"Ce monsieur est méprisant et condescendant à l'égard des catholiques. Il leur reproche de manquer de ferveur. Il les traite d'endormis. C'est un jugement moral. Les croyants du secteur n'ont pas de leçons à recevoir"
Mathieu Bourdilleau s'est installé avec sa famille dans le petit hameau paisible de Larcenac, sur la commune de Saint-Vincent. Se présentant comme un fervent catholique, engagé dans un certain nombre de structures liées au diocèse du Puy, il a lancé, au courant du mois de février dernier, une campagne de financement participatif, dans le but de faire ériger sur sa propriété un calvaire de cinq mètres de haut.
L'opération, qui a obtenu "le soutien total de l'évêque du Puy " est présentée comme la concrétisation d'une volonté familiale de "poser un acte de foi fort et visible", amené à devenir "le point de départ d'une dynamique d'évangélisation". Le monument devrait également devenir, selon Mathieu Bourdilleau "le point de ralliement" d'organisations religieuses diverses puisqu'il s'engage à mettre à leur disposition son terrain de "7000 m²".
En un mois les fonds sont récoltés : 5500 euros et 92 donateurs. La plupart anonyme.
L'évêque face à une partie des villageois
"Tout le monde a été mis devant le fait accompli"
Dès le lancement du projet, le bouche-à-oreilles fait son travail. Certains riverains tentent d'en savoir un peu davantage en interrogeant les élus de la municipalité. Mais Mathieu Bourdilleau n'a fait part de son projet à personne : "Notre vision de la religion, c'est le partage et le dialogue, l'ouverture, et là, on peut dire qu'on en est loin. Tout le monde a été mis devant le fait accompli" constate, dépitée, une des habitantes du village présente à la réunion.
Alors les riverains décident de prendre les choses en main. Chacun en fonction de ses valeurs ou de ses intérêts. Ils s'informent comme ils le peuvent. Surfent sur le net.
Une première réunion est organisée à la fin du mois de mars dernier à l'issue de laquelle une pétition est lancée. Elle demande l'abandon immédiat du projet qui pose selon eux de nombreux problèmes et parfois les perturbe en leur for intérieur. En tant que croyants pour certains. En tant que citoyens pour d'autres.
Des risques de prosélytisme ?
"C'est quand même une manière assez violente (...) d'imposer aux autres ses propres convictions"
Depuis la loi de 1905 concernant la séparation de l'Église et de l'État, il n'est plus possible d'édifier un calvaire ou tout autre monument religieux sur un emplacement public. Il demeure par contre tout à fait légal d'en édifier un sur un domaine privé. Mais pour certains habitants du village, "une croix de cinq mètres de haut, ça représente quand même une sacrée intrusion du religieux dans l'espace public", et puis "c'est tout de même une manière assez violente, au moins symboliquement, d'imposer aux autres ses propres convictions".
"Ce projet fait du prosélytisme"
Une partie d'entre eux voit même dans cette initiative une forme de prosélytisme : "Nous ne remettons pas en cause la liberté de chacun d'exprimer ses croyances, c'est un droit qui doit être respecté. D'ailleurs, il y a certains croyants parmi nous. On pense par contre que ce droit doit s'exercer de manière raisonnable et un calvaire de cinq mètres, ça ne nous parait pas raisonnable justement. Ce projet fait du prosélytisme. Il est susceptible de mettre à mal la quiétude de notre petit village, pour cette raison et pour bien d'autres également."
De possibles troubles à l'ordre public ?
" L'atteinte à la quiétude des riverains, c'est clairement un trouble à l'ordre public "
Mathieu Bourdilleau l'a clairement signifié dans la vidéo de présentation de son projet, publiée sur la plateforme Credofunding : "Nous souhaitons que ce calvaire devienne un point de ralliement (...) en mettant à disposition notre terrain". C'est ici que le bât blesse également : "Larcenac, c'est un petit coin de paradis, paisible et verdoyant, traversé par une seule petite rue hyper étroite qui se termine en impasse. On vous laisse imaginer les problèmes qui pourraient découler de l'afflux de pèlerins : l'atteinte à la quiétude des riverains, c'est clairement un trouble à l'ordre public."
Auquel pourrait, d'après une membre du collectif, s'en ajouter un autre : la présence ponctuelle, dans la commune, de militants d'extrême-droite. Le projet est effectivement soutenu et largement relayé par SOS Calvaires, une association controversée, souvent pointée du doigt pour sa proximité avec certains groupuscules extrémistes.
