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Trains : carton rouge décerné par la Chambre régionale des comptes

Par Clara Serrano , Mise à jour le 12/09/2024 à 16:45

À la demande de la Région, la Chambre régionale des comptes a réalisé une évaluation de la politique du matériel roulant ferroviaire d'Auvergne-Rhône-Alpes. Si la SNCF assure que les passagers sont satisfaits des services qui leur sont proposés, la Chambre régionale des comptes ne semble pas titrer le même constat. 

 

Avec près de 220 000 voyageurs quotidiens, le réseau ferroviaire d'Auvergne-Rhône-Alpes est le premier réseau régional après celui de l'Ile-de-France. Sa gestion, assurée par la Région, est mise en œuvre par la SNCF, exploitant unique, pour un coût total de 820 millions d'euros. 

67 % sont à la charge du contribuable, soit plus de 549 millions d'euros, et 33 % à celle des usagers (270 millions). Malgré cette somme importante, le rapport de la chambre régionale ne semble pas à la hauteur des conventions et des besoins. 

L'organisme de contrôle a tenté de répondre par celui-ci à trois questions : « Dans quelle mesure le matériel roulant est-il adapté pour atteindre le niveau de qualité de service arrêté par convention entre la Région et la SNCF ? » ; « Dans quelle mesure la politique d'entretien et de maintenance du parc matériel est-elle adaptée pour atteindre le niveau de qualité de service arrêté par convention entre la Région et la SNCF ? » ; « Comment rendre la politique en matière de matériel roulant de la Région plus efficiente ? »

« Préalablement à la réponse à toutes ces questions, nos équipes ont réalisé un étude de satisfaction des usagers en termes d'utilisation du matériel roulant, prenant en compte les retards, pannes, confort, sécurité, etc. » Bernard Lejeune, président de la Chambre régionale des comptes AURA

Avec plus de 6 500 réponses, la Chambre régionale des comptes s'est particulièrement concentrée, dans son enquête, sur les usagers réguliers et abonnés pour établir un « état des lieux de ce que les gens estiment d'important, de ce qu'ils ressentent, et de ce qu'ils expriment. »

Le président de l'organisme régional : « On a constaté que les enquêtes SNCF, par les biais de leur méthodologie, ne correspondent pas à la satisfaction générale, avec des résultats qui lui sont très favorables. »

« Les taux sont à chaque fois beaucoup plus dégradés. Les usagers sont insatisfaits de la performance industrielle, du confort, et dans leur ressenti global. »

Après des mois d'enquête, les équipes ont ainsi constaté que : 

  • Selon la SNCF, le taux de satisfaction global avoisine les 90 % entre 2017 et 22. La Chambre retient le chiffre de 53 %. 
  • La SNCF compte 82 % de sentiment de sécurité à bord en 2017-2022, contre 75 % pour la Chambre en 2023.
  • Concernant la propreté des sanitaires, la SNCF retient 62 % de satisfaction, contre 40 % pour la Chambre
  • Enfin le point noir, la ponctualité, satisfait à 78 % les usagers entre 2017 et 2022 selon la SNCF, alors que l'enquête régionale ne retient que 39 % de satisfaction. 

« La chambre a constaté une qualité de service relativement dégradée, dont une des causes est l'insuffisance de rames et l'inadaptation des matériels actuels aux besoins des usagers. Ce constat devait être fait avant de pouvoir répondre aux trois questions évaluatives ». Ainsi la chambre clôture-t-elle cette partie préalable.

L'offre de la Région à contre-courant

Cette question de l'offre du matériel roulant a pour objectif d'évaluer la politique d'acquisition de la Région. Et comme le laissent pressentir l'évaluation de la satisfaction des usagers, les résultats ne sont « pas très positifs », selon Bernard Lejeune. 

Il détaille en effet que le réseau, entre 2017 et 2023, bénéficie toujours d'un parc de 418 rames. Un chiffre stable, qui va selon lui à contre-conrant de la fréquentation qui, elle, est en hausse constante (si l'on ne tient pas compte des "années covid"). 

