Le seul élément qui fait l’unanimité dans cette affaire c’est qu’il s’agit d’un dossier « complexe », « technique » et dont les tribunaux n’ont pas l’habitude « même dans les régions rurales comme la nôtre », reconnaît Marie Moschetti, la vice-procureure du Puy-en-Velay. Après après traité trois affaires de petite délinquance de façon routinière ce mardi 24 mai 2022, le tribunal judiciaire ponot a consacré près de 2h30 de débats à tenter de dépêtrer les ficelles du droit de l’environnement. L’enjeu : condamner ou non la commune de Séneujols pour avoir détruit 740 mètres de haies et de murets en pierres sèches en juillet 2019 sur le domaine de Chantouin à l’approche du concours national de labour "Les Terres de Jim" des Jeunes Agriculteurs. Des lieux considérés comme habitats de sept espèces protégées : le bruant jaune, le chardonneret élégant, la linotte mélodieuse, la pie-grièche écorcheur, le tarier pâtre, la vipère péliade et la pie-grièche grise, figurant sur la liste rouge des espèces en danger de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
Le dossier démarre le 29 juillet 2019 à partir d’un courrier de signalement à la préfecture de la part des associations LPO Auvergne (Ligue pour la protection des oiseaux), France Nature Environnement Haute-Loire (FNE43) et FNE AuRA. Celles-ci y demandent l’arrêt immédiat des travaux ainsi que la remise en état et préviennent qu’elles pourraient médiatiser l’affaire. « Une lettre de menaces purement et simplement », dénonce l’avocate de la commune Me Aurélie Chambon qui estime que les ONG ont mis la pression sur la Justice : « On veut pouvoir dire qu’on a obtenu la condamnation d’une commune ». « On a essayé de se payer la tête du maire de Séneujols, lance l’élu lui-même, Serge Boyer, à la barre, on a essayé d’enfumer le service d’enquête ! »
> Voir le courrier des ONG au préfet :
Courrier_REN-FNE43-LPO_Destruction haies murets_29.07.2019.pdf
« À ce compte-là, absolument toutes les haies et tous les murets de France sont considérés comme protégés ?! » (Me Chambon)
Le président du tribunal, Patrice Rodriguez, dit vouloir revenir aux faits : « En tant que maire de Séneujols depuis 2008 saviez-vous qu’il y avait des espèces protégées sur ce secteur ? ». « Absolument pas puisqu’il n’y a pas d’arrêté préfectoral de biotope ». C’est là tout le nœud de l’affaire. Pour Marie Moschetti, représentant le parquet, il n’est nul besoin d’un arrêté de biotope local. L’article L411 du code de l’environnement, applicable donc à tout le territoire national, suffit, dit-elle, citant plusieurs cas de jurisprudence de première instance en ce sens. « Ce n’est pas parce que d’autres tribunaux se trompent qu’il faut les suivre ! » rétorque Me Chambon. « À ce compte-là, absolument toutes les haies et tous les murets de France sont considérés comme protégés ?! » demande-t-elle au représentant de l’Office français de la biodiversité (OFB), organisme public à l'origine de la plainte : « Ça dépend de l’interprétation, oui ça peut », répond celui-ci.
Mais l’avocat de la LPO Auvergne Me Eric Posak recadre la démarche. « Vous n’aurez jamais une plainte de notre part pour avoir coupé votre haie de troènes fréquentée uniquement par des espèces généralistes qui s’accommodent d’un vaste choix d’habitats ; mais ici nous parlons d’espèces spécialisées en danger, ce n’est pas la LPO qui le dit c’est le Museum national d’histoire naturelle. » Et de comparer la pie-grièche grise à l’ours blanc, bien plus médiatisé : « Elle a disparu de l’Allier, pratiquement disparu de Rhône-Alpes et du Puy-de-Dôme, 70 % de la population se trouve aujourd’hui en Haute-Loire et dans le Cantal, si nous ne faisons rien, nous aurons un oiseau en voie d’extinction. »
Y a-t-il connivence entre la police de l'environnement et les associations écolo ?
Mais qu’est-ce qui prouve que la pie-grièche grise et les six autres espèces protégées citées dans la procédure fréquentaient bien les 740 mètres de haies et de murets en question ?, soulève l’avocate de la défense. Elle brandit alors un relevé d’observations de présence d’espèces sur le secteur de Séneujols versé au dossier. Premièrement, il est établi par la LPO, ce qui selon elle indique une connivence entre les ONG et l’OFB. « La LPO est une association agréée au niveau régional car elle a une base de données, faune-auvergne.org, qui fait référence », justifie l’agent qui précise que cette base est régulièrement utilisée par les services de l’OFB. À son tour, pour le ministère public, Marie Moschetti désigne cette pièce comme « versée par les sachants, ceux qui connaissent le milieu ».