"C'est un groupe de militants qui, politiquement, se positionnent clairement à l'extrême-droite"
Elle regroupe plusieurs centaines d'adhérents, compte de nombreuses antennes départementales et s'est fixé pour but d'ériger des croix et des calvaires sur l'ensemble du territoire français. Sur son site officiel, l'association se présente comme "apolitique et liée à aucun mouvement politique". Mais pour cette membre du collectif, "c'est un groupe de militants qui, politiquement, se positionnent clairement à l'extrême droite".
" Il faut montrer (...) qu'on ne construit pas que des mosquées en France" Julien Le Page, président de SOS Calvaires
À l'occasion d'une interview disponible sur YouTube, le président de Sos Calvaires, Julien Le Page, a effectivement présenté les objectifs de son association en des termes, il est vrai, pour le moins polémiques : "Il faut montrer (...) qu'on ne construit pas que des mosquées en France (...), un calvaire, c'est un étendard. C'est un drapeau qu'on plante. Ici, c'est une terre chrétienne".
Le même genre de propos est d'ailleurs repris par un des financeurs du projet de Saint-Vincent qui explique son choix de la manière suivante sur le site de financement : "En ces temps de croisade nécessaire, puisse votre projet être le ralliement d'un catholicisme régénéré et conquérant..."
"J'ai l'impression que la Haute-Loire est devenue depuis quelques années, une nouvelle terre de mission pour de nombreux groupes d'extrême-droite"
Plus inquiétant encore : "Sur le compte Facebook de l'instigateur du projet, ce dernier est félicité par l'un de ses amis, Thibaut de Chassey qui n'est autre que le fondateur du Renouveau Français, un mouvement décrit par le Monde comme nationaliste et antisémite et qui ne rechigne pas à faire usage de la violence". La riveraine conclut, désemparée : "J'ai l'impression que la Haute-Loire est devenue depuis quelques années une nouvelle terre de mission pour de nombreux groupes d'extrême-droite."
Le combat des riverains ne fait que commencer
Le maire de la commune, interpellé par les riverains, l'a précisé clairement : toutes les autorisations nécessaires à l'aboutissement de ce projet ont été déposées en mairie et tant que le Code de l'urbanisme était respecté rien ne pouvait, en l'état, s'opposer à cette démarche. Mais le collectif s'attache tout de même à recenser les éléments légaux susceptibles de leur donner raison en cas de recours éventuel devant le tribunal administratif.
Et de s'appuyer pour cela sur l'exemple de Saint-Denis-de-l'Hôtel, commune du Loiret, dans laquelle la municipalité a fait un recours contre le même type de projet en arguant que ce dernier trouvait place sur un terrain agricole qui n'avait de fait pas vocation à accueillir de symboles religieux.
"Nous ferons tout pour empêcher que la quiétude et le vivre-ensemble (...) ne soient menacés"
Concernant les potentiels troubles et nuisances qui pourraient advenir si le projet voyait le jour, les riverains l'assurent : "nous ferons tout pour empêcher que la quiétude et le vivre-ensemble, qui sont la marque de notre village, ne soient menacés d'une manière ou d'une autre par ce projet." Ils sont soutenus en cela par le maire de la commune qui, en tant qu'officier de police judiciaire, s'est d'ores et déjà engagé à mettre tout en œuvre pour faire respecter l'ordre public et à intervenir le cas échéant.
Car les risques de troubles sont possibles. Nonobstant le fait que les pèlerinages que souhaite organiser Mathieu Bourdilleau risquent de générer un trafic difficilement soutenable sur certaines des voies de la commune, le premier édile pourrait également avoir à gérer un autre type de troubles.
Un article de nos confrères de La République du Centre, en date du 10 juin 2022, cite les propos d'un habitant de Cercottes, une petite commune du Loiret qui a assisté, en 2021, à une procession organisée par SOS Calvaires suite à la rénovation d'un monument de la commune : "On n'était pas très à l'aise (...). Les prêtres étaient habillés avec des soutanes et, dans le même temps, ça détonnait avec des jeunes hommes qui étaient là, avec de gros tatouages, les cheveux coupés court..." Une autre procession de ce type a eu lieu l'année suivante à Saint-Denis-de-l'Hôtel. France 3 Val de Loire l'avait alors qualifiée d' "évènement prisé par l'ultradroite".
Ni l'évêque du Puy, ni Mathieu Bourdilleau n'ont souhaité répondre, pour le moment, à nos sollicitations. Les représentants du collectif de riverains devraient rencontrer prochainement les responsables du Diocèse.