Retenues collinaires : une ébauche de dialogue

Par Annabel Walker , Mise à jour le 08/03/2022 à 17:00

Le débat organisé par RCF et France Nature Environnement n’aura pas mis tous les acteurs d’accord mais il aura eu le mérite d’entamer une discussion de fond.

En Haute-Loire, 27 retenues collinaires sont identifiées dans les bases de l’Agence de l’eau Loire-Bretagne qui perçoit la redevance prélèvement à partir d'un seuil de 7 000 m3 (les plus petites retenues collinaires ne sont donc pas redevables). Cela représente un volume assujetti de 490 000m3 en 2020, la dernière année d’activité. Ces 27 retenues collinaires sont alimentées par ruissellement.
Sollicitée par nos soins, l’Agence de l’eau Loire-Bretagne précise qu'elle ne peut pas fournir les coordonnées de localisation de ces 27 retenues collinaires pour des raisons de secret statistique (très faible nombre de données par commune).Par ailleurs, trois projets ont été soumis à déclaration auprès de la DTT de la Haute-Loire en 2021 (aucune autorisation actuellement pour 2021).  

Après la venue en Haute-Loire du ministre de l’agriculture, Julien Denormandie, le 4 novembre 2021, pour signer le protocole départemental sur les retenues collinaires, les tensions sont restées vives dans les milieux de l’agriculture et de l’environnement. Aussi, la radio RCF Haute-Loire et France Nature Environnement (FNE 43) ont organisé une table ronde sur le thème "Retenues collinaires : une solution pour l'agriculture ?". L’enregistrement a eu lieu en public le jeudi 24 février à la maison de la Providence au Puy-en-Velay pour une diffusion deux jours plus tard sur RCF Haute-Loire.

> Réécoute ici (47 minutes)

D’un côté, les défenseurs des retenues collinaires : la Chambre d'Agriculture (Yannick Fiallip – Président) et les Jeunes Agriculteurs de Haute-Loire (Guillaume Avinain - Secrétaire Général). De l’autre, leurs détracteurs : France Nature Environnement 43 (Renaud Daumas-Vice Président), Haute-Loire Bio (Hervé Fayet - Président) et SOS Loire Vivante (Simon Burner – Directeur). Et au milieu le Syndicat Interdépartemental de Gestion de l’Alagnon et de ses affluents SIGAL (Guillaume Ponsonaille – Directeur).

Tension dès l’entame

Le simple fait d'avoir réuni tous ces acteurs autour d’une même table est une prouesse. D'ailleurs, jusqu'au dernier moment, certains participants ont hésité à venir. En premiers propos, Yannick Fiallip a reproché à RCF de ne pas avoir invité plus d’acteurs, comme les services de l’Etat, opposant ainsi les groupes d’intérêt et “segmentant” le débat comme le font, selon lui, certains médias nationaux comme des chaînes d’information continue. Stéphane Longin, le directeur d’RCF en Auvergne, s’est défendu d’une telle posture.

Dans un premier temps, il a été défini ce qu'est une retenue collinaire (à ne pas confondre avec un barrage) : un stockage de l’eau dans des périodes exédentaires pour un usage déterminé à un moment déficitaire. Le Syndicat Interdépartemental de Gestion de l’Alagnon et de ses affluents a fait part de sa synthèse bibliographique des éléments de connaissance acquis jusqu’ici sur le sujet ainsi que les lacunes en la matière. 

Les périodes de pâturage du bétail sont allongées de 15 jours en automne et 10 jours au printemps.

La Chambre d’agriculture, elle, a demandé un rapport à Météo France sur les 30 dernières années et les 30 prochaines années. Celui-ci entrevoit un réchauffement climatique en Haute-Loire avec des hivers moins longs et une stabilité des cumuls de précipitations, voire une légère hausse, toutefois de manière ératique avec des périodes très arrosées et d’autres très sèches. Des programmes de recherche et développement sont donc en cours pour envisager des variétés plus adaptées, moins consommatrices d’eau. 
Pour la gestion de l’eau, les programmes prévoient des retenues collinaires de 1 000 à 30 000m3. Yannick Fiallip a rappelé que c’est la direction qu’a donné le président de la République lors du Sommet de l’élevage. Il souligne que la France irrigue 7% de ses terres agricoles contre 18% pour l’Espagne. L’objectif de la Chambre d’agriculture est de voir émerger cinq à dix retenues collinaires par an dans ce département qui compte environ 4 000 agriculteurs. Celles-ci servent à irriguer du maraîchage, des petits fruits rouges, ou du stock fourrager (au lieu de devoir l’acheter ailleurs, voire même de l’étranger comme l’Espagne qui irrigue).

