La criminalité au féminin dépeinte dans le dernier livre du juge Gilbert Thiel

Par MFi , Mise à jour le 21/04/2025 à 06:00

De passage en Haute-Loire à l’occasion du salon Livrévasion à Arsac-en-Velay, la célèbre figure de la magistrature française Gilbert Thiel, qui a notamment instruit les affaires retentissantes de Guy Georges et de Simone Weber, a accordé un entretien à Zoomdici. Dans son dernier livre intitulé Femmes criminelles, l’ancien juge d’instruction, spécialisé pendant 19 ans dans la lutte anti-terroriste, y dépeint le portrait de cinquante tueuses.

Qu’est-ce qui a motivé l’écriture d’un livre exclusivement dédié à la criminalité au féminin ?

Gilbert Thiel : « En 2023, j’ai sorti un bouquin exclusivement consacré aux tueurs en série masculins, à une exception près, lorsque j’ai évoqué le cas de Michel Fourniret, je n’ai pas pu ne pas parler de son épouse Monique Olivier. Je me suis dit qu’on pourrait me reprocher de graves manquements à la parité. Donc j’ai décidé de publier un ouvrage relatif exclusivement à des femmes qui m’ont paru très méritantes dans le domaine du crime. »

Des tueuses en série, des empoisonneuses, des mafieuses et terroristes, des écorcheuses, des tronçonneuses, des tueuses d’enfant…

Quelle période couvre ce livre ?

« On remonte assez loin, jusqu’aux femmes des fils de Clovis, Frénégonde et Brunehaut. Cela permet de parler des femmes au pouvoir, parce qu’on disait qu’à l’époque des Francs c’était une " monarchie absolue tempérée par l’assassinat " et ces deux femmes ont fait assassiner comme les hommes des tas de gens.

Après on passe directement au siècle des Splendeurs Versaillaises avec la Marquise de Brinvilliers et " l’affaire des poisons " où l’on va voir la justice royale se crisper plus on va remonter vers les nobles et vers la cour du Roi Soleil, jusqu’à éventuellement Madame de Montespan. »

Le terme « poudre de succession » vient de la marquise de Brinvilliers qui empoisonnait à l’arsenic.

« Puis il y a les affaires du XIXe siècle, avec notamment Hélène Jégado, la bonne du curé, qui a une carrière criminelle de 30 années. Je me suis penché aussi sur quelques tueuses en série de l’ère victorienne en Grande-Bretagne, ou sur le cas de Nanny Doss qui dans les années cinquante a tué 4 de ses 5 maris, seul le premier en a réchappé. C’est que l’encre de la police d’assurance souscrite par le mari n’était pas sèche qu’il était déjà envoyé ad patres… J‘évoque aussi l’affaire de Marie Lafarge, soupçonnée d’avoir empoisonné son mari avec des pâtisseries qu’elle avait fait envoyer depuis la Corrèze jusqu’à Paris où il se trouvait, donc à 3 jours de diligence, sans climatisation ni pasteurisation… Cela correspond à la première expertise toxicologique qui est intervenue en France, en 1840. 

Plus récemment, je cite une autre affaire d’empoisonnement, celle de Rodica Ngroiu, qui était une infirmière roumaine qui a tué un de ses compagnons et un de ses maris avec de la digitaline.

Et il y a aussi l’affaire Simone Weber, que j’ai instruite, qui a défrayé la chronique dans les années quatre-vingts. Ce qui a choqué, c’est le mode opératoire par lequel il faut faire disparaître le corps, cette dame ayant découpé le corps de son ancien amant à l’aide d’une disqueuse. Cette affaire-là m’a démontré ce que je pensais déjà mais que les femmes d’une manière générale étaient plus résilientes, résistaient mieux à la pression de l’interrogatoire et la pression de la garde à vue, et qu’elles étaient plus imaginatives dans le mode d’administration du crime. »

Quand je raconte la Marquise de Brinvilliers, je ne raconte pas la même France que celle de Mme Weber, et quand je raconte la France de Mme Weber, il y a encore beaucoup de distance avec la France des criminelles postérieures.

Comment avez-vous sélectionné les femmes dont vous parlez dans votre ouvrage ?

