« Dans la France des templiers d’extrême droite en guerre contre l’Islam ». Tel est le titre du long papier écrit par des journalistes de Vice en date du 15 décembre 2021. Il traite d’une communauté dont l’esprit et le corps semblent être coincés à l’époque des capes, des épées et des croisades de l’occident contre les « sarrasins » d’Orient.
Les premières phrases de l’article s’avèrent d’emblée troublantes car il mentionne aussi la belle cité ponote. « Sur les hauteurs du Puy-en-Velay, douze hommes vêtus de blanc traversent en colonne une cour d’école avant de s’installer en silence dans une chapelle exiguë. Le prêtre et le maître se placent devant l'hôtel, les commandeurs sur les côtés et les deux novices restent au seuil. Devant, une épée est dressée à la verticale, le pommeau vers le ciel ».
La Fraternité des Templiers catholiques du Monde ?
Les journalistes de Vice nous apprennent cette fraternité a été créée en 2019, réunissant une quarantaine de membres en France, Belgique, Canada et Ukraine.
Leur fil rouge, selon Vice, serait la recherche des vraies valeurs chrétiennes, le retour à un fascisme solide, la défense des églises et le rejet profond de tout ce qui se rapporte à l’Islam ou au féminisme.
« ...afin qu’il puisse défendre églises, veuves et orphelins »
Toujours d’après les journalistes de Vice, cette confrérie, baptisée la Fraternité des Templiers catholiques du Monde, s’adonne à des rituels tel l’adoubement des commandeurs et autres chevaliers. Les yeux bandés et une main sur la bible, l’un d’eux récite des incantations célestes afin d’accéder au grade supérieur.
« Sire, je suis venu devant Dieu et devant vous et devant mes frères et je vous prie et vous requiers pour Dieu que vous m'accueillez en votre compagnie ». Son front est alors touché par la lame d’une épée, un geste usité il y a plus de cinq siècles en arrière. « Nous nous adressons à toi seigneur, et nous demandons, qu’avec ta dextre, tu bénisses cette épée avec laquelle ton serviteur Patrick désire être ceint afin qu’il puisse défendre églises, veuves et orphelins », termine le père Philippe, père de la fraternité.
« Convaincus de leur combat, ces templiers s’organisent en milice pour occuper le terrain. Ils se postent au fond des églises, à plusieurs, pour surveiller des messes ». Vice-France
Fronde numérique contre le lycée Saint-Jacques-de-Compostelle
Si l’article aurait pu en rester là, une croisade 2.0 s’est malheureusement mise en marche dans les jours qui ont suivi la parution de l’enquête. La cible ? Le lycée Saint-Jacques-de-de Compostelle (SJC) au Puy-en-Velay. Les journalistes révèlent que la fraternité à louer des locaux d’un établissement scolaire ponote, sans jamais cité le nom. Mais des élèves ont reconnu les lieux avec les photos publiées. La polémique s’est enflammée aussitôt avec, comme comburant, les réseaux sociaux.
« Si nous avions su, jamais nous n’aurions accédé à leur demande »
« Je suis totalement écœurée par ce qu’il se passe, partage Marianne Rochette Mouyren, directrice déléguée aux Formations professionnelles et technologiques au lycée en question. Nous avons bien loué des locaux pendant les vacances scolaires, du vendredi 5 au dimanche 7 novembre, à ce groupe d’hommes. Mais je vous assure que je ne savais pas qui ils étaient. Ils semblaient de confiance avec un prêtre parmi eux. »
Elle continue : « Ils nous ont sollicités pour faire une sorte de retraite, chose que nous avons acceptée sans creuser dans leurs intentions. Si nous avions su, jamais nous n’aurions accédé à leur demande car nous sommes dans l’opposition la plus totale à leurs idées telles que décrites dans l’article. Leurs idées font vraiment peur. Elles sont à l’exact contraire de ce que nous inculquons dans notre établissement ».
« L’accueil de tous et la Fraternité sont des idéaux et des valeurs hérités de nos fondateurs. De nombreuses actions menées au sein de l’ensemble scolaire en témoignent ». Pascal Pinguenet, chef d’établissement SJC
« Nous tenons à affirmer avec fermeté notre refus d’être associés, de près ou de loin, à leurs idées »
Face à cette vague de remontrance où le lycée SJC est décrit à tort comme une tanière aux groupes catholiques extrêmes et islamophobes, Pascal Pinguenet, chef de l’établissement confie le 21 décembre par le biais d’un communiqué : « L’association a sollicité l’été dernier l’établissement pour louer des chambres, une salle de réunion et l’oratoire du site St Joseph, livre-t-il. Leur programme ne nous permettait pas de douter de la moralité de ces bailleurs. Le 15 décembre, nous avons découvert, avec stupeur, l’article publié par Vice. Nous avons aussitôt publié notre désaccord profond et nous tenons à affirmer avec fermeté notre refus d’être associés, de près ou de loin, à leurs idées.»
Il rappelle la philosophie de l’école : « Nous affirmons notre volonté d’encourager le dialogue inter-religieux. L’accueil de tous et la Fraternité sont des idéaux et des valeurs hérités de nos fondateurs. De nombreuses actions menées au sein de l’ensemble scolaire en témoignent ».
« Cet article nous écorne des années de travail sur la tolérance inter-religieuse, des années de travail pour mettre au plus haut la valeur du partage et du respect de tous pour tous ». Marianne Rochette Mouyren
« Je suis dégoûtée par cette fausse image que ce papier a si vite générée malgré nous »
En écho aux mots du chef d’établissement, Marianne Rochette Mouyren souligne encore : « Nous travaillons constamment et depuis des années à l’ouverture d’esprit, au respect et à la tolérance de toutes les croyances propres à chacun. Régulièrement, nous invitons des intervenants issus de religions diverses comme dernièrement avec la venue de Mohamed Abdaoui, venu présenter aux élèves le rôle des Harkis durant la guerre d’Algérie. »
Elle termine en ces mots : « Je suis dégoûtée par cette fausse image que ce papier a si vite généré malgré nous. Cet article nous écorne des années de travail sur la tolérance inter-religieuse, des années de travail pour mettre au plus haut la valeur du partage et du respect de tous pour tous ».