En 2022, 35 % du lait bio est déclassé, selon le Centre National Interprofessionnel de l'Économie Laitière (Cniel), en lait conventionnel. C'est 40 % en 2023. Qu'en sera-t-il en 2024 ?
Une procédure totalement injuste
Le déclassement du bio en conventionnel, c'est lorsque trop de lait bio est produit, par rapport à ce qui est consommé. Le lait restant est vendu à des entreprises qui l'achètent au prix du lait conventionnel...et le considèrent comme tel.
La certification "bio" n'apparait ainsi plus sur les produits vendus au consommateur. Autrement dit, non seulement les entreprises acquièrent du lait de qualité à un prix très bas, les agriculteurs sont rémunérés injustement et le consommateur est floué.
Des conséquences dramatiques pour les éleveurs
Depuis plusieurs années, la situation perdure, progresse et inquiète de plus en plus les éleveurs laitiers de France. Les conséquences sont dramatiques pour les éleveurs. En Haute-Loire, Alain Besse, producteur Biolait et référent lait de l'association Haute-Loire Biologique, se montre désemparé.
Le lait bio, ça implique quoi ?
Le lait issu de l'agriculture biologique doit respecter obligatoirement certains critères :
Les vaches laitières doivent naître et être élevées dans des exploitations bio.
Si l’éleveur se voit obligé d’introduire des vaches non bio dans l’exploitation, elles doivent être élevées en bio pendant au moins 6 mois avant que le lait puisse être commercialisé en bio.
Pour prévenir le tassement du sol, le surpâturage, la pollution et l’érosion, le nombre et la densité des vaches font l’objet de limitations.
Les pâturages doivent être utilisés aussi souvent que possible : les vaches doivent pouvoir y brouter dès que les conditions météorologiques et l’état des sols le permettent.
Les étables doivent être aménagées pour favoriser le bien-être animal (hygiène, aération, lumière…).
L’alimentation des vaches doit être bio.
Les veaux doivent être nourris de préférence au lait maternel durant au moins 3 mois.
Les vaches ne peuvent pas être attachées ou isolées, sauf conditions exceptionnelles.
Pour soigner les vaches, les antibiotiques sont strictement limités et les médecines douces privilégiées.
L'explosion des volumes
En 2020, une importante crise du lait conventionnel a poussé un grand nombre d'éleveurs à entamer une transition vers le bio, mais aussi les consommateurs.
Or, cette transition nécessite en moyenne deux ans. C'est alors en 2022, que la filière laitière bio a connu une croissance majeure, de l'ordre de 10 % selon le référent lait de Haute-Loire biologique.
Il se souvient : « Face à la demande, les producteurs se sont adaptés pour produire davantage, et la crise du lait conventionnel de 2020 en a poussé beaucoup à entamer une transition vers le bio. Or deux ans sont nécessaires pour amorcer cette transition. Alors, en 2022, d’importants volumes de lait supplémentaires ont été produits tandis que la consommation, elle, commençait à stagner, voir à diminuer pour certains produits. »
Il résume : « Il y a eu plusieurs facteurs, mais cette grosse vague de transitions, combinée à une consommation en berne, ça nous a mis dans une situation très difficile. »
Une consommation en berne
Justement, cette baisse de la consommation, constatée par les éleveurs et confirmée par le Cniel, est de plus en plus marquée. Selon l'étude du Centre national, en 2023, la consommation de produits laitiers bio a chuté de 12 % par rapport à 2022, et de 23 % par rapport à 2019.
Une tendance qu'Alain Besse tente d'expliquer par deux raisons : l'inflation... et un manque cruel de communication.
Alain Besse détaille alors « L'inflation joue son rôle à coup sûr. On remarque une corrélation entre les deux courbes, de l'inflation et de la consommation de produits bio. C'est très certainement dû au fait que les gens ont cette image du bio qui coute cher. Mais ce n'est pas toujours le cas. Il arrive de plus en plus que des produits laitiers bio soient moins chers que les produits conventionnels, mais par habitude, les consommateurs se tournent vers le conventionnel. »
Il évoque alors un important souci de communication de la part de la filière laitière bio, qui doit éduquer sur ce qu'est le bio, ce que cela implique, et son accessibilité. « C'est le prochain grand travail que nous devrons réaliser. »
"Si tout notre lait était vendu en Bio, on serait correctement rémunérés, c'est-à-dire autour de 480 euros pour 1 000 litres"
91 millions d'euros perdus
Le litre de lait déclassé est vendu 30 à 40 centimes de moins que s'il avait conservé sa qualification "bio". Une perte qui se traduit par un prix de vente à 400/440 € pour 1 000 litres, contre environ 480 € nécessaires. « Si tout notre lait était vendu en Bio, on serait correctement rémunérés, c'est-à-dire autour de 480 euros pour 1 000 litres. (en moyenne, une vache laitière produit 8 000 litres par lactation. C’est 3 500 de plus en moyenne qu’une vache laitière élevée en agriculture biologique, Ndlr). Mais aujourd’hui, ça fluctue plutôt entre 400 et 440 euros. On aura du mal à aller au-delà de ce montant tant qu’on déclassera une part aussi importante du lait bio » déplore l'agriculteur.
L'État a retiré tous ses soutiens, considérant que la filière n'en avait plus besoin
Selon le Cniel, combiné à la hausse des charges et au maintien du prix payé aux agriculteurs, le déclassement a entrainé une perte totale de 91 millions d'euros entre 2022 et 2023 pour les producteurs.
Or, ayant subi une importante croissance ces dernières années, la filière bio ne bénéficie plus d'aides (autres que l'aide à la transition). L'État a en effet retiré tous ses soutiens, considérant que la filière n'en avait plus besoin puisqu'elle fonctionnait d'elle-même. Alain Besse nuance : « C'était vrai très récemment. Mais ce n'est plus le cas. Et cela devient très difficile. On se sent délaissés, et on a l'impression que notre travail n'est pas reconnu à sa juste valeur. » Un travail qu'il qualifie pourtant de service rendu à la planète.
L'amertume et le dégout
Il conclut ainsi : « C'est démoralisant pour les agriculteurs installés, ça en pousse certains à retourner en conventionnel, et ça ne permet pas aux jeunes d'investir pour s'installer. En bref, les producteurs de lait bio gagnent à peine de quoi vivre, mais aucun moyen pour eux d'investir ou, si c'est déjà fait, de rembourser les prêts. C'est très triste pour ceux qui sont convaincus que le bio est la solution, mais qui n'ont pas les moyens de le pratiquer. »