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Le tribunal de commerce face au « fiasco » du guichet unique
Au 4 avenue de la Dentelle au Puy-en-Velay, trône le tribunal de commerce. Instance donnant parfois l'impression d'omnipotence, et souvent simplement méconnue, il est surtout le passage obligatoire pour tout commerçant ou artisan à la tête de son activité. Mais depuis plus d'un an et la mise en place du guichet unique, rien ne va plus. Des soucis à répétition dénoncés par la Cour des Comptes mais aussi par les greffiers dont celle du Tribunal de Commerce du Puy-en-Velay, Virginie Cosmano.
Le greffier, garant de la transparence et de la sécurité juridique des affaires commerciales
Dans un tribunal de commerce, le greffier joue un rôle essentiel dans la gestion des affaires commerciales et contribue à la transparence et à la sécurité juridique dans celles-ci. Ses missions principales sont donc :
- la gestion administrative : Tenue des registres, gestion des dossiers, suivi des audiences, et traitement des documents juridiques.
- la rédaction des actes : Rédaction des procès-verbaux d'audience, des décisions judiciaires et des actes de procédure.
- l'assistance aux juges : Préparation des dossiers pour les audiences, assistance lors des délibérations et rédaction des jugements sous leur supervision.
- la publicité des actes : Publication et communication des décisions judiciaires, des immatriculations et des modifications au Registre du Commerce et des Sociétés.
- l'accueil du public : Informations sur les procédures, réception des requêtes et des documents, et orientation des parties prenantes.
Les greffiers, tous officiers publics exerçant à titre individuel sont tenus d'assurer différentes fonctions. La première est de tenir des registres, tels que celui du commerce et des sociétés. Cela concerne toutes les sociétés, personnes morales, sociétés commerciales ou civiles, entreprises individuelles, qui ont une activité commerciale et artisanale.
Or depuis le 1er janvier 2023, comme le voulait la loi PACTE de 2019, l'inscription des entreprises sur ce registre dépend du guichet unique. Une nouvelle plateforme réunissant toutes les démarches administratives de sociétés, qui a fait un énorme "flop", et qui a engendré d'importants soucis de fonctionnement tant pour les greffiers que pour les dirigeants d'entreprises.
Une mise en œuvre chaotique
Cependant tout ne s'est pas passé comme prévu lors de sa mise en œuvre. Selon la greffière, de nombreux dysfonctionnements auraient lourdement handicapé l'ensemble de la profession.
Virginie Cosmano, greffière du tribunal de commerce du Puy-en-Velay, explique que le guichet unique a été créé par le gouvernement avec la volonté de dématérialiser les procédures. Ainsi, « les sociétés qui souhaitent s'immatriculer ne passent plus par le greffe. Notre rôle devient simplement celui de contrôler les informations et les documents déposés sur la plateforme », précise-t-elle.
« Il ne se sont pas rendus compte que c'est un véritable savoir-faire », Virginie Cosmano.
« Ils ne se sont pas rendus compte, quand ils ont mis en place le guichet unique, qu'il y a un véritable savoir-faire. Aujourd'hui, sans Infogreffe, ça ne fonctionnerait pas, déplore la greffière. De nombreux clients sont venus nous voir pour nous dire qu'ils ne parvenaient pas à rentrer toutes les informations nécessaires à la création ou la mise à jour de leur dossier. Malheureusement, à chaque fois, nous les avons renvoyés chez eux en leur expliquant que nous n'avions pas la main, que nous ne pouvions rien faire de plus », souligne la professionnelle.
Dans son rapport publié en fin d'année 2023, la Cour des comptes est moins sévère, mais relève elle aussi « d'importants dysfonctionnements ».