"Une pseudo concertation"

Pour l’association SOS Loire Vivante, Simon Burner a reconnu que les retenues collinaires de Haute-Loire sont bien plus petites que celles que l’on peut voir par exemple dans le marais Poitevin avec des pompages directement dans les nappes phréatiques. Elles sont alimentées par ruissellement ou par des sources. Simon Burner souhaite donc faire du cas par cas mais il regrette que le dialogue n’existe pas aujourd’hui. Il qualifie le protocole signé le 4 novembre de “pseudo concertation”, tout comme le Varenne de l’eau agricole au plan national avec des conclusions non partagées au bout de six mois de discussions. Il espère que l’objectif n’est pas de produire du maïs en Haute-Loire. Il rappelle que selon la législation, l’eau doit d’abord être destinée à servir d’eau potable, puis aux écosystèmes et enfin aux usages dont agricoles.

L’association France Nature Environnement 43 a été partie prenante du protocole départemental. Son vice-président Renaud Daumas (également conseiller régional EELV) acquiesce, le qualifiant de simulacre. FNE a émis de nombreux doutes sur la version initiale du protocole. Elle a proposé des alternatives qui n’ont pas été retenues donc l’association n’a pas signé le protocole.
Renaud Daumas souhaite aussi éviter que les retenues collinaires ne servent à irriguer des champs de maïs érigés en vecteur d’autonomie alimentaire alors que le maïs ne présente qu’un faible intérêt nutritionnel pour le bétail, devant être complété bien souvent par du soja, souvent transgénique et importé d’Amérique du Sud.

Pour les Jeunes Agriculteurs, Guillaume Avinain a rappelé que ces retenues collinaires ne profitent pas qu’aux seuls agriculteurs puisque la mission d’un agriculteur c’est de nourrir la population et les bêtes. Il précise que si l’on n’exploite pas la réserve d’eau en France, on est alors obligé d’importer de l’étranger.

Yannick Fiallip, lui, utilise une retenue collinaire de 40 000m3 pour irriguer ses champs de maïs, blé et prairie afin d’alimenter ses vaches laitières. Il souligne qu’il a non seulement un impératif de qualité mais aussi de quantité pour satisfaire la laiterie Richesmonts de Brioude et sa raclette leader sur le marché (représentant un millier d’emplois). Idem pour le Saint-Agur de Beauzac (également du groupe Savencia). Si les producteurs locaux ne produisent pas suffisamment, il craint que ces industriels ne délaissent la Haute-Loire. 
Quant aux méthodes, Yannick Fiallip en a assez que certains se disent plus vertueux que d’autres. Pour lui, il existe différents modèles agricoles sans que l’un ne soit meilleur que l’autre. Il rappelle que 100 % des producteurs bio de fruits rouges de Haute-Loire irriguent.

« Si on se sert de l’eau pour utiliser toujours plus d’engrais, on n’en aura jamais assez ! » Hervé Fayet

Le président de association Haute-Loire Biologique et producteur de volailles bio, Hervé Fayet, dit avoir connu la production de fraises en plein champs sans irrigation dans les années 1970. Aujourd’hui, elles sont produites dans des bacs hors sol : « On ne peut plus parler de terroir, elles ne touchent même pas le sol ; par contre elles consomment des quantités d’eau astronomiques. »
Pour lui, plus on utilise d’engrais (nitrates, ammoniac, urée… qui iront polluer les milieux aquatiques finissant en eau potable) plus on a besoin d’eau et on participe à la sécheresse. Hervé Fayet souhaite absolument éviter que des retenues collinaires ne servent à produire du maïs ou autres cultures destinées à alimenter des méthaniseurs. Il trouve aussi dérangeant que de l’eau qui tombe pour tout le monde ne soit captée par certains et ne devienne ainsi privée. Il ne souhaite pas suivre l’exemple de l’Espagne « qui a coupé des montagnes en deux pour faire des lacs et couvert des plaines de serres pour de la production intensive ». 

