Il est presque midi au Super U d'Aiguilhe. Le parking du supermarché est presque complet en ce dimanche matin ensoleillé. Les paquets de dons semblent déborder des caddies disposés par les bénévoles à la sortie de la grande-surface. D'après Joël Fouillit, le responsable de la collecte des Restos du Coeur pour la Haute-Loire, il s'agit là du "meilleur point de collecte de tout le département : c'est un secteur urbain très privilégié socialement, et puis c'est pas loin de l'hôpital , le personnel soignant, c'est connu, à la fibre sociale et fait preuve d'une immense générosité".
" Nous sommes confrontés à un double problème "
Mais Joël n'est pas un homme serein pour autant. La situation à Aiguilhe reflète mal l'urgence de la situation. Dans la cinquantaine de points de collecte altiligériens, comme dans les 7 000 magasins de France qui accueillent l'évènement cette année, l'incertitude, voire l'inquiétude sont les sentiments qui dominent dans les rangs des organisateurs. En cause, l'inflation, l'accroissement du nombre de personnes en situation de précarité et la situation de crise géopolitique en Europe et en Syrie.
" Nous sommes confrontés cette année, et de manière inédite, à un double problème et à un effet boule de neige des plus inquiétants : nous avons de plus en plus de bénéficiaires et de moins en moins de donneurs".
" Nous avons de plus en plus de bénéficiaires et leur profil est de plus en plus complexe"
La section départementale des Restos du Coeur prend en charge cette année 4 600 personnes, adultes et enfants confondus. Ceci représente pour Joël "une augmentation de 22 % des bénéficiaires par rapport à l'année dernière, qui était déjà tendue". Et il s'agirait d'un chiffre à minima : la Haute-Loire est un département rural qui compte beaucoup de retraités isolés en situation de précarité, mais ces derniers ne feraient pas ,d'après Joël, " appel à une aide alimentaire, parce qu'ils auraient honte, qu'ils auraient peu de besoins et qu'ils se débrouillent tout seuls avec leur petit potager et leurs poules".
Quoiqu'il en soit, cette augmentation est inquiétante. Statistiquement et socialement : " Le profil de nos bénéficiaires est de plus en plus complexe" poursuit-il. La population qui bénéficie de l'aide des restos évolue en fonction des crises et des faiblesses de la société : " Nous accueillons de plus en plus de jeunes. C'est inquiétant. Le profil type du bénéficiaire, c'est la jeune maman célibataire qui travaille à temps partiel plus ou moins imposé. On remarque aussi qu'on reçoit désormais quelques étudiants, mais comme Le Puy n'est pas une ville étudiante le phénomène reste encore contenu. Et puis nous prenons également en charge de nombreux réfugiés ukrainiens et syriens".
" Nous avons de moins en moins de donneurs, l'inflation, c'est une réalité"
La crainte d'un " mars rouge"
Les négociations annuelles entre industriels et distributeurs doivent bientôt se terminer. De nombreux experts craignent une inflation spectaculaire dans les rayons des supermarchés au mois de mars. Certains parlent même de " mars rouge" pour le mois qui vient de débuter.
Le rythme de l'inflation a de nouveau légèrement augmenté en France en février. Selon une première estimation publiée par l'Insee le 28 février, elle serait en hausse de 6,2 % sur un an après avoir été de 6 % en janvier. Cette nouvelle hausse serait due en partie à l'accélération des prix de l'alimentation qui se seraient renchéris de 14,5 % en février sur un an. Et ce n'est pas fini : le prix moyen d'un panier de courses dans un supermarché devrait considérablement augmenter dès ce mois de mars, pour atteindre un pic au printemps.
Pas de quoi favoriser la générosité, au grand désespoir de Joël : "Les premières remontées du terrain ne sont pas bonnes cette année en matière de collecte. L'an dernier, qui n'était déjà pas un crû exceptionnel, nous avions récolté 39 tonnes de colis. Si on arrive à récolter 30 tonnes cette année, on pourra s'estimer heureux, mais on s'attend à une baisse qui devrait se situer entre 20 et 30 % par rapport à 2022 ".
" L'inflation c'est une réalité " tient-il à préciser pour expliquer cette tendance. Et de poursuivre : " Les gens subissent de plein fouet les effets de la crise énergétique et l'augmentation des prix alimentaires. Un don aujourd'hui, ce n'est plus anecdotique. Un paquet de pâtes aujourd'hui, ce n'est pas un paquet de pâtes il y quatre ans. Mais c'est vrai aussi qu'avec la sinistrose actuelle et la peur entretenues par certains médias, les gens ont tendance à se replier davantage sur eux -même. Ce matin, quelqu'un m'a même dit que c'est la première année qu'il ne nous donnait rien, parce-qu'il a peur de devoir nous rejoindre en tant que bénéficiaire".
Il faut donc tout mettre en place pour inciter les gens à donner malgré tout. Cette année, les restos ont donc mis à la vente dans tous les lieux de collecte, un colis préparé par leurs soins contenant quelques produits essentiels comme de l'huile, des conserves ou des pâtes. Le responsable de la collecte espère que cela favorisera un peu la générosité.
" On a aussi de plus en plus de mal à recruter des bénévoles "
Sophie et Julien sont lycéens au Puy. Ils font partie des bénévoles qui participent à l'opération de collecte cette année. Entre deux distributions de liste de produits et quelques refus plus ou moins polis , ils trouvent le temps de répondre à nos questions : " C'est vrai qu'une fois sur trois environ, les gens refusent de prendre la liste qu'on leur tend, mais en fait on s'attendait à pire, on pense que les gens font comme ils le peuvent, faut pas leur jeter la pierre".
Ils ont décidé de rejoindre les équipes de bénévoles, parce-que malgré leur jeune âge, ils se sentent déjà concernés par la situation : " Les retraites, l'inflation tout ça, ça nous fait un peu peur. Alors on a décidé de répondre à l'appel lancé dans notre lycée et de nous mobiliser aujourd'hui".
"Effectivement, précise Joël pour finir, nous avons un troisième problème : nous avons de plus en plus de mal à recruter des bénévoles. Alors cette année, on a dû faire preuve d'imagination dans ce domaine également. On a contacté de nombreux établissements scolaires afin qu'ils tentent de mobiliser leurs élèves".
Une raison d'espérer tout de même : les jeunes étaient au rendez-vous dans de nombreux points de collecte.