La mesure n'est effective que depuis une semaine. Soit bien trop tôt pour en tirer d'emblée une première tendance en matière de retombées économiques et commerciales. Pourtant elle est sur toutes les lèvres, dans les travées du marché ou les enseignes de la rue chaussade : il va falloir payer plus pour se garer au Puy. De quoi faire trembler les uns, souvent commerçants, qui craignent pour leur chiffre d'affaire. De quoi mobiliser les autres, qui rêvent d'une ville sans voitures mais réclament une politique bien plus ambitieuse en matière de douceur de vivre et de promotion des mobilités douces. Avec en ligne de mire, la bonne santé des commerces également.
"No parking, no business" versus " No walking, no business".
"No parking, no business " *
" No parking, no business". Ce vieux slogan, qui fleure bon les trente glorieuses et la toute puissance de la société de consommation a été inventé dans les années cinquante par Bernard Trujillo, le pape de la grande distribution aux Etats-Unis. Par cette formule choc, il entendait convertir les commerçants du monde entier à un principe très simple, à l'origine de toutes les fortunes selon lui : les clients doivent toujours trouver une place de stationnement la moins chère possible et à fortiori gratuite le plus prés possible d'un commerce. Une question de vie ou de mort. Un principe vital. Innégociable.
Plus de soixante-dix ans après, la formule a toujours la côte auprès d'une majorité de commerçants français, en particulier pour ceux des centre-villes. Les commerçants ponots, qu'ils aient pignon sur rue ou qu'ils n'installent leurs étals que les jours de marché ne font pas exception : tous croient aux vertus de ce petit carré de bitume pour la santé de leurs affaires et impossible pour eux, aux moins pour le moment, de changer de croyances.
Daniel est présent sur le marché du Puy depuis soixante ans. Il vend des produits locaux devant la bibliothèque. Pas question pour lui de changer quoi que ce soit en matière de stationnement : " Depuis soixante ans j'entends les mêmes choses de la part de mes clients, et j'y ai quasiment droit tous les samedi. Il y a ceux qui disent qu'ils ont tourné une heure avant de trouver une place. Les autres qui me disent que tout augmente, même les places de parking. Ceux qui me disent qu'aller au supermarché c'est beaucoup plus pratique...".
" La fin de la gratuité du samedi matin, c'est bon pour les affaires de la ville mais pas pour les étaliers du marché" Daniel, vendeur de produits locaux
Il en est persuadé : la fin de la gratuité du samedi-matin " c'est peut -être bon pour les affaires de la ville mais par pour les étaliers du marché. Le principe du marché, c'est la douceur de vivre, la flânerie, le temps suspendu. Quand nos clients se seront pris des prunes parce qu'ils auront eu l'indélicatesse de prendre leur temps, ils iront faire leur course ailleurs, c'est triste mais comme ça".
" C'est un mauvais signe lancé aux commerçants du Puy" Richard, boulanger bio
Même son de cloche du côté de la rue chaussade. Pour Richard, producteur et vendeur de pains bio : " Avec les beaux jours, on a des gens qui viennent de toute la Haute-Loire, pour cette institution qu'est le marché du Puy. Et ce ne sont pas forcément des gens très riches. Certains sont à 5 euros près parfois. Alors le fait de toucher à la gratuité du stationnement, ça peut les dissuader de venir. D'autant plus, qu'il me semble que le stationnement est limité à deux heures, et qu'en deux heures, on n'a pas forcément fait tout son marché. Les gens n'auront plus le temps de faire les boutiques en même temps". Il conclut : " C'est un mauvais signe lancé aux commerçants du Puy " !
" Beaucoup craignent pour leur chiffre d'affaire" Hacene Djerdi, office du commerce ponot
Ces derniers, sont en grande partie représentés et défendus par l'office du commerce et de l'artisanat ponot. A sa tête, depuis le début de la semaine, son président : le souriant et dynamique Hacene Djerdi. Pour lui, c'est une évidence : " la fin de la gratuité du samedi matin et la hausse des tarifs horaires de stationnement sont très mal passés parmi les commerçants du centre-ville". Et d'avouer : " beaucoup craignent pour leur chiffre d'affaire, même s'il est encore trop tôt pour en tirer un premier bilan".
" Le stationnement, c'est un bon levier de recettes pour une ville " Hacene Djerdi
Les commerçants auront tant bien que mal tenté de " se faire entendre et de faire pression sur la Municipalité " mais nombre d'entre-eux ont fini par entendre, en bons gestionnaires, les arguments du maire, rapportés par Hacene Djerdi : " Une ville on la gère comme une entreprise. Il y a des dépenses et des recettes. La commune investit chaque année 500 000 euros en faveur de l'animation commerciale. Cet argent, il faut bien le trouver quelque-part et le stationnement peut constituer un bon levier de recettes".
"No walking, no riding no business" **
" Ce qui pousse les commerces dorénavant c'est la qualité de vie d'une ville " Sophie
Certains ponots croisés ce samedi matin regrettent pourtant que les recettes occasionnées par la hausse successive des tarifs de stationnement au Puy ne soient pas prioritairement réorientés vers des projets liés à la transition écologique et à la promotion des mobilités douces. C'est le cas de Sophie, venue à vélo faire le plein de légumes : " Il ne faut plus raisonner comme dans les années cinquante. Ce qui pousse les commerces de centre-ville dorénavant c'est la qualité de vie d'une ville.Les commerçants ont encore plein d'idées reçues concernant la place de la voiture en ville. Je pense qu'ils devraient changer de logiciel".
Et d'étoffer son propos : " Il y a beaucoup d'études européennes qui montrent qu'un automobiliste dépense moins qu'un piéton, moins qu'un cycliste et moins qu'une personne qui utilise des transports en commun. Un automobiliste qui vient au marché le samedi, c'est un achat one shot, alors qu'un piéton ou un cycliste revient régulièrement".
" les villes qui ont des commerces dynamiques sont toutes des villes qui ont eu le courage de s'en prendre au tout-voiture " Sophie
La priorité pour elle? Piétonniser au maximum et rendre la ville sécure pour les cyclistes : " Les villes qui ont des commerces dynamiques sont toutes des villes qui ont eu le courage de s'en prendre au tout -voiture. Il y a moins de bruit et moins de pollution. Les gens y viennent parce qu'elles offrent un cadre agréable avec plein d'arbres, des espaces piétons où on prend le temps de regarder les vitrines. Et puis ce sont des villes où la pratique du vélo est favorisée surtout. C'est ça la priorité : promouvoir l'utilisation du vélo parce qu'à la place d'une voiture c'est une dizaine de vélos qui peuvent stationner, et c'est beaucoup plus de clients potentiels pour un commerce".
" Il faut laisser le temps de vivre aux habitants du Puy, c'est le seul moyen de soutenir les commerces" Celline Gacon, conseillère municipale.
Un argument partagé par la conseillère municipale Celline Gacon, croisée devant un étal : " Il est temps que les gens et les politiques comprennent que le tout voiture c'est fini. Il faut laisser le temps de vivre aux habitants du Puy. C'est le seul moyen de soutenir les commerces. Ça ne me gène donc pas du tout qu'on s'en prenne aux voitures, mais je regrette que ce soit juste parce-que la ville a besoin d'argent pour entretenir les infrastructures payées par la région et pas pour promouvoir les mobilités douces et la douceur de vivre".
L'élue conclut : " C'est quand même dommage de s'en prendre au marché du samedi matin, qui est un super moment de convivialité et de socialisation pour les ponots".
* Pas de stationnement, pas de commerce
** Pas de voie piétonne, pas de piste cyclable, pas de commerce