Du tumulte parisien au silence du Mazonric
Dans une autre vie, celle d'avant, Aglaé vivait à Paris. Graphiste et photographe dans l'évènementiel et le monde du spectacle, elle évoluait dans le petit monde des artistes émergeants et des soirées branchées de la capitale. Mais à 25 ans, au milieu des années 2010, avec un peu d'avance sur ceux de sa génération, Amélie remet tout en question : " Ça n'allait plus du tout, j'en pouvais plus. Je crois que j'ai été précurseure en matière de crise existentielle écologique. Je ne pouvais plus continuer à vivre comme je vivais alors que tout se cassait la gueule autour de moi. J'avais peur de l'effondrement".
"Cela m'a permis de reconsidérer mon rapport à la nature, au bonheur et à la vie en général"
Alors Aglaé passe à l'acte. Joint les actes à la parole. Son changement d'angle de vue entraine un changement d'angle de vie. Elle improvise un road-trip " exactement comme les deux héros du film En quête de sens " : " cela m'a permis de reconsidérer mon rapport à la nature, au bonheur et à la vie en général ". Elle traverse l'Argentine, les Etats-Unis et au bout de trois mois sa décision est prise : après s'être changée elle - même, elle veut participer, à sa hauteur et à sa mesure, à changer les autres en " faisant du bien " autour d'elle tout en prenant enfin le contrôle de sa vie.
La ferme du Mazonric, un petit coin de paradis sur les gorges de l'Allier
Photo par jfp
Et pour cela, Aglaé dispose d'un petit coin de paradis sur les gorges de l'Allier, à 1000 mètres d'altitude, sur les confins du Gévaudan, entre Lozère, Ardèche et Haute-Loire : Le Mazonric. Propriété de sa famille depuis presque un siècle (" C'est mon arrière grand-père, l'un des fondateurs de l'Hôpital du Puy, qui l'a acquis entre les deux guerres" précise Aglaé), ce petit hameau médiéval situé sur la commune de Pradelles est niché au coeur d'un espace naturel de plus de 100 hectares, traversé par l'Allier sauvage. " "Entre forêts, pâturages, champs et zones humides, on en prend plein la vue".
"Ré-enchanter le rural et participer à la préservation de la nature et du patrimoine"
Elle décide de s'y installer, pour y réaliser son projet : prendre soin de la terre et des êtres vivants. Pratiquer la permaculture et créer du lien entre les hommes et entre les espèces. En 2017, elle crée le festival du Mazonric pour "ré-enchanter le rural et participer à la préservation de la nature et du patrimoine". Forte d'un carnet d'adresses conséquent dans le milieu culturel et naturaliste, elle crée un parcours de Land-Art, des ballades botaniques et fait venir à Pradelles de nombreux musiciens ou acteurs de la scène émergeante. Le "festival du Maz" devient vite un incontournable de l'été occitan. Son projet de permaculture, lui, n'a pas encore pu se concrétiser du fait de nombreux tracas qui parfois lui font perdre espoir. Mais elle s'accroche, courageuse. Et se trouve une autre passion : l'élevage.
Les chèvres angora du Mazonric
Angora ? Mohair ?
Le nom " angora " vient de la ville d'Ankara en Turquie, qui s'appelait autrefois Angora en français. Cette région est à l'origine de plusieurs races animales réputées pour leur pelage luxueux dont la chèvre, le lapin ou le chat. Le nom " mohair " quant à lui vient de l'arabe " mukhayyar " qui signifie " choisi " ou " sélectionné ". Il fait référence à la laine de haute qualité produite par la chèvre angora, réputée pour sa douceur, sa brillance et surtout sa résistance.
Le bien être animal étant au coeur de ses préoccupations, Aglaé ne se voyait pas élever des animaux pour les amener à l'abattoir. L'élevage des chèvres angora s'est donc présenté à elle comme une évidence : " C'est la solution la plus intéressante pour ceux qui souhaitent exploiter des ressources animales sans les tuer". Elle poursuit : " L'élevage des chèvres angora repose uniquement sur la récolte de leur toison, le mohair, qui repousse rapidement après chaque tonte. On les tond deux fois par an, au printemps et à l'automne. Ce sont des professionnels qui s'en chargent. Ça ne cause aucune souffrance aux animaux, bien au contraire, la tonte est essentielle pour leur bien-être, car leur laine pousse continuellement et en l'absence d'entretien ça finit par vite les gêner".
