Des brebis pour délier les langues et porter un message
Elles s'appellent Barricade, Cerise, Grenouille ou Zadinette. Leurs gardiens, Sushi et Sashi. Leurs bergers, Claire et Sylvain. Elles, ce sont " Les Brebis des Sucs", un troupeau d'une vingtaine de brebis blanches ou noires qui pâturent depuis bientôt deux mois maintenant tout au long du futur tracé de la RN 88. Elles appartiennent à des particuliers, des syndicats ou des associations qui ont chacun versé 130 euros dans la caisse de la lutte des sucs, comme marque de soutien à ce collectif qui se bat depuis plus de deux ans contre le projet de déviation de la RN88.
" Un troupeau de brebis c'est apaisant et pacifique et ça permet de délier les langues " Sylvain, berger et militant
Pour Sylvain, " la présence de ces animaux le long du tracé, permet d'apaiser la situation et surtout d'ouvrir le débat avec les riverains concernés ainsi qu'avec les touristes que l'on rencontre lors des pérégrinations du troupeau". Et de poursuivre : " La situation est inquiétante, aujourd'hui, en France. Le dialogue se ferme. Nous, on refuse d'être fatalistes, on refuse cette évolution. On constate sur le terrain que les gens ont besoin de dialoguer, d'être informés, de partager leur avis quant à ces grands travaux qui bouleversent leur quotidien. Un troupeau de brebis, c'est apaisant et pacifique, ça aide à délier les langues".
" On ne pourra sauver l'emploi local qu'en s'appuyant sur des ressources produites localement "
A l'issue de cette nouvelle journée de mobilisation de la lutte des sucs, chaleur de l'été oblige, les brebis seront tondues et leur laine récoltée. L'occasion, pour Sylvain, le berger et pour l'ensemble du collectif, d'élargir l'empan de leur lutte à certains choix économiques : "Le système économique actuel ne sait plus valoriser le travail des bergers. Beaucoup de mes collègues ne savent quoi faire de leur laine, qui finit par être jetée. Pour moi, c'est une matière première qui doit être employée et donc trouver un débouché. On à la chance, en Haute-Loire, à Saugues, d'avoir la dernière entreprise française de lavage de laine.Il est urgent de sauvegarder cette filière artisanale, et d'employer localement une matière première produite localement". Et de conclure, enjoué et persuasif : " On ne pourra sauver l'emploi local qu'en s'appuyant au maximum sur des ressources produites localement".
La déroute des routes ?
Une autre logique économique, donc, plus proche des réalités locales et plus respectueuse de l'environnement et des habitants d'un territoire. C'est également l'une des revendications de "La Déroute des Routes", cette nouvelle coalition nationale qui regroupe l'ensemble des collectifs français en lutte contre les projets d'infrastructures routières.
Les militants de la lutte des sucs accueillaient ce week-end, certains de ses membres venus d'Alsace, de Rouen ou de Montpellier pour les soutenir, persuadés qu'en Haute-Loire, comme dans toute la France, " les projets routiers obéissent à la même logique et servent les mêmes intérêts tout en tournant le dos aux enjeux environnementaux actuels".
" Les routes ne désenclavent aucun territoire à l'heure où le prix des carburants n'a jamais été aussi élevé " Hélène, de la coalition de la Déroute des Routes
Pour Hélène, venue de Montpellier, " le projet de la RN88, fait partie des 55 projets routiers qui pourraient venir noircir encore le tableau des destructions et autres pollutions à mettre au compte de la politique du tout-routier menée depuis des décennies dans notre pays". Elle tient surtout, en s'adressant aux altiligériens, à lever un malentendu, trop souvent mis en avant, selon-elle par les autorités : " Les routes ne sont jamais des solutions locales à des problèmes locaux, mais des infrastructures pensées au service d'une certaine logique, dépassée, de développement économique. Elles ne désenclavent aucun territoire, à l'heure où le prix des carburants n'a jamais été aussi élevé, elles ne fluidifient pas le traffic, mais au contraire, le densifient encore plus".
" L'argument qui consiste à nourrir la croyance que le progrès et les développements économiques passeraient uniquement par la construction routière est un mythe "
Quant à l'argument, qui consiste à " nourrir la croyance que le progrès et le développement économique passeraient uniquement par la construction routière", Hélène le balaie d'une main : " c'est un argument qui se base sur un mythe, celui qui cherche à nous faire croire que le désenclavement ne passerait que par la construction d'infrastructures routières afin de connecter les villes".
Et de citer en exemple, pour appuyer ses propos, deux villes auvergnates : " Moulins, desservie par plusieurs autoroutes s'est transformée en cité-dortoir, alors qu'en parallèle Aurillac, que l'on dit enclavée, car ne disposant pas d'autoroute, conserve une certaine dynamique sociale et économique".
" Avec le projet 2X2 de la RN 88, Le-Puy peut devenir une potentielle cité-dortoir"
La militante tient donc à alerter les altiligériens : " Avec le projet 2X2 de la RN 88, Le Puy à toutes les chances de suivre la voie de Moulins. Elle peut devenir une potentielle cité-dortoir de Saint-Etienne voire même de Lyon !". Et de conclure ainsi : " Les routes ne sont pas au service des populations locales comme on voudrait nous le faire croire. Les routes sont politiques. Elles sont au service d'un modèle d'aménagement du territoire et de développement économique qui favorise le transport routier et condamne les habitants à n'utiliser que ce mode de déplacement ,coûteux et polluant!".
" On peut dire qu'aujourd'hui, l'utopie a changé de camp" Sylvain
"Une démonstration pertinente et qui tape dans le mille" pour Sylvain, qui aura le mot, ou plutôt la formule de la fin : " En fait l'ensemble de nos arguments sont appuyés par les sciences du vivant et la Géographie, alors que ceux des autorités relèvent de vieilles croyances : on peut dire qu'aujourd'hui, l'utopie a changé de camp!".
Un été de lutte, de fête et de causette placé sous le signe de l'espoir
Une nouvelle enquête d'utilité publique concernant le projet 2X2 de la RN 88 aura lieu entre le 12 juillet et le 12 août prochains. Le vote se fera par voie électronique. L'élu à la Région AURA, Renaud Daumas, regrette que celle-ci ait lieu au moment où " les gens en vacances ont d'autres choses en tête" et les militants de la Lutte des Sucs appellent les personnes intéressées à prendre contact avec eux pour disposer d'un maximum d'éléments à même de leur permettre de se prononcer en connaissance de cause.
Trois recours contre les travaux ont déjà été déposés devant le Tribunal administratif. Le collectif a retrouvé depuis peu un peu d'optimisme. L'espoir vient d'Alsace, plus précisément de Châtenois, dans le Bas-Rhin, où une association écologiste locale est parvenue à faire annuler par le Tribunal Administratif justement, la notion d'interêt public pour un projet routier de contournement. La délivrance de l'autorisation environnementale a donc été annulée et les travaux, débutés en 2019 ont dû s'arrêter. Cette décision judiciaire fera-t-elle jurisprudence? Les militants gardent espoir.
En attendant, le Collectif de la Lutte des Sucs organisera cet été plusieurs évènements festifs et revendicatifs aux étangs de la plaine à Rosières. Quant à Sylvain, il continuera à faire paître ses brebis le long du futur tracé et espère rencontrer les riverains du projet, tous les mercredis de l'été, à 14 heures, près du cimetière du Pertuis, à l'occasion des " Mercrebis". Histoire de leur faire rencontrer Barricade, Cerise, Grenouille ou Zadinette et de " taper la causette".