 1970, à cause notamment des destructions volontaires et de la pollution agricole. Le busard cendré n'a pas totalement disparu non plus malgré le ratatinement progressif de ses milieux de vie (l'oiseau niche au sol !).

Un aigle amateur de serpents
Et puis il y a l'indéboulonnable Jean-le-Blanc, l'aigle qui fait l'émerveillement de tout Altiligérien qui sait de temps à autre lever au ciel un œil. Une silhouette majestueuse qui le classe d'emblée parmi les aigles, une coloration blanc-crème sous les ailes qui le rend immédiatement identifiable, une tête mastoc et aplatie sur le devant qui lui donne parfois un air de chouette, de gros yeux ronds dont on croirait qu'ils sont faits d'or pur, et une aptitude au vol stationnaire (on dit qu'il fait "le Saint-Esprit") qui laisse pantois pour une telle masse. Si l'oiseau a échappé en partie à la destruction, c'est parce qu'il a plutôt bonne réputation... et pour cause : il se nourrit essentiellement de reptiles, qu'il chasse à l'affût dans les airs, la tête parfaitement immobile, jouant des ailes, des pattes et de la queue pour se stabiliser au-dessus des landes rocailleuses : un circaète faisant le Saint-Esprit sous un ciel d'orage dans les gorges de la Gazeille ou de l'Allier, c'est le plafond de la chapelle sixtine qui prend vie sous vos yeux émerveillés…

----Un des grands spécialistes du circaète est l'Altiligérien Bernard Joubert, auteur d'une très bonne monographie sur le sujet : "Le Circaète Jean-le-Blanc", éditions Éveil Nature, 2001.
-----L'art de faire son nid
D'une ponctualité proverbiale, l'oiseau, qui est migrateur, surgit dans l'azur altiligérien le 15 mars (à 15 heures, plaisantent les ornithologues) et repartira le 15 octobre pour l'Afrique subsaharienne, où il croisera d'autres circaètes de proche parenté. Entretemps, il aura construit chez nous son nid, étonnamment petit, dans les ramures hautes d'un pin sylvestre, quelque part dans un vallon, à l'abri des regards. C'est le mâle qui en choisit l'emplacement, non loin généralement de celui de l'année précédente. Pour marquer son aire à l'adresse de concurrents éventuels, il dresse ses deux ailes d'un blanc immaculé à la verticale : on dit alors qu'il "fait l'ange", et c'est pur ravissement que d'assister au spectacle. De l'union du mâle et de la femelle naîtra un seul petit, qui aura longtemps cet air un peu ahuri qui fait la joie de l'observateur (bien camouflé et muni de bonnes jumelles, s'entend, car il ne faut jamais approcher d'un nid, quelle que soit l'heure).

En ces heures noires où la faune sauvage recule partout sous les coups de boutoir de l'urbanisation galopante, du dérèglement climatique (les canicules tuent les oisillons au nid), des pesticides qui perturbent la chaîne alimentaire, du dérangement qui sévit partout, de l'industrialisation des paysages, dans des ciels de plus en plus vides où ne résonne plus que le bourdonnement lointain des avions, le circaète, figure quasi-christique, apparaît comme une lueur d'espoir…

Vivement le 15 mars prochain, 15 heures !

Oumpah-Pah

>> Précédemment dans Veine Verte :

Stop ou encore ? (30 mars 2018)

Éloge permacole (24 avril 2018)

Requiem pour une poubelle (25 mai 2018)

Ode à nos paysages (28 juin 2018)

Oui-Oui et l'Éolienne magique
(19 septembre 2018)

Retour à la case marché (22 octobre 2018)


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