Mais cette pièce ne géolocalise aucune des sept espèces protégées en question précisément dans les 740 mètres arrachés, pointe Me Chambon. « Nul besoin, rétorque la vice-procureure, les espèces ont été repérées à 400 mètres, maximum 2km de la haie arrachée, évidemment qu’un oiseau se déplace sur cette distance, dès lors qu’il s’agissait d’un habitat potentiel, cela suffit. »
Une autre pièce versée au dossier atteste de la présence de la pie-grièche grise sur la commune de Séneujols et celle-ci n’est pas siglée LPO, il s’agit de l’Inventaire national du patrimoine naturel (INPN).
Autre argument soulevé par la défense, la subvention accordée par la DDT pour le dessouchage des arbres. « Ça montre bien qu’on a agi en toute légalité et transparence », légitime le maire. « Mais c’est à la DREAL qu’il fallait demander la dérogation, précise la juriste Anaïs Lozano pour FNE AURA, on ne peut pas demander à tous les services de l’État de savoir ce que font leurs collègues. » « Vous savez très bien qu’il y a un contrôle de légalité », répond la défense.
Quant aux pouvoirs de police du maire qu’invoque Serge Boyer pour assurer la sécurité des plus de 100 000 visiteurs attendus au concours national de labour, ils n’entrent pas en jeu selon Me Clément Robillard pour FNE43 : « Le maire l’a dit lui-même dans la presse, les haies et murets ont été supprimés pour permettre le passage de 200 poids lourds en amont de la manifestation ; la responsabilité pénale de la commune peut donc être engagée. »
« Dans le préjudice moral nous incluons aussi le contre message lancé aux agriculteurs, déplore Me Posak pour la LPO, avec ce genre de comportements on leur dit qu’il est encore possible de détruire des haies, que ce n’est pas bien grave, il en reste encore. Pourtant, on aurait pu prendre l’opportunité de faire de la pédagogie. On aurait pu faire faire un petit détour aux visiteurs en leur expliquant que c’était pour préserver l’habitat de sept espèces protégées. »
Les trois ONG demandent chacune 10 000€ de préjudice moral car « le comportement de la commune balaye d’un revers de manche tous les efforts de tous les bénévoles », justifie Me Robillard pour FNE43. Des sommes effarantes selon la défense. Et chacun y va de ses réquisitions de peine. « Il n’appartient pas aux parties civiles de demander des condamnations, remarque la vice-procureure, je n’en tiens pas grief mais je tiens à replacer chacun dans son rôle. »
> Chacun peut participer au recensement des haies avec l’opération Sentinelles du bocage de FNE
Marie Moschetti souligne que, par deux fois, le maire a refusé la remise en état lors de réunions de conciliation à la DDT le 16 septembre 2019 et le 2 février 2021. « Le vice-procureur à l’environnement Rodolphe Part lui a proposé de signer une convention judiciaire d’intérêt public, ce qui aurait évité une audience en correctionnelle mais il a rejeté la main tendue ». Une concertation « pseudo amiable » selon Me Chambon qui affirme que les espèces d’arbres proposées à la plantation étaient américaines et que les propositions faites par le maire ont été simplement balayées. « Il y a neuf pages d’audition, pointe-t-elle, parce qu’on pensait qu’il allait craquer et accepter la remise en état. » « En vrai, il a refusé parce qu’il trouvait ça trop cher », remarque Me Robillard.
La défense déplore « l’escalade répressive employée par le parquet sous la pression des ONG ». « La potentialité de présence des espèces protégées, c’est du vent ! On ne veut pas classer sans suite, même si on sait qu’il n’y a rien de constitué, mais sous la pression politique on traite une commune comme un délinquant ! » Me Chambon demande la relaxe pure et simple. Dans le cas contraire, elle laisse entendre qu’elle pourrait faire appel.
Le ministère public réclame la remise en état dans un délai de neuf mois, puis 50€ de pénalité par jour de retard le cas échéant pendant trois mois, ainsi que la publication du jugement dans les journaux locaux.
Le jugement a été mis en délibéré au mardi 5 juillet 2022.