Dans la synthèse d'une étude longue de plusieurs mois, on peut lire : « En janvier 2023, les fonctionnalités relatives aux modifications et aux cessations n’étaient pas opérationnelles. Une procédure de secours a dû être activée. Initialement prévue pour se terminer fin juin, elle a été prolongée jusqu’au 31 décembre 2023. La généralisation, au 1er janvier 2023, de la fonctionnalité "création d’entreprises" sur le seul guichet unique (avec la fermeture concomitante des autres voies) et la mise en œuvre de la procédure de secours pour les formalités de modification et de cessation d’entreprises ont été marquées par d’importants dysfonctionnements. Cette situation a fortement pénalisé les entreprises, d’autant plus que le dispositif d’assistance aux utilisateurs s’est révélé insuffisant. »
Les yeux plus gros que le ventre
La greffière décrit ainsi que la plateforme demande sur son interface des informations « qui ne sont pas nécessairement celles dont on a besoin. Alors cela nous rajoute du travail, avec un tri qui pourrait être évité. » Elle détaille alors : « La tenue des registres, elle est assurée depuis plus de cent ans par les greffiers. C'est une pratique qui a été analysée, on a mis en place des Cerfa et des formations issues de notre compétence et de notre expérience. On connait les documents nécessaires ou non. Alors si on ne les a pas, ou qu'on en a au contraire trop, ça bloque. Car il faut trier, il faut demander aux gens des compléments. Et puis il y a des informations que l'on n'utilise pas et qui sont récoltées alors qu'elles sont de l'ordre privé. Ça nous demande deux fois plus de temps de traitement. »
Et dénonce ainsi une volonté gouvernementale de « vouloir faire trop vite, et d'imposer avant même de s'assurer que tout fonctionne correctement ». Et cela, « sans consulter les premiers concernés, les greffiers ».
« Dès 2020, l’objectif d’une ouverture du guichet unique des entreprises au 1er janvier 2023 n’apparaissait pas réaliste. »
Ainsi, la Cour des Comptes, et les syndicats de greffiers, dénoncent de concert une volonté politique de respecter un calendrier, quoi qu'il en coûte pour les utilisateurs de ce nouveau guichet unique. Le rapport de l'ordre de juridiction souligne ainsi : « La loi PACTE n’a pas été précédée d’une analyse suffisamment approfondie des impacts et des modalités de mise en œuvre de la réforme. Dans ces conditions, dès 2020, l’objectif d’une ouverture du guichet unique des entreprises au 1er janvier 2023 n’apparaissait pas réaliste. En dépit de ces lacunes originelles, des inévitables difficultés rencontrées dans le développement du projet et des nombreuses alertes émises par les différentes parties prenantes, les arbitrages ministériels ont toujours privilégié le respect du calendrier initial. »
Une nouvelle échéance « plus raisonnable »
« À l’automne 2023, la situation globale du guichet unique tend à s’améliorer. La gouvernance et le pilotage du projet sont en cours d’ajustement. Il reste cependant de nombreux dysfonctionnements à traiter. Les actions correctives menées par la direction générale des entreprises, au cours du second semestre 2023, interviennent tardivement et ne paraissent pas de nature à résoudre l’ensemble des difficultés d’ici la fin de l’année. »
Il est vrai que la greffière du Puy précise l'implication de la profession auprès du gouvernement, pour tendre à une amélioration. Bien que celle-ci soit rendue difficile par l'intégration dans la loi Pacte du dispositif, la participation des greffiers et de leur conseil national (mais aussi des chambres de commerce ou de formation) a d'abord été écartée mais semble aujourd'hui davantage acceptée.
Dans son rapport finalisé il y a un peu plus d'un mois, la Cour estimait donc qu’il n’était pas possible d’exclure que l’échéance du 1er janvier 2024, à partir de laquelle toutes les formalités devaient être exclusivement réalisées sur le guichet unique, soit marquée par d’importants dysfonctionnements. Cette alerte prémonitoire était particulièrement pertinente. En effet, c’est sans doute la prise en compte de ce risque qui a incité le ministère à décider d’une nouvelle prolongation de la procédure de secours jusqu’à la fin de l’année 2024.
Finalement, compte tenu de ce nouveau délai annoncé, le projet aboutirait au 1er janvier 2025, à une échéance qui « aurait pu être raisonnablement fixée au départ compte tenu de la complexité du projet et aurait », selon la Cour des Comptes, épargné des difficultés.
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2 commentaires
C’est la parfaite illustration de la numérisation des services publics fait au forceps et exigeant deux fois plus de travail et de moyens qui épuisent les équipes sans pouvoir faire entendre raison aux dirigeants et gouvernants à marche forcée.
Certes si la Cour des comptes a rendu un verdict pessimiste mais frileux concernant le portail guichet unique fédérant les formalités pour les entreprises. sur son avenir mais fin septembre 2023 devant un parterre de 7.000 experts-comptables réunis pour leur congrès annuel à Montpellier, Bruno Le Maire s'est fendu d'un mea culpa inhabituel.