Il s’agissait d’agrandir un chemin pour permettre le passage de toute la logistique qu’impliquait cet événement agricole national du 6 au 8 septembre 2019 sur le domaine Chantouin. « Ces travaux étaient nécessaires pour permettre l'accueil des 100 000 visiteurs attendus et la circulation des 200 semi-remorques et bus », nous expliquait alors Serge Boyer, le maire de Séneujols, qui ajoutait que « cela relève du pouvoir de police du maire que d'assurer la sécurité ».
En se rendant sur place le 25 juillet, les associations France Nature Environnement Haute-Loire (FNE43), FNE AURA et la LPO Auvergne avaient été témoins d’arrachage de haies et transport en décharge, d’enlèvement de murets et concassage sur place, et de tronçonnage d'arbres. Elles qualifiaient ces faits d’une extrême gravité car la période de travaux se déroulait durant la reproduction de la pie-grièche écorcheur, espèce protégée et à l’annexe 1 de la Directive européenne Oiseaux, dont la destruction de l’habitat est répréhensible. Le linéaire de haie abattue impactait quatre à cinq couples selon elles. Idem pour le bruant jaune, le tarier pâtre, la linotte mélodieuse, le chardonneret élégant dont les effectifs se sont effondrés de 30% en 15 ans en France pour ces mêmes raisons (source CNRS et Museum d’Histoire Naturelle) et qui sont toutes des espèces protégées. De plus, la LPO Auvergne connaissait ce site pour accueillir la très rare pie-grièche grise, espèce protégée en très fort déclin et dont l’Auvergne détient 80% des effectifs français, « car l’agriculture intensive dans le reste de la France a détruit ses habitats (haies et prairies naturelles, zones humides...) », précisent les ONG. Ces murets étaient aussi le lieu de vie de la vipère aspic (protégée) et de l’hermine, et du traquet motteux (protégé).
Des constructions remarquables en pierres volcaniques, éléments structurants du paysage du Velay
Qui plus est, elles soulignent que la municipalité n’a pas demandé l’autorisation à la Commission départementale de la nature des sites et des paysages puisque, sur le plateau du Devès, les murets sont considérés comme des constructions remarquables en pierres volcaniques, éléments structurants du paysage du Velay.
Des faits identiques avaient déjà été observés et dénoncés lors de la finale nationale de labour organisée à Vergezac en 2006 selon FNE43 et la LPO.
Le 29 juillet 2019, les associations France Nature Environnement Haute-Loire (FNE43), FNE AURA et la LPO Auvergne envoient un courrier au préfet de la Haute-Loire pour lui demander de faire cesser les travaux en urgence. Les ONG demandent qu’un procès verbal soit réalisé en urgence. Elles demandent également qu’une remise en état soit ordonnée, à défaut assortie de mesures compensatoires au moins équivalentes au milieu qui a été détruit (haies et murets).
Le 8 août la préfecture répond qu’elle a demandé au maire de Séneujols de « stopper sans délai toute intervention qui conduirait à la destruction supplémentaire de haies et murets de pierres sèches ».
Le 8 septembre, jour de la visite du ministre de l'Agriculture de l’époque Didier Guillaume, une dizaine de militants écologistes se postent sur le chemin qui mène à l'entrée de la manifestation et distribuent des tracts pour informer les visiteurs.
Une réunion de concertation a lieu dans la foulée entre les ONG et le maire de Séneujols sous l'égide des services de l'Etat. Elle n’aboutit à rien.
En septembre 2020, une plainte est déposée par l'Office français de la biodiversité (OFB), établissement public placé sous la tutelle du ministère de la Transition écologique et du ministère de l'Agriculture, pour demander des mesures compensatoires. « Souvent ce genre de plainte est classée sans suite », nous confie alors Jean-Jacques Orfeuvre, vice-président de FNE43. L’OFB rencontre donc le vice-procureur de la République du Puy-en-Velay chargé du droit de l’environnement, Rodolphe Part, pour bien argumenter le dossier.
Agréable surprise donc, pour les ONG, que d’apprendre que mi-décembre 2021, une saisine du tribunal correctionnel par la voie d'une citation directe devant le tribunal est décidée en vertu de l'absence de régularisation de la situation. En effet, le dossier est renvoyé devant le tribunal correctionnel du Puy à la date de ce mardi 24 mai 2022 à 8h30.
