Vendredi soir. Dix-neuf heures. Les rues du petit bourg de Saint-Julien-Chapteuil sont prises d'assaut par un défilé de voitures, à la recherche d'une place pour se garer. Sur les trottoirs, parmi les chanceux qui ont trouvé un endroit pour poser leur cheval en métal, on croise Pocahontas, Calamity-Jane, Billy the Kid ou Davy Crockett. Au loin, un vieil air de Bluegrass à base de banjo, de mandoline et de contrebasse indique l'endroit du rassemblement : la cour de l'école publique " Les Copains". C'est dans ce lieu, sous l'ombre et la fraîcheur des platanes centenaires, que l'association des Compagnons de Chapteuil organise chaque année, depuis 17 ans déjà, le rendez-vous phare de l'animation estivale du village, le festival de la soupe.
Une festival ancré dans la tradition, avec un petit quelque chose en plus
Coiffé d'un chapeau noir, le pouce posé sur la ceinture de son vieux Levi's en toile bleu, dress code oblige, Christian Dessalle, le président de l'association, qu'on appelle le shérif pour l'occasion, balaie du regard les centaines d'amateurs de soupe, qui se pressent devant les caisses, afin d'obtenir le ticket "Open Bar" qui leur permettra de consommer de la soupe jusqu'à plus soif. Il est comblé.
La dix-septième édition de son festival démarre sur les chapeaux de roue, cette année encore : " Tous les ans, on fait un peu mieux en matière de fréquention. On attend 900 personnes ce soir, et demain, samedi, au moins autant".
" Des soupes aux choux, il y en a un peu partout. Nous on se fait un point d'honneur à ne pas en faire " Christian Desalle, président des Compagnons
Il faut dire d'emblée, que la tradition de la soupe aux choux est une institution en Auvergne. Nombreux sont les villages qui organisent leur "soupe aux choux" en juillet ou en août. Mais les Compagnons de Chapteuil, eux, voulaient faire preuve d'originalité et moderniser la tradition : " Des soupes aux choux, il y en a un peu partout. Nous, on se fait un point d'honneur à ne pas en faire. On voulait élargir le concept " nous explique le shérif. Et le concept a fait mouche. Son histoire vaut le détour.
Il poursuit : " Avant , la fête, à Saint-Julien, c'était ce qu'on appelait la fête historiée, une sorte de fête médiévale autour de notre château. Mais au bout d'un moment, les capitoliens ont fini par se lasser. Il était temps de se renouveler. L'ancienne présidente a eu cette idée de génie : rester fidèle à la tradition de la soupe aux choux, tout en la faisant évoluer. On savait pas si ça allait prendre. Mais ça a pris.Très vite !"
" Certains habitants, un peu bigots, nous ont signifié qu'ils ne foutraient jamais les pieds dans la cour de la Publique " Christian Dessalle
Les bénéfices occasionnés permettent aux compagnons d'offrir, chaque année, un autre évènement, à l'automne : une pièce de Marcel Pagnol. D'ailleurs leur village, avec les platanes de son école, à des faux airs de village provençal. Et puis ce n'est pas tout. Certains épisodes de son histoire pourraient prendre place dans un des romans de l'écrivain. Christian Dessalle sourit en les évoquant : " A l'origine, la fête de la soupe, avait lieu sur la place du marché, en haut du village et on cuisinait dans des petites cocottes. Rapidement, on a été dépassés par le succès et pour des raisons de sécurité, le maire de l'époque, nous a demandé de déménager dans la cour de l'école...publique ! Et bien figurez vous que certains habitants, à l'époque un peu bigots sans doute, l'ont très mal pris et nous ont signifié qu'ils ne foutraient jamais les pieds dans la cour de la Publique!"
Des soupes à la mode américaine, mais pas que
" Soupe Apache" ( pieds de cochon et orge perlé) , " Soupe Dalton " (oignons, légumes et lentilles-corail), " Soupe Pocahontas " (oignons, patates douces, maïs et haricots rouges), " Soupe Arizona " (patates douces, jus d'orange et piments mexicains), " Soupe Geronimo " (tomates, lentilles, oignons et piments de cayenne), "Soupe Trinita" ( haricots rouges, chorizo et tomates), soupe à la châtaigne façon Fay-sur-Lignon ..L'ambiance culinaire est posée. Et ça pique le palais.
" Le souvenir des saveurs des soupes de nos grands-mères, là-haut sur le plateau " Françoise
" Pour chacun des deux jours que dure le festival, nous préparons 800 litres de soupes " tient à préciser Florent Vidal, le vice-président de l'association, et certaines sont prises d'assaut, il n'en reste plus au bout d'une heure!" C'est le cas de la très courue soupe aux châtaignes, préparée par " le village " de Coudert du Marion : " Nous en avions préparé 160 litres, et tout est parti en une heure" nous explique son inventeur. Le secret de son succès ? Juste des pommes de terre, de la châtaigne, un peu de sel et " le souvenir des saveurs des soupes de nos grands-mères, les soirs d'automne, là-haut sur le plateau ", rajoute Françoise, nostalgique, venue de Monistrol, juste pour elle.
" Mettre un peu de piment dans sa vie, c'est important " Eric, touriste belge
Eric, lui, touriste belge de passage, a adoré la " Soupe Arizona " , " parce-que c'est l'été, qu'il fait chaud, que c'était une soupe froide et qu'il aime bien aussi, parfois, mettre un peu de piment dans sa vie, c'est important".
Des cow-boys, des cow-girls et des indiens
Aurélie, accoudée à la table haute du Saloon, coiffée d'un élégant Panama est venue de Retournac. Pas spécialement pour les soupes. Plutôt pour les cow-boys et pour l'ambiance. C'est une adepte de la Country, cette musique américaine dérivée du folklore du sud des Etats-Unis. Elle attend d'ailleurs impatiemment de pouvoir rejoindre la piste de danse pour faire claquer les Santiags.
" Moi, ce que j'aime, c'est la culture rurale, celle des campagnes, des cow-boys qui élèvent des vaches, comme les paysans de Haute-Loire " Aurélie, country girl
Devant son bol de "Soupe Dalton" elle nous parle avec passion de cette culture " country " et tente un parallèle avec la culture auvergnate : " Les gens de mon âge et les médias en général s'intéressent trop aux cultures urbaines. Moi ce que j'aime, c'est la culture rurale, celle des campagnes, des cowboys, qui élèvent des vaches, comme les paysans de Haute-Loire. Quand on écoute les paroles des chansons country, il y a quelque chose d'universel qui parle de la souffrance des paysans qu'ils soient américains ou auvergnats. On y évoque la difficulté de leur vie et ça, ça me touche beaucoup, c'est pour ça que je suis venue ce soir, pour entendre ces chansons".
Mais au fait, ces cow-boys, mangeaient ils vraiment de la soupe ? Et bien non ! D'après l'historien Yohann Chanoir, si le cuisinier dans son food-truck représentait une figure essentielle du monde des cow-boys, leur ordinaire était très monotone et se composait essentiellement de café, de bacon, de haricots et de biscuits. Pas de soupe donc. Mais peu importe. Les Compagnons de Chapteuil auront su tout de même, le temps d'un week-end, transporter les papilles de leurs convives du côté du Grand Ouest américain.
Le Festival de la Soupe se poursuit samedi 22 juillet à partir de 19h30.