"Ce n'était pas forcément prévu comme ça au départ, mais ça s'est fait comme ça. J'ai eu une vie professionnelle privilégiée ". Voilà les premiers mots de Martin de Framond lorsqu'il s'agit d'évoquer avec lui les 30 années passées au sein des Archives départementales de la Haute-Loire, en tant que Conservateur en chef , puis Conservateur Général du patrimoine.
"On a bossé avec l'équipe, et on a fait rentrer des kilomètres de documents!"
Adolescent, c'est en tant que scout, que Martin de Framond sans attache alors avec la Haute-Loire, découvre le sanctuaire du Puy et les bords du lac du Bouchet. A la prestigieuse École nationale des Chartes, il apprend la paléographie, science des écritures anciennes. Elles n'ont dès lors plus de secrets pour lui, notamment le latin médiéval, dont il devient l'un des meilleurs spécialistes en France. Son arrivée en Haute-Loire coïncide avec l'emménagement des services d'Archives dans un nouveau bâtiment, spécifiquement construit pour les accueillir, avenue de Meschede, dans le quartier de Guitard au Puy, bâtiment qu'elles occupent encore aujourd'hui . Il ne peut retenir un petit sourire en évoquant cette période : "lorsque je suis arrivé, le bâtiment venait de se faire. Alors l'équipe était épuisée ; et moi je suis arrivé paisiblement, dans des conditions de travail idéales...".
Mais, pour commencer, les Archives départementales, ça sert à quoi ? Créés à la Révolution Française, les services d'Archives avaient pour mission de collecter les archives des anciennes administrations, et des administrations en cours, et d'en faire bénéficier le public. Leur fonction première est ainsi de collecter: " Il faut ramasser les documents intéressants, valides, ayant du poids pour l'histoire des individus, et les conserver ", explique M de Framond, "et lorsque je suis arrivé, on a collecté, mais on a aussi détruit beaucoup, et puis on a inventorié tout ça. Je suis le conservateur, donc je suis responsable de l'équipe. Mais nous sommes une petite équipe, tout le monde est sur le pont. Donc j'anime, mais j'ai toujours fait des classements. Nous avons fait un gros travail d'inventaire".
"Ca coûte plus cher que le papier, et surtout l'exigence de qualité est différente. Ainsi ,nos inventaires qui ne ressemblaient à rien, qui étaient moches, on s'en débrouillait. Maintenant sur Internet, il faut que ce soit lisible. Et puis s'il y a une faute, les gens vous engueulent ! " Martin de Framond
"On reçoit tous les ans à peu près 200 mètres de documents qu'il faut mettre en ordre"
Le fonds des Archives départementales de Haute-Loire, c'est ainsi environ 17 kms de documents papier ! Oui, aux Archives, on parle en kilomètres de documents... "On reçoit tous les ans à peu près 200 mètres de documents qu'il faut mettre en ordre" , précise M de Framond. "Ces masses d'archives, il faut les rendre accessibles. Ce travail de préparation est notre travail de fond". L'objectif est d'orienter le public vers le document dont il a besoin. Mais aucun problème de place actuellement pour le stockage des documents papier, "les réserves ne sont pas bourrées !", rajoute-t-il.
Pour lui, c'est la préservation des documents numériques qui semble davantage poser problèmes :"ça coûte plus cher que le papier, et surtout l'exigence de qualité est différente. Ainsi ,nos inventaires qui ne ressemblaient à rien, qui étaient moches, on s'en débrouillait. Maintenant sur Internet, il faut que ce soit lisible. Et puis s'il y a une faute, les gens vous engueulent ! " Un énorme chantier de numérisation des inventaires est en cours. Ce sont également des millions de documents qui ont déjà été numérisés, et ce n'est pas terminé.". "La grosse masse de communication des documents, c'est par Internet. Et la salle numérique, l'écran, ça suppose d'être très à l'écoute. Maintenant, une grande partie du travail des équipes sert à nourrir le site". La technique est désormais une composante majeure des pratiques professionnelles aux Archives, et lui de confirmer que son équipe a su s'adapter très bien.
"Une vie associative plus riche et plus vivante qu'ailleurs"
Equipe, collaboration. Des mots qui reviennent souvent chez M de Framond. L'équipe du service des Archives tout d'abord qui compte actuellement 18 personnes. C'est Thierry Alloin, directeur-adjoint, qui assurera la période de transition de changement de conservateur. M. Moné, nommé sur le poste, sera le prochain conservateur. Il évoque ensuite les partenariats et nombreuses collaborations avec les services des collectivités du Département, de la Préfecture, qui sont très bien établis. Egalement les relations fréquentes avec les généalogistes, qui visitent assidûment les Archives, que ce soit physiquement, ou virtuellement par le biais du site internet. Et puis l'équipe des paléographes amateurs, eux qui assistaient aux cours dispensés gratuitement depuis 25 ans et jusqu'à il y a peu, par M de Framond.
