Le 12 janvier 2025, les élèves de deux lycées ponots ne pouvaient pas louper les stickers rose bonbon placardés devant leur établissement scolaire : « L’éducation affective et sexuelle, c’est ton droit, réclame-la à tes profs ! » pouvait-on y lire en lettres capitales. Près de 100 collèges et lycées ont été visés dans plusieurs villes de France.
Des bénévoles de l’association Mouv’Enfants militent pour l’application de la loi EVARS (Éducation à la Vie Affective, Relationnelle et Sexuelle). Cette loi date de 2001 mais seulement 15 % des élèves en bénéficient. Pour Arnaud Gallais, le président de l’association Mouv’Enfants, il est nécessaire que cette loi soit réellement appliquée partout.
Que dit la loi EVARS ?
L'éducation à la sexualité est inscrite dans le Code de l'éducation (articles L. 121-1 et L. 312-16) depuis la loi n° 2001-588 du 4 juillet 2001.
L'article L. 312-16 prévoit : « Une information et une éducation à la sexualité sont dispensées dans les écoles, les collèges et les lycées à raison d'au moins trois séances annuelles et par groupes d'âge homogène. Ces séances présentent une vision égalitaire des relations entre les femmes et les hommes. Elles contribuent à l'apprentissage du respect dû au corps humain… ».
« 1 enfant victime d’inceste, de viol ou d’agression sexuelle toutes les 3 minutes »
Le programme éducatif prévu par la loi EVARS, selon ses défenseurs, permettraient d’armer les enfants face aux violences sexuelles en leur donnant l’accès à l’information, ainsi qu’un espace d’expression et d’écoute.
Face aux chiffres alarmants en matière de violences sexuelles avec « 1 enfant victime d’inceste, de viol ou d’agression sexuelle toutes les 3 minutes », la prévention à l’école serait un moyen de lutter contre la pédocriminalité et l’inceste, en aidant dès le plus jeune âge à faire la distinction entre le bien et le mal en matière de sexualité et de rapport au corps.
80 % des violences sexuelles sont commises par des membres de la famille
Quand près de 80 % des violences sexuelles sont commises par des membres de la famille, Arnaud Gallais estime que « l’enfant doit sortir du joug familial » pour s’émanciper des éventuelles pressions et manipulations psychologiques pouvant être intégrées comme normes chez l’enfant, bridant ainsi la parole des victimes.
Aussi, la prévention contre le harcèlement sexuel, les discriminations en raison de l’orientation sexuelle et la notion de genre feraient partie du programme.
L’association Mouv’Enfants, c’est qui, c’est quoi ?
L’association Mouv’Enfants a été fondée en 2023 par Arnaud Gallais (président), Diaryatou Bah (secrétaire) et Raymond Georges (administrateur). En l’espace d’un an, elle compte déjà presque 400 membres et a déferlé la chronique avec des actions choc, souvent axées contre la pédocriminalité au sein de l’Église catholique.
Le président Arnaud Gallais, victime d’inceste et de viols notamment par un prêtre missionnaire durant son enfance, raconte son parcours dans son livre autobiographique « J’étais un enfant » paru en 2023 aux éditions Flammarion. Son vécu l’a amené à se consacrer entièrement à la lutte contre les violences sexuelles et à la protection de l’enfance. En décembre 2023, il a démissionné de la CIIVISE dont il était membre (Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences sexuelles faites aux Enfants), suite à des manœuvres politiques ayant mené à l’éviction du juge Édouard Durand.
La combinaison des forces
Diaryatou Bah, elle, est une militante féministe originaire de Guinée. Elle a pu voir dans cette association des revendications communes à sa propre cause, puisqu’elle est également fondatrice de l’association Espoirs et Combats des femmes contre l’excision et les violences faites aux femmes. Quant à Raymond Georges, il serait devenu cofondateur par « engagement citoyen ».
Cette association, indépendante de tout financement public, parti politique ou syndicat, se donne pour objectif de constituer « une véritable force d’interpellation des pouvoirs publics et du grand public sur les violences faites aux enfants », pouvons-nous lire sur leur site officiel. Elle « agit dans une démarche de coalition et de soutien avec les différents acteurs de la protection de l’enfance et se veut complémentaire aux forces vives déjà présentes au niveau national ».
« Non à l’apprentissage de la masturbation à 4 ans, du changement de sexe à 6 ans, de la fellation et de la sodomie à 9 ans, de l’excitation sexuelle à 12 ans, etc » Tract anti-Evars
Des collectifs de parents dénoncent une incitation au consentement sexuel précoce et au transgenrisme
De nombreux collectifs et associations de parents inquiets se sont montés contre cette loi EVARS, tels que Parents en colère, Mamans Louves, SOS éducation, Parents vigilants ou encore ONEST (liste non-exhaustive).
Au moyen de pétitions, tractage, collage et réinformation sur internet (considérée comme campagne de désinformation par les pro-EVARS), ils appellent à la mobilisation des parents pour contrer ce programme qui serait, selon eux, une « incitation au consentement sexuel précoce et au transgenrisme ».
