Arnaques aux fausses ordonnances au Puy-en-Velay

Par Nicolas Defay , Mise à jour le 29/08/2022 à 17:00

Le phénomène en forte augmentation dans les grandes villes de France apparait à présent dans les communes de moindre importance. Au Puy-en-Velay, des pharmacies ont été confrontées à des fausses ordonnances pour que soient délivrés des médicaments onéreux, revendus ensuite bien plus chers à l’étranger.

« Ce n’est pas la première fois que cela nous arrive mais c’est une première concernant ce médicament dont le prix est très élevé, confie Mélanie Sahuc, pharmacienne à l’officine du Pôle Santé Hello Pharmacie. Et s’il n’y avait pas eu cette faute d’orthographe sur l’ordonnance et la méfiance de ma collègue, nous serions passées à côté ».

Une ordonnance à 3 500 euros

Mercredi 24 août, une dame appelle la pharmacie en question pour commander un médicament anti-cancéreux. « Elle voulait être certaine que nous l’ayons en notre possession pour qu’elle puisse le récupérer le lendemain, explique la professionnelle de santé. Mais nous étions plutôt réticentes. C’était tout de même une ordonnance à 3 500 euros. Nous lui avons demandé d’envoyer son ordonnance par mail, chose qu’elle a refusée. »

« Ma collègue Anna remarque cette unique faute d’orthographe »

Le jeudi 25 août, la patiente vient finalement à la pharmacie, accompagnée de ses deux enfants. « Sa carte vitale n’indiquait aucun historique dans notre pharmacie, continue Mélanie Sahuc. Mais son ordonnance semblait en règle avec tampon et signature à l’appui. Ma préparatrice commande alors les deux boites prescrites et les facture. Et la patiente repart tranquillement ».

Mais parce que l’une des tâches des pharmaciens est aussi de contrôler les ordonnances, un détail provoque la méfiance d’une professionnelle de l’officine. « Une heure après la commande, ma collègue Anna remarque cette unique faute d’orthographe, poursuit-elle. Un S à « Service d’HématologieS ». Et le fait que le médicament soit très cher nous a poussé à vérifier plus en détail les données de l’ordonnance ».

Résultat, le médecin indiqué sur le document ne travaillait pas à l’hôpital de Saint-Étienne, lieu où avait été soi-disant prescrite l’ordonnance. Et deuxièmement, l’hôpital a certifié que la patiente n’était aucunement connue de leurs services.

« Ma collège est généralement méfiante dès qu’il y a des ordonnances avec des médicaments aux prix élevés. À présent, je vais agir de la même façon. Lyon est beaucoup confronté à ça. Nous, dans les petites villes, nous pensions être loin de tout ça par pure naïveté ». Mélanie Sahuc

« Elle avait commandé le médicament d’un montant de 5 000 euros. Et l’avait facturé à la Sécurité Sociale »

La réaction des pharmaciennes a été aussitôt d’annuler la commande ainsi que la facture à la Sécurité Sociale. « Nous avons appelé la patiente pour l’avertir que nous ne pourrions lui délivrer ce médicament, son ordonnance étant frauduleuse, confie Mélanie Sahuc. Elle nous a répondu que ce n’était pas grave et qu’elle irait voir dans d’autres pharmacies ».

Mélanie Sahuc avertit alors consœurs et confrères du bassin ponot et au-delà pour mentionner le nom de la patiente et la teneur de l’ordonnance. « Une heure après mon mail groupé envoyé, j’ai reçu un coup de téléphone d’une pharmacie du secteur, ajoute-t-elle. Cette dernière avait été victime de la même façon quelques jours auparavant. Malheureusement, elle avait commandé le médicament d’un montant de 5 000 euros. Et l’avait facturé à la Sécurité Sociale ».

Voici le genre de message (notamment sur le réseau Tik Tok) qui circule de plus en plus sur la toile.
En clair, une personne est rétribuée entre 200 et 1 000 euros pour récupérer des traitements anti-cancéreux comme le Lynparza, médicament qui coûte la coquette somme de 4 755 euros la boîte. Pour ça, des trafiquants falsifient (presque) parfaitement des ordonnances et les fournissent aux faux patients.

Une fois les boîtes en main ? D’après les informations de l'OCLAESP (Office Central de Lutte contre les Atteintes à la Santé et à l'Environnement), ces médicaments sont alors revendus à l’étranger. « Mais ils sont souvent transportés dans de si mauvaises conditions qu’ils ne sont plus efficaces une fois sur place », précise l’OCLAESP.

Entre temps, les malfaiteurs sont assurés de se faire une marge très importante de l’ordre de plusieurs milliers d'euros sur chaque boîte tout en arnaquant l’Assurance Maladie. Si aucune structure n’indique le nombre de falsifications et le montant des préjudices, deux hôpitaux* en France ont estimé à plus de quatre millions d'euros le montant détourné grâce à des fausses ordonnances faites en leur nom...en une seule année.

