Il y a ceux pour qui le Japon évoque le Mont Fuji, les bonsaïs , la cérémonie du Thé et les cerisiers en fleurs au début du printemps. De la finesse, du raffinement et de la lenteur. Et il y ceux pour qui le pays du soleil levant est celui d'une pop culture polymorphe et adulée, dans laquelle se téléscopent le monde réel et le monde virtuel à grands coups de nouvelle technologie.Deux visions irréconciliables? Peut être. Mais pas au JapaN'Game de Brives où elles cohabitent tous les deux ans, en parfaite harmonie. Rencontre avec des Otakus et des Bonsaïka.
Immersion au sein du petit monde des Otakus...
S'il y a un terme que tout le monde connait et revendique dans le petit monde des aficionados de la pop culture nippone c'est bien celui d'Otaku. Ça ne vous dit rien? Rassurez-vous, ça ne nous disait rien non plus. Jusqu'à ce que nous rencontrions, près de l'entrée du salon, l'un des spécialistes ponots de cette étrange communauté qui a accepté de nous en dire plus, Julien, employé à la librairie Interlude : " Otaku? Ici tout monde sait ce que ça veut dire, bien évidemment. Au Japon, c'est un terme moqueur, qu'on utilise pour désigner quelqu'un de pas très adapté socialement qui reste cloitré chez lui, obsédé par certains éléments de la culture pop, quitte à en négliger totalement sa vie sociale. Une sorte de geek totalement Nolife, quoi ".
"il s'agit juste d'une d'une personne accro à la culture pop nippone, fan de mangas, de cosplays ou d'animés" Julien, libraire
Pas très flatteur à première vue donc. Mais Julien précise aussitôt : " Attention, en France, la définition est un peu différente et beaucoup moins péjorative. Chez nous, et pour les participants à ce salon, il s'agit juste d'une personne accro à la culture pop nippone, fan de mangas, de cosplays ou d'animés japonais. Les okatus français sont des passionnés, ouverts aux autres et aux autres cultures. Ils contribuent à redorer l'image des geeks japonais qu'on imagine obèses, asociaux et boutonneux".
"Je mange otaku, je parle otaku et surtout la nuit, je rêve otaku" Himé, cosplayeuse
Himé à une vingtaine d'années, une perruque blanche aux mèches bleutées et un déguisement de super héroïne. Elle assume et revendique totalement le fait d'être une otaku : " Moi je suis grave otaku, c'est toute ma vie depuis deux ans. Je suis accro aux mangas et aux animés ainsi qu'à toute la culture japonaise. Je m'éclate totalement 24 heures sur 24. Je mange otaku, je parle otaku, et surtout la nuit, je rêve otaku.."
Mais pas question pour elle de vivre sa passion en recluse, de manière égoïste. Bien au contraire. Avec Himé, on n'est pas loin du prosélytisme. La jeune fille se revendique effectivement adepte du Cosplay, ce loisir qui consiste à jouer le rôle d'un personnage de fiction, issu d'un manga ou d'un animé, en imitant son costume, ses cheveux et son maquillage. Elle rêve même d'en faire son métier et avoue non sans mal s'en donner tous les moyens, avec un soupçon de provocation bien placée " Au Puy, plein de gens me connaissent déja. J'adore me balader en cosplayeuse dans les rues. Ça fait beaucoup réagir, on me regarde bizarrement, parfois on me critique, mais je m'en fous totalement. J'ai aussi mon fan club et j'ai converti quelques copines".
"J'ai appris à lire dans les mangas"
C'est par l'intermédiaire de son père, adolescent à la fin des années quatre-vingt, que la cosplayeuse à découvert la pop culture nippone : " Mon père était un fan de Goldorak et d'Albator. Il ne s'en est jamais remis. J'ai passé mon enfance devant Game one ( première chaine de télé française à avoir mis l'accent sur les jeux vidéos, les mangas et les séries animées populaires NDLR) et j'ai appris à lire dans les mangas".
