Un film de Franck Dubosc en avant-première au Ciné Dyke du Puy
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Don d'organe : '''Il ne m’a pas sauvé la vie, il me l'a redonnée'''
Son regard de charbon semble chercher dans un coin de la pièce les mots pour qualifier le geste de son frère. Mais c'est au fond de son histoire qu'elle ira les puiser. Malheureusement, il faudrait bien plus que ce petit article pour toute la raconter. Tant pis, on fera avec ces quelques mots et ces quelques phrases. Une poignée de minutes pour s'immerger dans son intimité, ses souffrances et sa résurrection.
Sa première vie, avant 2009
On dit souvent qu'il y a un avant et un après quand on parle d'un élément charnière de l'Histoire ou de sa propre histoire. Pour Marion, 38 ans aujourd'hui, il y a un avant, un après et un second après. Son "Avant", c'était jusqu'en 2009. Sa vie était comme toutes les vies, sans gros soucis ou alors seulement ceux qu'on élucide un peu tous les jours, un peu chaque semaine, ces petits barbelés qu'on démêle sans cesse à mesure que notre temps passe. En 2006, du haut de ses 24 ans, elle quitte sa résidence de Clermont-Ferrand pour venir s'installer dans la cité ponote. "Je suis née à Lyon mais ma famille et moi avons presque toujours vécu dans le Puy-de-Dôme, précise-t-elle. Moi, j'ai débarqué au Puy-en-Velay pour le travail. À ce moment-là, j'avais décroché un job chez Top Annonce comme technico-commerciale jusqu’en 2008".
"À partir de là, ma descente aux enfers commence"
En février 2009, elle change d’entreprise et s’installe chez Paru Vendu. Quelques mois plus tard, alors que tout allait bien la veille, elle se réveille le lendemain avec "dix litres d'eau dans mes jambes et mon visage si gonflé qu'il en était totalement déformé, partage-t-elle. Mes chevilles débordaient des chaussures. Je ne comprenais pas ce qu'il m'arrivait. Tout était si soudain !"
Le médecin de l'époque comprend rapidement que le problème pourrait venir des reins. "Je me suis faite hospitaliser pour la première fois de ma vie à 27 ans, se rappelle Marion. Pendant quinze jours, je suis restée au CHU de Clermont notamment pour effectuer une biopsie rénale et des examens en tout genre. Les soignants n'ont jamais réussi à savoir ce qu'il m'était vraiment arrivée. Mais au bout de quelques jours, mon état s'est stabilisé à l'aide de médicaments que je prenais quotidiennement".
Marion occupe son poste chez Paru Vendu pendant deux ans sans que son état de santé ne lui interdise quoi que ce soit. Mais c'est en 2011 que le premier "Après" surgit. Cette année-là, elle se fait une nouvelle fois licencier pour raison économique. "À partir de là, ma descente aux enfers commence", partage-elle les yeux brillants.
----Le don d’organes en France, c’est :
- 1 729 donneurs d’organes issus de 3 470 décès cérébraux en 2019
- 1 902 dons de moelle osseuse en 2017
- 2 000 personnes ont besoin de cette greffe chaque année en France
- 533 donneurs vivants en 2019 ont donné une partie de leur foie ou l’un de leurs reins.
Les organes transplantables : poumon, cœur, bloc poumon/cœur, pancréas, tissus, cornée, tendon, ligament, ménisque, tête de fémur, artère et veine, peau.
La compatibilité entre un donneur de moelle osseuse et un receveur hors famille est d’une chance sur un million. Elle est d’une chance sur quatre au sein d’une même fratrie.-----"J'ai vite saisi qu'à présent, tout le reste de ma vie tournerait autour de la dialyse"
"J'ai commencé à multiplier les séjours à l'hôpital car rien n'allait, confie Marion. Je ne sais pas combien de fois j'y suis retournée, mon état de santé était en dents de scie total. J'ai réussi tout de même à faire une formation de comptabilité à Cégéco pour me sortir de ce quotidien et pour augmenter mes chances de retravailler un jour. Durant l'année 2012, j'ai dû faire des échanges plasmatiques pendant six mois."
En mai 2013, elle se fait hospitaliser d'urgence pour déshydratation sévère. "Là, le docteur Garrouste de l'hôpital du Clermont m'annonce qu'il va falloir me dialyser. Au début, je ne comprenais pas vraiment ce que cela impliquerait dans mon quotidien. J'ai vite saisi qu'à présent, tout le reste de ma vie tournerait autour de la dialyse."