*Source Caisse Nationale de l’Assurance Maladie.

Le principe du Tiers-payant

Mélanie Sahuc va porter plainte dès le lendemain. « C’est une vraie arnaque à la Sécurité Sociale, se désole-t-elle. D’autre part, quand une pharmacie porte plainte après avoir commandé un médicament via une fausse ordonnance, la Sécu peut suspendre les droits et ne pas rembourser l’officine du prix du médicament ». Elle déplore : « Ce genre d’arnaque peut facilement plomber la trésorerie d’une structure et mettre certaines en péril ».

La professionnelle rappelle comment fonctionne le tiers-payant dans une pharmacie. « En fait, c’est nous qui faisons l’avance aux patients. Nous achetons les médicaments, nous les donnons aux personnes et la Sécu nous rembourse ensuite. C’est ça le tiers-payant. C’est le principe d’un tiers, à savoir nous, qui paie pour le patient avant d’être remboursé à notre tour par l’État ».

« De grands pays à l’instar des États-Unis n’ont pas la chance que nous avons en France. Là-bas, les malades ont non seulement la charge de leur maladie mais aussi la charge financière pour la traiter. En France, nous sommes libérés de ce soucis là. Il faut vraiment avoir conscience de ça ». Mélanie Sahuc

Selon un article de France Info : « En mai dernier, 14 personnes ont été condamnées par le tribunal de Mulhouse. Le couple à la tête du réseau, qui envoyait les médicaments vers l’Égypte, a écopé de sept ans de prison. Le jeune homme recruté sur les réseaux sociaux pour aller chercher les médicaments avec une fausse ordonnance a été, lui, condamné à un an de prison dont six mois ferme ».

Que dit la loi ? Source Beaubourg-avocats.fr

Même sans posséder la qualité de professionnel de santé, vous pouvez être sanctionné pour faux, usage de faux ou tentative de faux ou usage de faux.

  • L’article L. 114-13 du Code de la sécurité sociale, réprime toute tentative d’utilisation ou utilisation de fausse ordonnance dans le but d’obtenir des aides sociales (telles que des allocations ou prestations sociales). Cette infraction est sanctionnée de 5 000 euros d’amende
  • L’article 441-1 du même code peut également s’appliquer à toute personne, y compris celles ne disposant pas de la qualité de médecin. Par exemple, si une personne modifie la date d’une ordonnance. Cette infraction est sanctionnée de 45 000 euros d’amendes et de trois ans d’emprisonnement
  • L’article 313-1 du Code pénal sanctionne la rédaction d’une fausse ordonnance, par un individu n’étant pas médecin. La fausse ordonnance est alors qualifiée comme faisant l’objet d’une escroquerie. Cette infraction est punie de cinq ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende.
  • Si vous êtes salarié, vous pouvez faire l’objet de peines complémentaires disposées par l’article 441-10 du Code pénal, à savoir :
    • « L’interdiction des droits civils, civiques et de famille »
    • L’interdiction « d’exercer une fonction publique »
    • L’« interdiction de diriger, d’administrer, de gérer ou de contrôler, directement ou indirectement (…) une entreprise industrielle ou commerciale ».

« Il est nécessaire de faire quelque chose pour que ces arnaques disparaissent ! »

La pharmacie a déjà été confrontée à d’autres arnaques à l’ordonnance mais pas de cette envergure. « La première fois, c’était avec le somnifère Zolpidem, décrit Mélanie Sahuc. Une femme allait d’officine en officine pour en récupérer. Quand on a regardé son ordonnance, elle avait déjà pris 10 boites en quelques jours alors que c’est normalement deux maximum par mois ».

Elle continue : « Comme dans bien d’autres pharmacies, nous avons eu des ordonnances suspectes concernant le Lyrica. Cet anti-douleur est de plus en plus détourné pour un usage récréatif ». Pris en grande quantité, il provoquerait des sensations de défonce et d’euphorie.

« Il est nécessaire de faire quelque chose pour que ces arnaques disparaissent !, insiste Mélanie Sahuc. Et que les services de l’État comme l’ARS et autres s’y concentrent plus attentivement. Car de notre côté, il nous est impossible de vérifier toutes les ordonnances. Cela signifierait passer 15 minutes au téléphone avec médecins et hôpitaux devant tous les patients en attente au comptoir. Une chose totalement inconcevable ».

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1 commentaire

lun 29/08/2022 - 18:41

il y a un mois, j'ai du acheter un médicament assez cher et le spécialiste m'a délivré une ordonnance spéciale (de type CERFA) et il m'a précisé que c'était en raison du prix de ce médicament. Pourquoi ce type de médicament très cher n'est il pas soumis à cette formalisation qui, si elle est lourde pour le praticien, protège le pharmacien , et du coup la sécurité sociale, et en résumé l'argent public. 

Je renseigne ma commune de préférence :

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