En effet, le rapport démontre que « avec un taux de remplissage moyen passé de 89 à 104 voyageurs par train entre 2017 et 2022 (+ 16,8 %) et un emport qui n'a progressé que de 2,8 % sur la même période, la tension s'accroît sur le parc de matériels roulants et sur la qualité du service ressentie par les usagers. Laquelle risque de se dégrader dans les prochaines années, à mesure que les besoins de matériels seront plus importants. »

« Il faut commander de nouvelles rames. Le plus vite possible. »

En effet, le matériel étant vieillissant, la Chambre constate que cette tension pourrait encore grandir dans les prochaines années, en raison de la nécessité de remplacer certains trains et l'obligation de procéder à des opérations de maintenance patrimoniale lourdes sur une part significative du matériel, ce qui va peser sur sa disponibilité.

Pour le président, « il manque aujourd'hui 30 rames pour que le système fonctionne de manière satisfaisante ». Or la commande de nouveaux trains demande en moyenne 5 à 7 ans, ce qui le pousse à alerter : « Il faut le faire tout de suite. »

La Chambre estime donc les besoins en investissement pour les seuls matériels roulants à 3,8 milliards d'euros.

« 3,8 milliards, ce n'est pas un petit montant. Ça montre l'importance de ce qu'il faut acquérir »

En moyenne 7 % des trains bloqués en maintenance

Vient ensuite la question de la maintenance du matériel roulant, elle aussi épineuse. Pour rappel, la Région a pour mission d'assurer la maintenance dite du quotidien (de niveau 1 à 3). Elle se charge de garantir la sécurité, la disponibilité et le confort du matériel. 

Cependant, il s'agit encore une fois d'un sujet épineux pour le réseau régional, avec, selon Bernard Lejeune, « beaucoup de points de difficulté ».

En effet, pour lui, et comme le détaille le rapport de la Chambre, la maintenance du matériel devrait, pour des raisons d'optimisation, être réalisées lors des périodes de creux dans la fréquentation, c'est-à-dire la nuit ou les week-ends. Chose qui n'est pas ou trop peu appliquée dans la Région.

Des centres techniques spécialisés, centralisés, sous dimensionnés et dépassés

Mais si l'organisation est un point noir, la structuration l'est également puisque, pour des raisons historiques, l'essentiel des technicentres est centralisé dans la périphérie lyonnaise. Zone déjà saturée par les trains en circulation. De plus, la plupart sont sous dimensionnés et datés parfois d'un siècle. 

Pour une remise à niveau de ces technicentres, la Chambre préconise un investissement d'environ 400 millions d'euros sur les 10 prochaines années. 

« Cette politique était moins efficiente en AURA que sur le territoire national »

La troisième est dernière question à laquelle la Chambre régionale a tenté de répondre, a pour objectif d'apporter des pistes possibles pour rendre plus efficiente la politique en matière de matériel roulant ferroviaire dans la Région. Une efficience que le président Bernard Lejeune qualifie de « mauvaise, et en train de se dégrader ». 

Dans le rapport des enquêteurs, on peut lire que « entre 2015 et 2020, la mise en œuvre de cette politique était moins efficiente en AURA que sur le territoire national. Avec un coût assez élevé au train-kilomètre et une offre de transport stable, la Région se situe au 7ᵉ rang ». 

S'appuyant sur les réponses déjà apportées aux deux premières questions, elle se penche sur l'obligation d'une ouverture à la concurrence pour l'exploitation des TER et la considère comme une opportunité. 

Une ouverture à la concurrence indispensable pour l'avenir

Pour elle, « cet engagement (...), s’il est contrôlé correctement, imposera à la Région de faire des choix très rapidement sur le mode de dévolution et de gestion de son parc, sur la stratégie de remplacement du parc "Corail" et sur la mise à niveau de son technicentre aujourd’hui en tension, et qui n’apparaît pas à même de sécuriser les cinq lots qui seront ouverts à la concurrence entre 2025 et 2034 ».

Et de conclure : « À cet égard, la feuille de route « mobilité positive 2035 » adoptée par la Région en décembre 2023 affiche un objectif politique ambitieux qu’il conviendra de décliner dans un schéma opérationnel qui s’imposera alors au(x) futur(s) opérateur(s). La mise en concurrence peut également être l’occasion d’introduire des modes d’exploitation plus efficients. Les simulations d’un cadencement généralisé sur quelques lignes d’Auvergne montrent que l’on peut obtenir une offre de service multipliée par 2,5 pour une hausse des coûts de 16 %. Pour autant, quelques prérequis sont nécessaires, tels que la standardisation des allocations de matériels, la priorisation des opérations de maintenance en travail de nuit et la mise à niveau des installations de maintenance. »