Avec 17 projets de retenues collinaires agricoles financées ou en cours de financement en Haute-Loire sur les 280 à l’échelle régionale, la Haute-Loire n’est pas le département le plus concerné en Auvergne Rhône-Alpes comparé, par exemple, à l’Ardèche et ses 54 projets.” Préfecture de la Haute-Loire

Guillaume Ponsonnaille (SIGAL), lui, regrette que certains projets ayant très peu d’impact local soient érigés en symboles d’une réflexion à l’échelle nationale sans que les uns et les autres ne discutent car ils ne parlent pas le même langage. Il a été démontré qu’un excès de retenues collinaires assèche un territoire. Pour ne pas atteindre ce maximum, avance-t-il, ne vaut-il pas mieux se développer selon un schéma commun plutôt que de laisser jouer le « premier arrivé, premier servi » ? 
Simon Burner (SOS Loire Vivante) regrette, à ce propos, qu’il n’existe pas de référencement complet des retenues collinaires à vocation agricole en Haute-Loire, ni dans les autres départements d’ailleurs, avec leurs volumes et usages précis. Une affirmation démentie par Guillaume Avinain qui indique que chaque retenue collinaire est soumise à autorisation préfectorale. Qui plus est, chaque m³ d’eau qui en sort est enregistré par un compteur ; c’est une obligation. Des données remontées à l’Agence de l’eau Loire Bretagne. Mais ce sont des données sur les impacts que Guillaume Ponsonnaille aimerait voir.

« On ne pose pas la même question aux jardiniers qui ont des cuves dans leurs potagers » Yannick Fialip

Yannick Fialip rappelle que le protocole départemental a été signé en accord avec l’Agence de l’eau Loire Bretagne et l’OFB (Office français de la Biodiversité). Il prend l’exemple d’une retenue en Haute-Loire qui, selon les calculs réalisés, a stocké seulement 2/1000e de l’eau tombée dans l’année. « On ne pose pas la même question aux jardiniers qui ont des cuves dans leurs potagers », remarque-t-il.
Même s’ils sont très nombreux, ces jardiniers ne sont pas concentrés au même endroit, réagit Renaud Daumas, « tout est une question d’échelle ». Le maraicher disposant d’une cuve de récupération d’eau de 1000m3 rappelle que certains projets de retenues collinaires en Haute-Loire peuvent atteindre 70 000m3.

Une eau stagnante, plus chaude, eutrophiée et qui s’évapore

Concernant l’intérêt des retenues collinaires en matière de biodiversité, Renaud Daumas pointe des « trous d’eau bâchés qui n’attirent que deux canards égarés ». Yannick Fialip répond qu’il n’y a pas de retenue collinaire bâchée en Haute-Loire.

Citant des études américaines, Guillaume Ponsonnaille indique que, en milieu tempéré, 40 à 60 % de l’eau stockée en surface part par évaporation (ce que Yannick Fialip conteste de par son expérience personnelle, déplorant le « parti pris » selon lui de Guillaume Ponsonnaille). Par ailleurs, l’eau stagnante se réchauffe (devenant impropre à accueillir certaines espèces), perd son oxygène et développe des nutriments (eutrophisation). 
A l’inverse, Yannick Fialip met en avant la biodiversité des retenues collinaires : « les chasseurs sont contents qu’il y ait des canards et les associations de pêche y font des initiations ». Il précise également qu’un accord avec le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) permet aux pompiers de pomper de l’eau dans les retenues collinaires sans demander d’autorisation préalable.

Revenant sur son objectivité basée sur la bibliographie disponible à ce jour, Guillaume Ponsonnaille estime qu’il ne faut ni jouer les vierges effarouchées à la moindre retenue collinaire (le principe existe depuis des siècles), ni les considérer comme un remède miracle. 

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