Les mangas, justement, ces bandes-dessinées de petit format à la couverture souple, dont les plus célèbres et les plus courus sont Dragon Ball Z et Naruto, sont l'essence même de la communauté otaku. D'après Julien, le libraire d'Interlude, ces petits albums japonais qui représentent 50 % des ventes de son commerce sont à l'origine du mouvement et l'alimentent régulièrement : " A sa création, le terme Otaku, désignait spécifiquement les fans les plus obstinés de mangas et de leurs adaptations télévisuelles. Ce sont les mangas qui nourrissent l'imaginaire et la culture otaku et participent à leur éternel renouvellement".
" Internet a permis aux otakus du monde entier de se connecter entre-eux " Julien
Les mangas, mais aussi les animés (ces films ou ces séries d'animation souvent adaptés d'un manga NDLR) , les jeux vidéos et la technologie. D'après Julien, la culture otaku c'est aussi et peut être avant tout, une question de technologie : " Le streaming et le piratage en ligne ont rendu les animés et les jeux vidéos plus accessibles que jamais, ce qui a permis aux otakus de regarder leurs séries préférées ou de jouer à leurs jeux favoris à tout moment et n'importe où". Si la culture otaku, plutôt urbaine à l'origine, est désormais présente partout, et à fortiori dans un département rural comme la Haute-Loire, c'est selon lui "grâce à internet qui a permis aux otakus du monde entier de se connecter entre eux, de discuter et de créer des communautés en ligne".
" J'ai grandi avec Albator, Capitaine Flam et la Nintendo " Valentin, otaku repenti
C'est grâce à la technologie également que certains otakus, férus de jeu d'arcade en ligne, peuvent passer des heures à jouer tout en discutant de leur stratégies de jeu sur des forums ou participer à des tournois. C'est ici que la communauté otaku croise celle des geeks, ces passionnés d'informatique et de nouvelles technologies. Valentin, jeune trentenaire de Lantriac, fut l'un d'entre-eux avant de devenir papa : " J'ai baigné très longtemps dans la culture otaku nous confie-t-il. J'ai grandi avec Albator et Capitaine Flam, commencé à jouer avec la Nintendo de mon père puis découvert les jeux en ligne sur PC, des petits jeux de puzzle multijoueurs etc... ça ne m'a plus lâché pendant longtemps, c'est ma fille, à sa naissance qui m'a permis de me désintoxiquer, mais je compte bien lui transmettre un jour ma passion". La culture otaku c'est aussi souvent une histoire de famille et d'héritage.
... et des bonsaïka
Loin de la salle principale du salon, consacrée aux jeux vidéos et aux bip des jeux d'arcade. Loin des applaudissements rendus aux cosplayers qui prennent la pose. Loin des clameurs de ceux qui reprennent en choeur les génériques d'Albator ou des Pokémon comme autant de cris de ralliement, le Japon dans sa version zen a élu domicile dans une petite salle au bout du couloir de la MPT. Le chi, cette énergie bienveillante et spirituelle totalement nippone y circule librement.
" La culture japonaise c'est avant tout la recherche de la paix, de l'harmonie et du raffinement " Eric, bonsaïka
C'est le temple des bonsaïka. Une autre tribu. Beaucoup plus zen. Eric, membre du Bonsaï club du Velay s'y affaire à la taille de l'un de ses conifères miniatures. Pour cet ancien horticulteur, aujourd'hui électricien, "la culture japonaise c'est avant tout la recherche de la paix, de l'harmonie et du raffinement" ce qui suppose au préalable que l'on ait établi " un rapport particulier avec la nature". Et rien de tel selon lui, pour s'inscrire dans cette démarche que de participer à la tradition du bonsaï. Il en a partout dans son jardin. Parce que ce sont des arbres très raffinés, bien évidemment, mais surtout parce que "s'occuper d'un bonsaï , " c'est pas seulement faire du jardinage, c'est aussi un peu toucher à la philo en cherchant l'harmonie dans les lignes apaisantes". Cool attitude et raffinement, feng-shui et contemplation c'est ça l'essence du Japon pour Eric.
" C'est l'antithèse de la France où tout est tellement fadasse " Cassie
Même son de cloche pour Cassie, jeune ponote délicate au tein de porcelaine qui fume sa cigarette à l'entrée du salon : " Pour moi, la culture japonaise c'est la créativité et le raffinement poussés à leur apogée, l'antithèse de la France où tout est tellement fadasse, sauf ici, au JapaN'Game " conclut-elle.