Si la plupart des dialysés gardent tout de même leurs reins, Marion a dû se faire ôter les deux ; le premier en décembre 2013, le second en février 2014. Si la majorité des malades doit subir une dialyse de 4 heures tous les deux jours, Marion viendra tous les jours à l'hôpital Émile-Roux pendant 2h30 se faire nettoyer la totalité de son sang.
3 388 heures de dialyses
1 355. C'est le nombre de dialyses qu'elle subira entre le 1er mai 2013 et le 19 décembre 2018. "Je faisais cinq dialyses par semaine car je m'accordais le jeudi et le dimanche comme jour sans, explique-t-elle. Si je n'y allais pas pendant trois jours, je me mettais en danger de mort."
1 355 ou 3 388 heures de dialyses. "Mon petit frère voyait bien ce boulet que je traînais au pied tous les jours. Et dès le début, il m'a proposé de me donner l'un de ses reins. J'ai toujours refusé ! C'était impensable pour moi. Je souhaitais le rein d’une personne décédée pour éviter à Nico de risquer sa propre vie, son propre avenir, pour sauver le mien."
Marion demande alors à être inscrite sur la liste des receveurs. "Avant que l'Agence de Biomédecine valide ou pas, il faut faire un tas d’examens médicaux. Ce n’est pas un simple formulaire à signer comme ça." Ensuite ? Ensuite c’est l’attente. Interminable, cruelle, infinie. "Je suis restée plus de 5 ans à sursauter à chaque fois que mon téléphone sonnait. J’espérais plus que tout que l’on m’annonce un rein pour moi".
----Tous donneurs
Depuis la loi Caillavet de 1976, renforcée et précisée en 2016, le principe du consentement présumé s'applique. En d'autres termes, qui ne dit mot consent. "Toute personne est considérée comme consentante au don d'organes et de tissus après sa mort dès lors qu'elle n'a pas fait connaître, de son vivant, son refus d'un tel prélèvement".
Pour tout savoir sur le don d'organes, vous pouvez visiter le site de France ADOT.-----"Moi, je ne voulais qu'une chose. Qu'il ne soit pas compatible"
1 355 ou 142 jours complets. Lasse d'attendre, lasse des dialyses qui s'additionnent sans cesse, elle demande au cours de l'année 2017 si la proposition de son petit frère tient toujours. "Au moment où je lui partage mon ressenti, il a tout de suite commencé les démarches, sourit Marion. Il a dû à son tour voir tous les spécialistes pour avoir l'aval des médecins et celui du tribunal de grande instance pour une validation finale. Moi, je ne voulais qu'une chose. Qu'il ne soit pas compatible afin de lever tous les doutes et mettre à néant d'éventuels regrets." Résultat de l'analyse, les reins de Nicolas ne sont pas juste compatibles mais hyper compatibles.
Le 20 décembre 2018, le début d'une nouvelle vie
Le 19 décembre 2018, Marion effectue sa toute dernière dialyse. Le lendemain, ce sera le fameux second "Après". Car c'est le 20 décembre de cette même année qu'un petit frère donnera un morceau de lui à sa grande sœur.
"On a été opéré le même jour, évoque-t-elle. La veille, on était tous les deux dans les escaliers du CHU de Clermont à fumer des cigarettes en cachette et à parler de tout ça, de ce qui nous arrivait, ce qui pourrait arriver. Et puis on est allé se coucher. J'avais demandé à ce qu'on me réveille le lendemain pour faire un bisou à Nico avant son opération mais sa chambre était déjà vide. Je pleurais comme jamais car on sait jamais ce qu’il peut arriver lors d’une intervention chirurgicale. À mon réveil, j'ai su que tout s'était bien passé, que mon frère se remettait très vite et que son rein, mon nouveau rein, fonctionnait parfaitement".
Plus de maux, pas de mots
À présent, Marion travaille dans une entreprise du Puy-en-Velay le matin et garde des enfants l'après-midi. Elle ne va plus qu'une fois par an à l'hôpital pour un suivi de routine. Et ses analyses sont, d'après elle, aussi bonnes que celles d'un bien portant.
"Mon rein, je l'appelle mon Nico, livre Marion. J'ai un morceau de mon petit frère en moi. Pour lui, c'était comme s'il m'avait juste offert un cadeau de Noël tout bête. Il n'en parle pas beaucoup et ce n'est pas un grand bavard de toute façon. Mais si je dois exprimer ce que je ressens sur son geste, je me retrouve sans mot moi aussi. Il n'y a pas de vocabulaire assez grand ou précis pour ça. En fait, il ne m'a pas sauvé la vie, il me l'a redonnée".
Nicolas Defay
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