« Il y en quatre dont j’ai instruit les affaires. La plupart d’entre elles, pour ne pas dire la totalité, je ne sais toujours pas pourquoi elles ont fait ça. Pour Simone Weber, si, j’ai une idée : c’était une jalousie maladive, c’était une véritable volonté de possession qui ne peut aboutir qu’à la négation de l’autre. Mais pour Henriette Peytraud qui a tué son mari d'un coup de fusil dans la bouche alors que celui-ci ronflait devant la télévision, je n’ai jamais su véritablement pourquoi elle avait ça. De la même façon que pour Laurence Bailly qui avait mis le feu à la chambre de ses deux enfants. Quand elle est passée aux aveux, malgré les affirmations qui étaient les siennes pour essayer d’expliquer son geste, je ne sais pas pourquoi elle a fait ça. Donc c’est toute la limite du fonctionnement de l’institution judiciaire. Des fois, on n’arrive pas à démontrer la culpabilité, dans ce cas il vaut mieux acquitter ou rendre un non-lieu, et puis des fois en termes d’imputabilité de l’acte, on arrive parfaitement à dire qui a fait quoi, mais on ne sait pas pour quelle raison. »

Il ne faut pas se fixer uniquement sur le mode opératoire, il faut également rechercher les mobiles du crime.

N’est-ce pas frustrant voire insoutenable de ne pas obtenir de réponses ?

« C’est un métier dur, quand vous êtes confrontés à la violence humaine qu’elle soit féminine ou masculine. Les pires affaires sont celles dans lesquelles les gosses sont des victimes. Donc il y a la violence des faits, qui peut être extrêmement pénible, et puis il reste parfois effectivement un sentiment de frustration en disant " j’étais certainement pas loin ", mais comme on n’est plus à l’époque de l’Inquisition avec des questions préparatoires posées sous le supplice de la torture, on n’a pas toujours des réponses. Avec ces méthodes-là effectivement on obtenait des aveux, des mobiles, comme on a pu le voir avec la Marquise de Brinvilliers qui a subi le supplice de l’eau (on met un entonnoir, on y met de l’eau, ça détend toutes les chairs, parait-il c’est d’une violence abominable d’après ce que disent les historiens de l’époque), mais ces aveux la plupart du temps ne correspondaient absolument à rien, car obtenus sous la torture. »

Est-ce que vous voyez des différences dans la typologie des crimes perpétrés par des femmes ou ceux perpétrés par des hommes. ?

« De moins en moins. Il y en a qui ont essayé de dire qu’il y a des modes opératoires qui sont plus classiques chez les femmes, je citais l’empoisonnement, mais en réalité pas vraiment. Des femmes qui ont flingué, il y en a.

Quand on regarde un peu dans l’Histoire, au cours de la 2nde guerre mondiale, les spécialistes de la Shoah disent qu’elle a pu atteindre cette ampleur compte-tenu du nombre de femmes nazies qui sont venues prêter la main. De même, quand on se penche sur l’historique des mouvements terroristes et révolutionnaires, on peut citer Nathalie Ménigon et Joëlle Aubron qui ont abattu Georges Besse le directeur de la régie Renault en 1986, on peut citer Gudrun Esslin et Ulrike Meinhof dans la bande à Baader qui a sévi dans les années 70 qui vont faire que Baader va réussir a faire une organisation particulièrement redoutable où tous les commandos qui allaient assassiner des chefs d’entreprise, des magistrats, des flics, étaient composés majoritairement voire exclusivement de femmes. On a retrouvé aussi la même chose dans les Brigades rouges italiennes.

Aujourd’hui avec Daesh, on voit que les femmes ont acquis un véritable statut de mujahidin et qu’elle ne sont plus seulement chargée comme dans Al-Quaida du recrutement  et de la propagande, elles ont le véritable statut de combattante. On estime toujours entre 3, 5 et 5 % la part des femmes dans la délinquance ou la criminalité, les dernières études de la chancellerie démontrent qu’au moment où Daesh avait établi son kalifat sur la zone iraco-syrienne, 17 % du contingent occidental était des femmes. Au cours de l’un des derniers procès, l’une des femmes qui est passée devant la cour d’assises spécialement composée, en 2022 ou 2023, qui était une veuve noire, a bien précisé que ce n’étaient pas ses deux maris qui l’avait entrainée la-bas, mais que c’était elle qui avait fait que ses maris viennent la rejoindre dans cette zone-là. »

Soutenir que la violence est genrée, faisant des femmes les éternelles victimes et des hommes exclusivement des prédateurs, c’est faux, c’est de la propagande idéologique puisque les affaires que je cite le démontrent amplement.

À venir, le prochain ouvrage de Gilbert Thiel, intitulé La Malédiction des Riton, évoquera le cas de personnages plus ou moins célèbres nommés Henri, qui ont pour point commun en plus de leur prénom d'avoir connu un certain nombre de désagréments.

 

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