TER Auvergne-Rhône-Alpes confirme la situation de sous-parc pour exécuter le plan de transport actuel

Après réception du rapport, le directeur régional TER Auvergne-Rhône-Alpes a adressé au président de la Chambre une réponse écrite :

« TER Auvergne-Rhône-Alpes confirme la situation de sous-parc pour exécuter le plan de transport actuel avec l'emport et la robustesse nécessaires. Le dimensionnement des "rames de réserve" pour faire face aux aléas opérationnels n'est donc effectivement pas satisfaisant : il s'agit d'un choix contraint. Dans ces conditions, il convient de continuer à sécuriser l'exploitabilité du parc actuel, par la poursuite des investissements dans des programmes industriels permettant de prolonger sa durée de vie.

Les études de dimensionnement et la planification des investissements qui prépareront la transition industrielle en Auvergne-Rhône-Alpes (remplacement des séries vieillissantes, cohérence avec l'allotissement, développement de RER métropolitains ...) nécessitent de tenir compte des synergies entre exploitation et maintenance et de limiter les impacts de cette transition sur l'exploitation, notamment lorsque des travaux devront être menés sur des sites de maintenance en activité.

La CRC constate une augmentation des coûts de maintenance de 20 % entre 2017 et 2022

SNCF Voyageurs souligne que cette hausse s'explique principalement par la crise inflationniste de 2022 (qui représente à elle seule 50 % de cette hausse), mais aussi par des effets de périmètre et par le recours accru au travail de nuit. Malgré des conditions d'exploitation plus difficiles qu'ailleurs (nombre de séries (15), âge moyen du parc (20 ans), localisation et saturation des ateliers, conditions climatiques (grands chauds/ grands froids), la part des charges consacrées à la maintenance du TER Auvergne-Rhône-Alpes reste contenue.

Sur la transparence des coûts du TER Auvergne-Rhône-Alpes, SNCF Voyageurs se conforme à toutes ses obligations légales et contractuelles (la nouvelle convention prévoyant une transparence financière renforcée).

Sur le programme industriel de prolongation de la durée de vie des rames AGC et TER2Nng, SNCF Voyageurs a proposé aux Autorités Organisatrices une opération patrimoniale à 20 ans pour redonner 20 ans de potentiel, plutôt qu'une durée de vie de 30 ans telle que prévue par les constructeurs, parce qu'elle a réussi à prolonger certains organes au-delà des potentiels prévus par les constructeurs (10 ou 15 ans), grâce à une trame de maintenance courante optimisée, et elle a constaté, à l'inverse, que les caisses se dégradaient plus vite que les 30 ans initialement prévus par les constructeurs, du fait d'une perte d'étanchéité.

Concernant la consistance de cette opération, un socle commun a été proposé en tenant compte des observations faites sur les rames de toutes les Régions, notamment sur les zones de corrosion et d'usure. Une expertise est menée à l'entrée de chaque rame dans la chaîne industrielle, pour déterminer si des traitements supplémentaires sont nécessaires ou pas, permettant d'adapter l'opération rame par rame. Les options de modernisation ont été sélectionnées par chaque Région, pour profiter de l'immobilisation des rames. »

La réponse douce amère de Laurent Wauquiez

Le désormais ex-président de Région Laurent Wauquiez a lui aussi adressé à Bernard Lejeune une réponse le 15 mars. On y lit : « Je ne reviens pas sur le très grand intérêt de vos analyses pour la Région, dont je faisais état dans mon courrier concernant le rapport provisoire. Votre évaluation sera très utile à la Région, aussi bien dans les discussions avec la SNCF que dans le cadre de l'ouverture à la concurrence du TER, dont le processus est engagé.

Je prends également bonne note des éléments nouveaux que vous avez intégrés dans la version finale, notamment la prise en compte des orientations adoptées par l'Assemblée régionale le 14 décembre 2023 telles qu'exprimées par la « Feuille de route des mobilités du quotidien - Cap sur 2035 », dont le volet matériel roulant reprend plusieurs recommandations de la Chambre.

En revanche, je regrette que le nombre important d'observations adressées par la Région à la Chambre sur le rapport provisoire n'ait fait que l'objet d'une prise en compte partielle. Ces observations concernaient soit des jugements de valeur, soit des inexactitudes. Leur prise en compte aurait rendu le rapport plus pertinent. »

 

 

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