Dur de s’y retrouver avec les centaines de panneaux de signalisation (384, selon le Code de la route) qui existent en France. Parmi eux, certains appartiennent à la catégorie ID qui signifie « Idéogramme ». Ce sont ceux qui indiquent par exemple une aire de pique-nique, un poste de distribution de carburant ou un Parc de stationnement.
Dans ce panel de soixante panneaux, neuf sont calligraphiés en jaune marron sur fond blanc. Ils mentionnent, entre autres, un Site classé, un Monument historique, une Réserve naturelle. Le panneau ID 16e informe les automobilistes d’un « Parc ou Jardin ayant reçu le label Jardin remarquable décerné par le ministère de la Culture ».
Seul le Parc de Chavaniac-Lafayette détient ce label en Haute-Loire
En Haute-Loire, selon le site du ministère de la Culture et de celui de Parcs et Jardins, un unique lieu en Haute-Loire possède ce label exceptionnel tant ses critères d’obtention sont exigeants. Il s’agit du Parc du Château Lafayette, dans la commune de Chavaniac-Lafayette.
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Or, une vingtaine de panneaux routiers sur le bassin ponot portent le prestigieux idéogramme accolé à « Forteresse de Saint-Vidal ».
Sur le Boulevard de la Petite mer à Chadrac, au rond-point du Collet à Polignac, au carrefour de Locussol et celui de Grazac dans la commune de Saint-Vidal, à proximité de Sanssac-l’Eglise... Plusieurs panneaux implantés il y a près de cinq ans, indiquant la Forteresse de Saint-Vidal avec l’idéogramme de Monument historique et celui de Jardin Remarquable.
« Aucun dossier n’a été présenté à la DRAC par le propriétaire de la forteresse »
Le 11 janvier 2019, des personnes qui souhaitent rester anonymes avaient déjà alerté la Direction Régionale des Affaires Culturelles (DRAC), service issu du ministère de la Culture. À travers un courrier adressé au préfet de l’époque Yves Rousset, ils dénoncent « l’usage abusif de l’idéogramme associé dans la signalétique routière concernant la Forteresse de Saint-Vidal ».
Ils rappellent que « le label Jardin Remarquable est attribué par décision du préfet de région (…) après avis d’un groupe de travail régional statuant sur le fondement d’un dossier complet déposé à la DRAC par le demandeur (…) suite à une visite de son jardin ».
Avant d’enfoncer : « Aucun dossier n’a été présenté à la DRAC par le propriétaire de la forteresse en vue de l’obtention de ce label ».
Yves Rousset avait demandé au châtelain d’ôter les panneaux trompeurs
Le dossier entre les mains, Yves Rousset confie à son tour un courrier directement à Vianney d’Alençon, propriétaire du château depuis 2016. Le 18 mars 2019, le préfet l’avertit que « l’apposition de l’idéogramme ID 16e, marque déposée et propriété de l’État depuis 2004, n’a jamais fait l’objet d’une demande d’attribution (…) et n’a donc de ce fait jamais fait l’objet d’un accord de la DRAC en charge de son instruction, après visite des jardins concernés ».
Yves Rousset invite le châtelain à « procéder dans les meilleurs délais à la dépose de ces panneaux afin d’y retirer le label Jardin remarquable dont vous ne pouvez vous prévaloir ».
« Leur contenu avait été validé par la Commission Technique Signalétique à la Préfecture »
Cinq ans plus tard... rien. Les indications mensongères sont toujours en place. La question qui se pose alors est : comment est-il possible que le Conseil départemental, entité en charge de la pose des panneaux routiers, ait installé cette signalétique alors que, d’après le représentant de l’État lui-même, jamais la forteresse de Saint-Vidal ne pouvait prétendre à cet idéogramme d’exception ?
Après avoir sollicité le Département sur ce mystère, voici sa réponse : « Les panneaux avaient été payés et fournis par le château de Saint-Vidal à l'époque. Leur contenu avait été validé par la Commission Technique Signalétique à la Préfecture. Ils ont bien été posés par les services du Département. Si le Préfet demande aujourd'hui à les retirer, il n'y aura pas de problème pour que le Département le fasse. Pour l'instant, aucune demande en ce sens n'a été adressée au Département ».