La tonte est essentielle pour le bien être des animaux
Photo par jfp
" Les chèvres angora sont à la chèvre ce que le caniche est au loup "
Le troupeau d'Aglaé comprend actuellement une dizaine de femelles sur lesquelles veille Bouclux, " le mâle dominant le plus doux du monde". Pour mettre en avant la particularité de ses animaux, Aglaé a le sens de la formule : " les chèvres angora sont à la chèvre, ce que le caniche est au loup". Comprendre une race hyper domestiquée, luxueuse, avec un physique un peu fragile et une dépendance aux soins humains. Presque un peu collants comme bestioles. Surtout Bouclux. C'est l'expérience qui parle.
La fine équipe de Bouclux, outre sa laine et son côté plutôt sympathique, rend d'autres services à l'humanité et à la nature en général. Aglaé y tient. Son élevage est pratiqué de manière raisonnée et constitue en soi une alternative bien plus durable que certaines formes d'élevage intensif : " Mes chèvres gambadent sur 3 hectares de terrain. Je pratique le pâturage tournant et dynamique. En pâturant , mes chèvres contribuent à l'entretien des paysages et à la préservation des espaces naturels environnants".
le Mohair, une alternative aux textiles synthétiques
Pour le moment Aglaé ne produit que 40 kilos de mohair par an, soit 4 kilos par bête. De son propre aveu, pour être viable et rentable, son élevage devrait en produire 20 de plus. Mais l'éleveuse à le temps et tient à veiller à une gestion équilibrée de son troupeau pour éviter une éventuelle surexploitation des terres. Elle est affiliée au SICA ( Syndicat d'Intérêt Collectif Agricole ) Mohair de Castres auquel elle livre sa laine deux fois par an, après l'avoir triée. Une étape cruciale pour garantir la qualité du mohair et qui consiste à " retirer les impuretés après la tonte, et à séparer les toisons par couleur et par âge" ( le mohair des chevreaux étant le plus fin et le plus prisé ).
Le tri, une étape cruciale pour garantir la qualité du mohair
Photo par jfp
Le SICA se charge ensuite de contrôler le tri avant que la matière première ne soit envoyée en Italie pour y être lavée, cardée ( création de fibres prêtes à être filée ) filée ( seule ou mélangée à d'autres fibres afin d'améliorer ses propriétés) et teinte. Le produit fini est mis en pelote au SICA, transformé en pull, béret, bonnet, poncho, gants et écharpe à Malrevers ou en chaussettes à Montceau-les-Mines, lesquels sont joliment mis en valeur dans la boutique du Mazonric sous le label " Mohair des fermes de France".
" Des pièces d'une qualité irremplaçable (.../...) et thermorégulatrices "
Les prix affichés dans la boutique peuvent surprendre au premier abord les consommateurs chroniques de textile synthétique et autres accros aux détaillants chinois de mode en ligne. " Le mohair c'est cher, sans doute inabordable pour beaucoup de gens ". Aglaé le reconnait facilement. Presque gênée : " vous savez, c'est une matière très rare, une chèvre ne fournit que 4 kilos de laine brut par an, ce qui est très peu comparé à d'autres types de laine et puis le processus de transformation est très long et très exigeant, il demande un vrai savoir-faire artisanal en plusieurs étapes ce qui augmente forcément les coûts de production, alors oui au final on a des bonnets à 50 euros ou des pulls à 200 euros mais ce sont des pièces d'une qualité irremplaçable, légères, infroissables, d'une douceur à toutes épreuves et thermorégulatrices " ! Et bien plus éco-responsables que leurs concurrentes en cachemire, de l'avis de la jeune éleveuse : " Le cachemire s'est beaucoup plus démocratisé, c'est vrai. Du coup pour répondre à la demande, l'élevage s'est industrialisé ce qui a entrainé un surpâturage des steppes asiatiques, une désertification et au final une aggravation des conditions climatiques ainsi qu' une atteinte à la biodiversité".
" Non notre mohair ne pique pas, non notre mohair ne gratte pas "
N'allez surtout pas dire à Aglaé que le Mohair ça pique et ça gratte, au risque de lui faire perdre sa zen attitude : " J'entends ça à longueur de journée. Ça a tendance à m'irriter un peu. En France, et dans notre notre label en particulier, on ne produit que du Mohair de qualité rigoureusement sélectionné et très bien tissé. Non, notre Mohair ne pique pas. Non, notre mohair ne gratte pas. Il faut acheter français" !
La boutique se situe à l'entrée du hameau du Mazonric. Des visites à destination des familles ou des scolaires sont également organisées.
Contact : 04 71 00 23 71 ou lafermedumazonric@gmail.com
Site internet : www.lafermedumazonric.com
Aglaé Machelart vient d'ouvrir sa propre boutique de " vêtements à la ferme "
Photo par jfp