« La commune de Séneujols a persisté dans cette atteinte en refusant toute remise en état du milieu sur prescriptions des autorités judiciaire et administrative »
La commune de Séneujols comparaîtra donc en tant que prévenue pour avoir porté atteinte, « sans autorisation », à la conservation de l'habitat naturel d'espèces protégées de juillet 2019 et jusqu'au 27 septembre 2021. La municipalité est poursuivie pour avoir volontairement détruit 740 mètres linéaires de haies et de murets de pierre par arrachages d'arbres et d'arbustes et concassage des pierres afin d’élargir un chemin. La procédure indique que ces travaux ont eu pour effet de priver des espèces protégées de leur habitat, de leur zone d'alimentation, de repos et de refuge, notamment en période de reproduction, nécessaire à l'accomplissement de leur cycle de vie et de leur perpétuation notamment pour les oiseaux et reptiles suivants : la pie-grièche grise, le bruant jaune, le chardonneret élégant, la linotte mélodieuse, la pie-grièche écorcheur, le tarier pâtre et la vipère péliade.
La procédure précise que, de surcroît, tout au long de la période de prévention, la commune a « persisté dans cette atteinte en refusant toute remise en état du milieu sur prescriptions des autorités judiciaire et administrative ».
Ce mercredi 18 mai, FNE43 organise une sortie à St-Christophe sur Dolaizon pour recenser les haies - inscription des volontaires d'ici ce vendredi 13 mai 10h ↓
Sortie "Sentinelles du bocage"
Inscription en ligne : inscription formulaire en ligne ici
Jusqu’au vendredi 13 mai 10h.
Lieu : Tallode – commune de St Christophe sur Dolaizon
Programme :
- 12h30 : repas partagé à Tallode (pique-nique) pour ceux qui le souhaitent
- 14h – 14h30 : accueil des participants, rappel des éléments principaux de la campagne, transmission des outils pour l’après-midi
- 14h30 – 16h : départ sur le chemin pour observer/caractériser les haies, sur 3 km environ en boucle, plusieurs types de haies.
- 16h – 16h30 : conclusion, feuille de route pour 2022 (lieux prioritaires…)
Prévoir un support pour écrire, un vêtement/protection adaptée à la météo et casse-croute si participation au pique-nique.
Contact : florence.arnould@fne-aura.org
Cette action est menée par le réseau des fédérations départementales FNE en Auvergne-Rhône-Alpes avec le soutien financier de l’Agence de l’Eau Loire-Bretagne.
Présentation par FNE : "Sentinelles du bocage c’est un programme interdépartemental de recensement des haies, un outil indispensable en cas de destruction et pour aller au devant des élus et partenaires. En effet, les haies sont très mal protégées puisque seuls un classement au PLU (plan local d'urbanisme) ou, dans une moindre mesure, un classement BCAE7 pour les agriculteurs, permettent de réagir en cas de destruction ou de les limiter. Aussi, nous sommes souvent confrontés aux entretiens un peu trop agressifs mais qui ne constituent pas, au sens du droit, de vraies destructions et ne peuvent donc faire l’objet d’une infraction. Nous avons donc toute notre place pour aider les autorités à préserver ces milieux que nous savons nécessaires pour la biodiversité de Haute-Loire.
Pour cela, parcourons le département en observant les haies et en remplissant le tableau avec l’aide du guide si besoin.
Priorisons sur les haies que nous pensons très importantes à préserver (zones Zone naturelle d'intérêt écologique, faunistique et floristique de type I notamment).
Signalons toutes les destructions de haies sur le département.
Pour les plus motivés d’entre vous, allons à la rencontre des élus des communes investiguées pour proposer des actions de préservation, voire un classement au PLU."
Nous avons contacté le maire Serge Boyer en amont de l’audience pour lui demander pourquoi ne pas avoir entamé des mesures compensatoires ou une remise en état durant ces deux ans et demi depuis les faits. « Parce que je conteste le fondement légal de la procédure », nous répond-il ce jeudi 12 mai 2022. Non seulement l’élu affirme qu’aucune autorisation préalable de la Commission départementale de la nature des sites et des paysages n’était requise mais il ne corrobore pas le linéaire de 740 de haies et murets tels qu’indiqué dans le dossier judiciaire. « Ce sera tout l’objet de l’audience du 24 mai, le fait que le vice-procureur ait considéré la plainte recevable ne signifie pas que son fondement juridique est prouvé », souligne celui qui sera présent en personne à l’audience.