"Il y a désormais dans le département des gens formés, capables de lire les documents anciens", rappelle-t-il non sans une certaine fierté. L'association "Les Cahiers de la Haute-Loire" , qui propose régulièrement des publications essentiellement historiques, dont il est et restera membre du comité de rédaction. "C'est de l'animation culturelle pour le département. C'est aussi une des tâches du service. J'ai créé un aspect recherche dont je suis très satisfait".
"Nous avons LE trésor de l'Occitan ancien en Haute-Loire, Lo libre de ma privada, d'Etienne Mège (Estienne Medicis), daté du XVIè siècle, le plus beau document en langue d'oc conservé. Nous avons également récupéré le cartulaire de Chamalières, qui est un document essentiel du XIIè siècle". Martin de Framond
Enfin, M de Framond n'oublie pas la jeunesse, même s'il reconnait volontiers que l'histoire locale et le passé, c'est souvent plus une "affaire de plus vieux". Il a en effet consacré beaucoup de son temps à l'accueil de classes, de groupes scolaires. Exercer ces différentes activités, qui offrent une vie professionnelle humainement très riche, c'est selon lui justement l'un des avantages offert par le travail dans des petites structures : "on peut vraiment pratiquer soi-même toutes les facettes du métier". Et participer à la vie culturelle et historique d'un département qui n'a pas d'universités, pour Martin de Framond, c'est ainsi d'abord contribuer à une vie associative, "qui est plus riche et plus vivante en Haute-Loire qu'ailleurs", souligne-t-il, "mais qui existe partout".
"Je reste fasciné par l'Histoire de la ville du Puy. Elle demeure un mystère incompréhensible".
Alors, sait-il tout de l'Histoire du Puy, du département ou reste-t-il des éléments à explorer ? La réponse de l'historien médiéviste M de Framond à cette question est sans appel : " Il faut faire du ménage ! Se poser des questions, reprendre les textes, trier, confronter ". Allusion à des réflexions actuelles autour des pèlerinages et du rôle de la ville du Puy par exemple. Et lorsqu'on lui demande si des sujets, des personnages l'ont particulièrement marqués, c'est la famille des Polignac qui ressort immédiatement : "ils ont une histoire fascinante".
II évoque également le grand tremblement de terre qui a frappé le Puy en 1428, les épidémies de Peste, et bien sûr le trésor de la Cathédrale. Et s'il s'agit de citer un document exceptionnel conservé aux Archives de Haute-Loire, là encore, aucune hésitation :"nous avons LE trésor de l'Occitan ancien en Haute-Loire, Lo libre de ma privada, d'Etienne Mège (Estienne Medicis), daté du XVIè siècle, le plus beau document en langue d'oc conservé. Nous avons également récupéré le cartulaire de Chamalières, qui est un document essentiel du XIIè siècle". Chaque année, M. de Framond a procédé à l'achat d'un document important, grâce notamment à un réseau de " bons informateurs" et de "gens qui aiment le patrimoine". Quant au document le plus ancien conservé sur les rayonnages, il s'agit d'une Charte datée de 960 écrite en latin. Et M. de Framond de s'en amuser : " le comble, c'est qu'elle ne traite pas vraiment de la Haute-Loire mais de la Dordogne. C'est une des ruses de l'Histoire..."
"Il suffit d'ouvrir les yeux, et de s'immerger dans le contact avec les traces qui restent. Les objets sont la preuve physique de la réalité du passé". Martin de Framond
"Des fonds magnifiques. 30 années de curiosité, et de découverte"
Mais la Haute-Loire, ce n'est pas que le Velay. Il n'oublie pas le Brivadois, et le pays de Saugues, qui ont aussi une histoire locale très riche, encore à explorer. "On ne sait pas tout sur les Mercoeur, plein de choses restent à comprendre..." Et lorsqu'on lui demande pourquoi s'intéresser à l'histoire locale, c'est une réponse toute simple qu'il fournit: "c'est une expérience à vivre. Il suffit d'ouvrir les yeux, et de s'immerger dans le contact avec les traces qui restent. Les objets sont la preuve physique de la réalité du passé".
Dans les prochains mois, peut-être après une période de transition qu'il occupera différemment, M de Framond est bien décidé à poursuivre ses activités de recherche, et de publications. Un personnage local retient notamment son attention; il s'agit de l'abbé Vital Erailh... Ce nom vous est inconnu ? sachez que son portrait est accroché dans l'Eglise du Monastier... Et M de Framond de résumer ainsi ses années de conservation du patrimoine altiligérien : " Des fonds magnifiques. 30 années de curiosité, et de découverte".
Géraldine Lasherme