Ils dénoncent une volonté politique d’amoindrir l’autorité parentale pour donner le plein-pouvoir à l’État sur la moralité des enfants en matière de sexualité, dans le but de pervertir les enfants. « Non à l’apprentissage de la masturbation à 4 ans, du changement de sexe à 6 ans, de la fellation et de la sodomie à 9 ans, de l’excitation sexuelle à 12 ans, etc », peut-on lire sur l’un de leurs tracts.
« Tous vos articles accusant de fake noient le poisson »
En 2014, de violentes polémiques avaient éclaté suite au dispositif « l’ABCD de l’égalité » visant à « lutter contre les stéréotypes et inégalités entre filles et garçons ». Le projet avait alors été enterré suite à la pression de groupes religieux et politiques qui ne partageaient pas ces idées « wokes ».
En Belgique francophone, des incendies et actes de vandalisme contre des écoles publiques ont eu lieu en 2023 dans le cadre de protestation anti-EVRAS (les lettres sont interchangées en Belgique, ndlr), notamment à Charleroi et à Liège.
Le rappeur Rohff, suivi par plus de 870 000 followers sur X, qualifiait le programme d’« immonde », et de « délires de progressistes pervers » dans un tweet. Il réclamait plus de transparence et de clarté : « Tous vos articles accusant de fake noient le poisson. Ce n'est pas ceci… Ce n'est pas cela… mais c’est quoi ? Vous faites exprès d’être vagues ? Soyez clairs, mettez l’intégralité du contenu Evras ne cachez rien, on verra ce qui est fake ou pas ! ».
Depuis novembre 2024, l’offensive d’organisations conservatrices aurait gagné en vigueur suite aux déclarations d’Alexandre Portier, ministre délégué à la Réussite scolaire, selon lesquelles le programme n’était « en l’état pas acceptable ».
« L’extrême-droite conservatrice, des fanatiques religieux et des complotistes »
Arnaud Gallais, comme tous les défenseurs de cette loi, estime qu’il existe une véritable « campagne de désinformation » au sujet du programme EVARS, issue de « l’extrême-droite conservatrice, des fanatiques religieux et des complotistes » afin de garder les enfants sous leur emprise.
Il pense que, dans la mesure où l’on confie l’éducation des enfants au corps enseignant, il est logique que celui-ci assure également l’éducation sur cette part importante de la moralité de l'enfant, le sexe étant tabou dans la plupart des familles, d’autant plus à l’ère d’internet où les sites pornographiques sont de plus en plus facilement accessibles.
« Si j’avais eu accès à des cours sur les violences sexuelles, j’aurais su que j’étais victime de viol. »
Dans tous les cas, « il y a un problème : qu’est-ce qu’on fait ? », pose Arnaud Gallais. « Si j’avais eu accès à des cours sur les violences sexuelles, j’aurais su que j’étais victime de viol. » Il a passé des années à ne pas savoir que ce n’était pas normal. C’est le cas de combien d’enfants ?
Le cadre légal est posé, mais l'application de la loi se heurte à de virulentes contestations
La loi soulève de nombreuses questions de fond :
Dans quelle mesure l’école est-elle plus fiable que la famille ou l’église pour enseigner ce qui est normal en matière de sexualité, quand le milieu de l'enseignement n'est pas exempt de scandales sexuels ?
Quels sont les moyens de défense des familles face à un programme dont ils pourraient contester certains points, en contradiction avec leurs convictions et les valeurs qu’ils souhaitent inculquer à leurs enfants ?
Comment se prémunir des risques d’endoctrinement du corps enseignant sur ces questions fondamentales dans la construction de l’enfant, quand il n’existe pas encore de consensus ?
Des animations de lectures de conte pour enfants par des dragqueens annulées
Un autre problème se pose : au programme de ces cours EVARS, la lutte contre les violences sexuelles se trouve mélangée aux revendications LGBTQ+.
Or, ces dernières peuvent être considérées par les anti-EVARS comme une forme de libéralisme moral ouvrant la porte à toute dérive y compris la pédophilie. C'est pour cette raison qu'en France, des animations de lectures de conte pour enfants par des dragqueens ont été annulées par certaines mairies.
La motivation reste la même : protéger les enfants. De nombreux parents peuvent vouloir prendre part à la lutte contre les violences sexuelles sans pour autant vouloir inculquer ladite « théorie du genre » à leurs enfants.
Or, la loi EVARS englobe toutes ces thématiques à la fois.
Les parents ont besoin d'être rassurés
Entre cadre légal et opinion publique, l’application de la loi reste donc sujette à de vives polémiques, où chaque parti a ses arguments et ses craintes légitimes.
Un dialogue semble nécessaire avec les parents pour clarifier les véritables intentions de ce programme et mettre fin aux malentendus, s’il y en a, de le modifier ou de l’abandonner au profit d’autres solutions pour éviter des actions violentes comme en Belgique.
Julie B