J'ai testé pour vous : une immersion dans une eau à 4 degrés
Une histoire qui vient du froid
Un récit à la Jack London que nous offre Alain Groisier, l’érudit des moulins de la Haute-Loire. Ici, il troque sa passion d’Éole pour s’aventurer dans les envoûtantes montagnes du Mézenc, là où règne le blanc, les arbres glacés et le souffle du Monde.
« Samedi 2 décembre, pour la première fois de l’année, je ressors mes vieux skis de fond. Devant moi, dans les entrailles des Estables, la neige s’est invitée abondamment, dessinant des formes étranges à perte de vue, des créatures immobiles qui font peur ou qui font sourire. Sur le seuil de la forêt, il y a même une sorte de golem géant aux épaules impressionnantes, son visage à moitié fondu et un corps difforme. Il semble me défier d’avancer plus encore dans sa maison, dans son domaine de neige et de glace »
Juste le silence
« Étrangement, je baisse les yeux devant lui, attendant presque qu’une voix d’outre-tombe tonne dans mon dos. Mais rien. Il y a juste le silence entrecoupé de cette complicité qu’aucun humain ne pourra pleinement percevoir. Cette discussion entre le vent et la cime des arbres. Les craquements de la nature et ses tremblements doux et violents. Ces murmures qui nous rappellent à quel point nous sommes petits et éphémères dans l’histoire du Monde ».
« En ces temps où les saisons existaient encore »
« Toutes les pistes ne sont pas tracées et c’est un vrai bonheur de flotter sur ce tapis blanc et vierge. Mes skis, ce bruit de biscottes qui craquent à chaque pas, cette sensation dans les jambes quand la neige cède sous mon poids. Tous les parfums des années 80 me reviennent, en ces temps où les saisons existaient encore. Avec mes copains de Saint-Julien-Chapteuil, on arrivait tôt au Chalet d’Aiglet et on remontait toute la draille de Soutrou, plongés dans 30 centimètres de poudreuse, jusqu’à la Croix de la Plonge. De sacrés souvenirs. Presque de la nostalgie ».
« C’est alors une claque que nous prenons en pleine gueule »
« Aujourd’hui, on suit le même chemin et nous optons pour la descente de la Maison Forestière, à l’abri de Costebelle. C’est alors une claque que nous prenons en pleine « gueule ». On a l’impression que le vent hurle des insultes tellement qu’il est fort et cinglant. Les flocons, millions de coup de poings tirés à l’horizontal, nous fouettent les infimes surfaces de peau laissées à découvert ».
Ce mariage du blanc et de gris, de terre et de ciel
« Au bout d’un moment où la notion du temps n’est plus tant les sens sont éprouvés, la Croix de Peccata enfin se dessine. Et également des silhouettes humaines à travers le blizzard. Nous rencontrons ce groupe de skieurs, venus de la Croix de Boutières par la forêt, et nous les remercions pour les traces laissées derrière eux. Puis nous repartons. Les bois, les pâturages sans frontières, les sentiers sauvages qui mènent on ne sait où, les horizons qui se succèdent et qui donnent le tournis dans ce mariage du blanc et de gris, de terre et de ciel...et la Croix de Boutières ».
« Mes potes et les golems de froid »
« La Croix de Boutières marque la frontière entre l’Ardèche et la Haute-Loire. Nous choisissons ce lieu d’union pour sortir un bon vieux saucisson, un bon gros bout de pain, un thermo de thé brûlant et bonne petite bouteille de vin rouge. Cet instant est magique. Je sais, le mot n’est peut être pas le plus adapté, mais c’est ainsi ce que je ressens là, maintenant, mon corps malmené par le froid, mes yeux saturés d’images trop belles, et moi en train de dévorer un casse-croûte avec mes potes et les golems de froid qui nous regardent tout autour ».
« Ensemble, nous avons fait quelque chose que beaucoup aimeraient faire »
« Ensuite ? Retour à la case départ dans les traces encore chaudes des précédents. Une fois parvenus à la Croix de Peccata, nous redescendons jusqu’au Chalet d’Aiglet par les passes sauvages, ces étroits itinéraires parsemés d’empreintes d’animaux, les véritables propriétaires des montagnes.
Dans la bâtisse de bois, autour d’une pizza et de quelques verres de bières, nous commentons notre journée. Je regarde mes compagnons d’aventure décrire leurs sensations, leurs sentiments et leurs émotions. Et je me dis que leurs sourires sont bien plus parlant que mille mots. Car ensemble, nous avons fait quelque chose que beaucoup aimeraient faire. Prendre le temps. Prendre un instant de sa vie pour s’évader là-bas, dans le blanc, les arbres glacés et le souffle du Monde ».
Vos commentaires
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1 commentaire
magnifique éloge à mère Nature, à notre juste place en tant qu'humain et à l'instant présent ! merci !