L’arbousier est l’un des rares végétaux à présenter des fleurs et des fruits en même temps. Il fleurit à l’automne et même un an à maturer ses fruits pour l’automne suivant.
La 26e fête des plantes de l’association Jardins Fruités a accueilli plus de 3600 de visiteurs au château de Chavaniac-Lafayette ces samedi 4 et dimanche 5 juin 2022. Parmi les stands et animations, les férus de botanique et simples curieux ont profité de conférences de véritables pointures scientifiques sur des sujets on ne peut plus actuels ; le plus brûlant étant celui du changement climatique.
« Je parle de crise plutôt que de changement climatique, tranche d’emblée Véronique Mure, botaniste et spécialiste de l’écologie des plantes méditerranéennes, parce qu’on s’est trop habitué. » Les différents modèles calculés par le GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) pour 2100 font état d’un climat marqué par les canicules et les sécheresses ; « et pas seulement en Méditerranée, alerte Véronique Mure, mais beaucoup plus globalement. » Cette évolution du climat est d’ailleurs déjà à l’œuvre. Les premiers bourgeons apparaissent de plus en plus tôt. Ainsi, entre les années 1960 et les années 2010, la date moyenne des vendanges a avancé de 18 jours. En 1962, les poiriers (de poires Williams) sortaient de leur état végétatif le 20 avril. En 2022, c’était le 21 mars. Or plus on avance, plus on se rapproche du risque de gel, comme cela a été le cas en 2021 et 2022.
« Là où l’olivier renonce finit la Méditerranée » Georges Duhamel (1918)
Selon le modèle A2 du GIEC, en 2100, les 3/4 de la France auront un climat méditerranéen, contre 9 % de nos jours. La question se pose donc : que planter aujourd’hui ?. Aux dernières municipales en 2020, les candidats ont rivalisé de promesses : un million d’arbres promis à Bordeaux, 900 au Puy-en-Velay par le maire Michel Chapuis. « Un arbre planté aujourd’hui sera adulte dans un climat différent », prévient Véronique Mure. Faut-il donc planter des végétaux méditerranéens ? Pour y répondre, la botaniste demande d’abord à l’auditoire ce qu’est un climat méditerranéen. « Chaud et sec », lance-t-on à raison dans l’assistance. C’est effectivement le seul climat au monde à conjuguer ces caractéristiques en même temps, avec le climat désertique. « C’est la double peine pour les arbres parce quand ils ont chaud ils perdent de l’eau par transpiration, or il n’y a pas d’eau dans le sol. » Et Véronique Mure d’ajouter une autre caractéristique : « des précipitations concentrées sur l’automne et un peu au printemps, mais trop à la fois, ce qui n’est pas utile aux végétaux ». La Nîmoise remarque d’ailleurs qu’il pleut autant dans le Gard qu’à Paris mais avec des répartitions bien différentes.
« Mon arbre fétiche c’est le figuier, confie Véronique Mure, c’est le premier à avoir été domestiqué par l’Homme il y a 11 400 ans. »
« Dans nos climats tempérés, on a l’habitude que la mauvaise saison soit l’hiver, enchaîne-t-elle, mais en Méditerranée la période végétative c’est l’été. » En effet, aucune plante méditerranéenne ne fleurit en été.
Pour absorber de l’eau par les racines, l’arbre a besoin de transpirer. « C’est une tension comme quand on boit à la paille », illustre la botaniste. Or, s’il n’y a pas d’eau dans le sol, les racines vont faire remonter des bulles d’air, ce qui peut conduire à l’embolie (appelée cavitation) conduisant à la mort de l’arbre. Le nombre de cavitations est effectivement monté en flèche les années de canicules en 2003 et 2019. Les plantes les plus vulnérables à l’embolie sont celles liées à l’eau comme l’aulne, le saule ou le peuplier. Les plus résistantes sont le cyprès, le genévrier et le buis, des bois denses.
Pour lutter contre la sécheresse, les arbres peuvent fermer leurs stomates une partie de la journée, les « pores » par lesquels ils transpirent (d’où l’intérêt de n’arroser qu’à des moments où les pores sont ouverts, généralement en début de matinée, sous peine d’arroser pour rien). Seulement, ces pores leur servent aussi à absorber le CO2. Les végétaux sont donc face à un dilemme : mourir de soif ou de faim. Certaines plantes enroulent leurs feuilles. On croit alors bien faire en les arrosant. Mais en fait on va les remettre en activité.
Les espèces méditerranéennes ont développé toutes sortes de stratégies. Elles ont des ports petits, des racines profondes, des feuilles petites et coriaces et un feuillage persistant en hiver ; non pas permanent mais avec plusieurs générations de feuilles pour saisir la moindre belle journée et prendre de l’avance sur le printemps, puis perdre ses feuilles en été pour se pailler. « Sur 705 espèces méditerranéennes arbustives ou arborescentes, seules 12 ont un feuillage caduc », détaille Véronique Mure.
« Le pistachier lentisque est pour moi l’un des champions de la Méditerranée, s’exclame Véronique Mure, même en plein été, il reste d’un vert franc, sans montrer la moindre souffrance. »
Le chêne vert est l’essence dominante en Méditerranée avec 440 000 ha, suivi du chêne blanc avec 280 000 ha, puis du Pin d’Alep, essence pionnière, qui est en train de reconquérir les terres abandonnées par l’agriculture, la sylviculture et le pastoralisme.
Le chêne vert disparaît progressivement et remonte plus au Nord. « À Ivry-sur-Seine, leur arbre de la liberté, qui date de la fin du 18e siècle, est un chêne vert, raconte Véronique Mure, et il est très vigoureux… alors qu’en Méditerranée, ils se meurent. »
Depuis 2011, l’Office national des forêts (ONF) mène des programmes de migration assistée de plantes. C’est le programme Giono (inspiré de la nouvelle L’Homme qui plantait des arbres de Jean Giono). Des hêtres de la Sainte-Baume, près de Marseille, sont plantés plus au Nord de la France. « Mais ce sont des tests, rien n’est sûr derrière », relativise Véronique Mure. D’autant qu’au-delà des épiphénomènes d’expérimentation, le processus naturel d’adaptation climatique prendrait un temps extrêmement long. L’INRA (Institut national de la recherche agronomique) de Bordeaux a fait des analyses ADN des chênes blancs, majoritaires en Europe. Depuis la dernière glaciation, ils ont mis 6 000 ans avant de recoloniser les territoires plus au Nord. « Ce qui coince, c’est que l’échelle temporelle ne correspond pas », constate la botaniste qui met en garde contre les essences miracles. « Tout le monde va se ruer dessus sans réflexion », déplore-t-elle.
Ce qu’elle propose ? « Retrouver de l’attention pour nos paysages et remettre les arbres en capacité d’exprimer tout leur potentiel ». Les plantes sont sorties de l’eau pour coloniser la terre il y a 470 millions d’années. L’homo sapiens, lui, n’existe que depuis 300 000 ans. Les arbres ont donc 1 333 fois plus d’expérience que nous sur cette planète. « Si on met la végétation dans les conditions qui lui permettront de déployer ses stratégies, elle le fera… mais ce ne sera pas forcément sur une échelle temporelle que nous comprenons. »
Un homme dans le public lance alors : « La nature se débrouillera sans nous ! » Réponse de Véronique Mure : « Voilà ! C’est ce que j’attendais que vous disiez ! »