L'art de la patate chaude
L'expression « se renvoyer la patate chaude » signifie se débarrasser sur quelqu'un d'autre d'une affaire embarrassante ou délicate. Il semblerait que la formule soit parfois bien usitée dans les institutions.
Une fois que le Département ait assuré que : « Leur contenu avait été validé par la Commission Technique Signalétique à la Préfecture...», à la préfecture de répondre : « La pose des panneaux Jardin remarquable a obtenu la validation du comité départemental de signalisation. Ce comité se prononce essentiellement sur le nombre de panneaux, leur localisation, leur taille et sur les sites à promouvoir ».
« S'agissant du label Jardin remarquable, les services de l’État ont saisi le propriétaire de la forteresse de Saint-Vidal afin qu'il dépose un dossier en vue d'actualiser sa situation et, le cas échéant, la régulariser ». La préfecture de la Haute-Loire.
« Des erreurs ont malheureusement été commises »
La rédaction de Zoomdici s'est alors tournée vers le principal intéressé, Vianney d'Alençon. En dépit de tout un tas de questions, une seule réponse nous est parvenue pour expliquer le « schmilblick ».
La voici : « La demande (de l'obtention du label, Ndlr) avait été faite auprès du ministère de la Culture. Nous n'avons jamais reçu de réponse. Des erreurs ont malheureusement été commises lors de la commande des panneaux car la fiche d’identité de la base Mérimée (Monument historique) qui a été modifiée le 09/12/2022 indiquait encore en 2018 « Jardin remarquable » pour ceux du château de Saint-Vidal ». Sauf que...
Jamais la Forteresse de Saint-Vidal n'a été labellisée Jardin Remarquable
Sauf que... d'après de nombreuses sources bien aiguisées sur le sujet, notamment ceux du Comité des Pars et Jardins d'Auvergne, jamais la Forteresse de Saint-Vidal n'a obtenu le label Jardin remarquable. Sur la toile 2.0, si les archives indiquent bien l'inscription du site fortifié au titre des Monuments historiques en 1991, rien n'apparait sur l'obtention du fameux label à un moment donné.
Si on compare cette recherche avec le Château de Chavaniac-Lafayette, le label Jardin remarquable y apparait tout de suite à différentes années depuis 2012. (Devenu propriété du Conseil général en juillet 2009, le château de Chavaniac-Lafayette a décroché le label "Maison des illustres " et celui de "Jardin remarquable" officiellement en 2011, attribués par le Ministère de la Culture et de la communication).
À la question de savoir pourquoi ne pas avoir retiré les faux panneaux expressément demandé par le préfet Yves Rousset, le secrétariat de la Forteresse de Saint-Vidal n'a pas formulé de réponse.
« Il notifie au propriétaire l'obligation de retirer la ou les plaques figurant le logotype du label »
Pour prouver sa bonne foi, le châtelain a accompagné sa réponse avec un document signé le 6 août 2019 par Geoffroy Millet, président de l'Association pour la valorisation du Velay, Auvergne et Gévaudan (association de la Forteresse de Saint-Vidal).
Ce courrier porte l'objet suivant : « Lettre d'engagement relative à l'attribution du label Jardin remarquable ». Dans ce courrier, dont aucun destinataire n'apparait, Geoffroy Millet « s'engage à ouvrir les jardins de la Forteresse de Saint-Vidal au moins 40 jours par an et 6 heures par jour, entre le 1ᵉʳ janvier et le 31 décembre ».
Si ce programme horaire respecte bien l'une des modalités d'attribution du label, ce n'est qu'un tout petit détail à ajouter aux nombreux autres critères à tenir pour accaparer le prestigieux idéogramme.
Et selon la Circulaire du 15 décembre 2023 relative au label « Jardin Remarquable » du ministère de la Culture : « En cas de retrait, le préfet de région notifie la décision au propriétaire du jardin. En outre, il notifie au propriétaire l'obligation de retirer la ou les plaques figurant le logotype du label « Jardin remarquable » et de restituer à la DRAC celle qui lui a été remise par l’État ».
Circulaire du 15 décembre 2023 relative au label « Jardin remarquable ».pdf