Un film de Franck Dubosc en avant-première au Ciné Dyke du Puy
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"On n’oubliera jamais le génocide arménien"
Bien que les premiers massacres aient débuté réellement dès la fin du 19ème siècle, le 24 avril 1915 est un jour symbolique. "C’est le jour où beaucoup d’intellectuels, écrivains, savants, chansonniers…, susceptibles de soulever une résistance contre l’Empire ottoman, sont arrêtés, déportés, torturés, brûlés vifs voire décapités", relatent Roza, 29 ans, mariée, un diplôme équivalent au master dans l’enseignement en poche et sa soeur cadette Liana, 19 ans, lycéenne en Terminale S au lycée Roche-Arnaud en cité ponote.
Bref rappel historique
Venant d’Echmiadzin, ville située à une vingtaine de kilomètres d’Erevan, la capitale arménienne, elles arrivent en France en 2011, avec leurs parents, un peu au hasard à Clermont-Ferrand pour finir par "poser leurs valises" au Puy. Elles expliquent qu'en 1911, dans un petit village de Turquie, Salonik, s'est tenue une réunion des ministres ottomans du parti des jeunes turcs pour "définir les points stratégiques pour tuer les hommes et les garçons, pour déporter les vieillards, les femmes et les petites filles vers les déserts de Syrie". Elles allèguent encore : "Ce parti au pouvoir depuis 1914, parti nationaliste, avait l’idéologie d’élargir le pays pour en faire un état uniquement pour les Turcs et les musulmans, pour faire une épuration de la race", relatant les propos rapportés par leur grand-père, le seul de la famille miraculeusement sauvé en 1915 à l’âge de sept ans, après une fuite d’un village de la région de Bitlis vers la ville d’Echmiadzin, à l’instar de beaucoup d’autres.
Les Arméniens encore sous le choc aujourd’hui
Les arméniens sont encore fortement sensibilisés par les horreurs commises lors du génocide. Ainsi, Simon Der-Hagobian, né au Puy en 1940, marié avec une ponote, ancien commerçant d’une boutique de prêt-à-porter, se souvient le temps, en 1953-1954, où la vingtaine de familles d’origine arménienne qui vivaient dans la ville préfecture se retrouvaient entre-elles et parlaient du génocide. "Je les revois encore pleurer", s’indigne-t-il.
Il relate le long périple qui a conduit ses parents de la ville de Malatya, qui se trouve aujourd’hui en Turquie, à Beyrouth, au Liban, via Alep en Syrie pour débarquer finalement à Marseille, en 1924, à bord d’un convoi humanitaire de la Croix Rouge. Le bateau qui partait pour le Brésil et l’Argentine a fait une escale prévue dans la cité phocéenne. C'est là que "le demi-frère à mon père, qui habitait Saint-Chamond, dans la Loire, a retrouvé mes deux parents pour les conduire au final au Puy-en-Velay, en 1938, via encore un séjour entre temps aux Avenières (Isère) et Romans (Drôme) où ils apprennent que l'usine Fontanille du Puy embauchait", raconte Simon Der-Hagobian.
"Au moment du génocide, mes parents avaient entre 10 et 15 ans et ils ont vu massacrer leurs propres parents", s’offense-t-il aussi. Et il cite le récit d’une dame, la cinquantaine, ayant elle-même fait partie d’un convoi à destination d’un désert en Syrie, qui racontait que "les femmes et les jeunes filles avaient le visage recouvert de boue pour s’enlaidir, pour éviter d’être enlevées par les gardes et de subir des atrocités". Et "J’en veux au gouvernement turc de s’enfoncer dans le déni et de m’avoir privé du bonheur d’avoir des grands-parents", se vexe-t-il encore.
"Ce qui nous met le plus en colère, c’est le côté barbare, la cruauté ; on ne comprend pas comment les gens étaient capables de tuer, les petits enfants notamment", s’offusquent à leur tour Roza et Liana.
"On n’oubliera jamais"
Le centenaire a une signification symbolique matérialisée par un insigne représentant une fleur nommée "Anmorouk", qui signifie "non-oublié". "Pour montrer au monde qu’un siècle entier ne nous fera pas oublier le génocide", assurent conjointement Roza et Liana. "On n’oubliera jamais !", accentuent-elles aussi. "Les gens nous disent d’arrêter de pleurer, que cela ne sert à rien, mais le génocide, ça nous fait toujours très mal", s’attristent-elles encore.
Si seulement la Turquie reconnaissait le génocide…
La reconnaissance du génocide demeure encore de nos jours une priorité pour les Arméniens. En effet, loin de reconnaître le génocide, la Turquie évoque pour sa part une guerre civile qui a fait entre 300 et 800.000 morts, autant du côté turc qu’arménien. "Contrairement à l’Arménie, la Turquie est un partenaire économique important pour les autres pays qui se placent donc derrière sa position qui est de ne pas reconnaître le génocide", argumentent Roza et Liana. "Les Etats-Unis ne se prononcent pas parce que la Turquie est une base avancée de l’Otan et ont peur de perde leur base stratégique", insiste Simon Der-Hagobian.
"Il suffirait que la Turquie reconnaisse le génocide pour que tous les pays en fassent autant", appuient Roza et Liana. "Si on est humain, on doit le reconnaître et tant que l’on ne reconnaît pas un crime, on laisse la voie ouverte à d’autres atrocités", plaident encore ensemble les deux soeurs.
"Il est anormal qu’Israël en tant que victime d’un génocide ne reconnaisse pas celui des arméniens", s’agace de son côté Simon Der-Hagobian. "Je réclame la reconnaissance du génocide par la Turquie pour que mes parents et grands-parents puissent dormir en paix", clame-t-il. "Je rêve que pour la commémoration du centenaire, la Turquie reconnaisse enfin le génocide", ose-t-il encore espérer.
La Turquie tente de masquer l'évènement
La Turquie a décidé de programmer le centenaire de la bataille de Gallipoli (détroit des Dardanelles), traditionnellement célébrée le 25 avril, pour le 24, le même jour donc que celui où l’Arménie se souvient des victimes du génocide. Le président turc Recep Erdogan a même osé inviter leur président Serge Sargsian qui a logiquement refusé. "L’objectif est de détourner l’attention du monde", avance Roza. "Ça a été très mal perçu par le peuple arménien, car ce n’est rien d’autre qu’une moquerie ouverte", regrette écoeurée Liana.
Difficilement envisageable d’aller en Turquie
De nos jours encore, des nationalistes anti-arméniens circulent en toute liberté en Turquie. Il est dès lors difficile d’envisager y séjourner car "on ne se sentirait pas en sécurité et nous serions obligés de cacher notre identité Arménienne et chrétienne, ce que nous ne désirons absolument pas", déplorent Roza et Liana.
Pour sa part, Simon Der-Hagobian, comme la plupart des Arméniens, blâme : "Tant que la Turquie ne reconnaît pas le génocide, je ne vois pas pourquoi j’irai dépenser mon argent là-bas et je fais remarquer gentiment à mes collègues qui y vont qu’il y a tant d’autres pays à visiter". Il conclue en avouant que, dans le cas contraire, "j’irai en Turquie parce que ce qui nous sépare, c’est la religion, mais nous avons la même cuisine, nous buvons le même café avec le même marc au fond de la tasse".
Ce vendredi 24 avril 2015, au Mémorial d'Erevan, s'est déroulée une cérémonie commémorative dédiée aux victimes du génocide arménien. Plusieurs chefs d’Etats étaient invités dont les présidents russe Vladimir Poutine et français François Hollande.
G.D.
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