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Elèves infirmiers : "On se fait un peu avoir"
Quelque 400 élèves infirmiers ou aides-soignants du Puy ont été mobilisés en plein pic de l’épidémie, un peu partout en France. Même si la Région leur verse une aide exceptionnelle, certains estiment que la reconnaissance, notamment de l'Etat, n’est pas au rendez-vous.
« On nous prend un peu pour des cons ! » Clémence*, étudiante infirmière de 3e année à l’Institut de Formation en Soins Infirmiers (IFSI) du Puy-en-Velay n’a toujours pas digéré la pilule d’avoir vu son stage de printemps prolongé de quatre semaines, au pied levé, en pleine crise sanitaire, à la mi-mars, à l’hôpital Emile Roux. « Quand on a été rappelé sur nos lieux de stage, on s’est dit qu’on risquait quand même gros pour 50€ par semaine », abonde Chloé*, dans la même situation. Les 2e année, eux, sont indemnisés 34€/semaine et les 1ère année 28€/semaine, avec frais kilométriques éventuels. C’est l’une des batailles que porte le syndicat des élèves infirmiers, la FNESI, alors que le Ségur de la santé a commencé le 25 mai pour sept semaines. « Ils ont bien raison de le faire », estime Pierre Morin, le directeur de l’IFSI et de l’IFAS (Institut de Formation d’Aides-Soignants) du Puy-en-Velay.
« J’aurais trouvé plus normal qu’on nous fasse des vrais contrats de travail pour être protégés et avoir un salaire », reconnaît Antoine*, élève infirmier ponot de 2e année, placé dans un autre centre hospitalier du département. Des étudiants ont fait appel à la CGT en ce sens. La secrétaire CGT de l’hôpital Emile Roux et des établissements publics de santé du bassin du Puy Amandine Rabeyrin relate son action.
La situation des élèves infirmiers et aides-soignants a donc été portée à la connaissance de la Région Auvergne Rhône-Alpes. « Nous sommes en contact régulier avec la Région mais ce n’était pas une demande officielle de notre part », précise Pierre Morin. Toujours est-il qu’une aide exceptionnelle a été débloquée pour les élèves en stage pendant les mois d’avril et de mai dans un établissement d'Auvergne Rhône-Alpes (et pas uniquement pour ceux placés dans des services Covid comme en Occitanie). Cette aide est actuellement en cours de versement. Elle s’élève à 1 000 € par mois pour les élèves aides-soignants, à 1 200 € par mois pour les étudiants infirmiers en 1ère et 2e année, et à 1 300 € pour les élèves infirmiers 3e année (voir documents ci-dessus). « J’ai été agréablement surprise, raconte Clémence, mais en même temps déçue que ce ne soit pas une initiative nationale de l’État. »
La réaction du président de la Région Auvergne Rhône-Alpes Laurent Wauquiez :
L’État finance donc environ la moitié de cette aide exceptionnelle. Concernant les étudiants du Puy, elle sera versée en juin à environ 300 élèves infirmiers et une centaine d’élèves aides-soignants, tous en stage à un moment donné entre le 16 mars et le 31 mai, un peu partout en France, en hôpital comme en EHPAD, à Sainte-Marie, ou en clinique privée. Cette aide ne couvre donc pas les deux dernières semaines de mars. « C’est sûr que c’est toujours mieux que rien mais si on compte mars, ça fait moins que le SMIC, déplore Clémence, donc on se fait un peu avoir. » Ce à quoi Pierre Morin répond qu’ « on peut toujours dire que ce n’est pas assez mais ce n’est tout de même pas mal pour des stagiaires. »
Chloé, elle, l’interprète autrement : « Ils ont considéré ça comme un stage mais nous on l’a vécu comme une réquisition ; officiellement on ne remplaçait pas les soignants envoyés sur la réserve sanitaire mais dans les faits, en sous-effectifs, on avait pas mal de responsabilités, on devait se débrouiller un peu tout seul, d’ailleurs les équipes nous ont dit, quand on est parti, qu’elles ne savaient pas comment elles allaient faire sans nous. » Et Clémence de renchérir : « Le but d’un stage c’est d’apprendre, pas de faire le travail des autres. » Ce discours, Pierre Morin le réfute : « Il ne s’agit pas de remplacements, aucun étudiant ne s’est retrouvé seul sans infirmier, ils ont toujours été encadrés ; après l’organisation interne de chaque établissement dépend de sa direction. »
"La surexploitation des élèves infirmiers, elle a toujours existé"
Pourtant Antoine a vécu une période d’une semaine et demi de stage sans infirmier. « Je leur téléphonais quand j’avais du temps libre pour leur demander de les suivre sur les autres étages », raconte-t-il. Il faut dire qu’Antoine a été placé en stage d’aide-soignant et non d’infirmier : « Ils manquaient d’aides-soignants alors j’ai été placé en unité long séjour, de nuit, mais je n’ai pas appris grand-chose cette semaine là ; du coup j’ai demandé à passer infirmier et là j’ai été placé en chirurgie ; c’était hyper formateur ». Qu’un élève infirmier fasse un stage en tant qu’aide-soignant (diplôme décerné après la première année validée) ne choque en rien Pierre Morin, même pour un étudiant de dernière année : « Cela fait partie intégrante du métier d’infirmier, l’hygiène, les soins… à la base un infirmier est un aide-soignant. » Pour autant, Jean-Philippe Salât, président de l’Ordre des infirmiers d’Auvergne Rhône-Alpes, n’est pas tout à fait sur la même longueur d’ondes : « J’ai été alerté à ce sujet, certains étudiants de la région font même leur dernier stage en tant qu’aide-soignant, sachant qu’ils seront diplômés un mois et demi plus tard, ça pose question. » Pour lui, ce « besoin de petites mains » a éclaté au grand jour avec la crise sanitaire, mais la « surexploitation des élèves infirmiers, elle a toujours existé », estimant « ridicule » d’être indemnisé 28 à 50€ par semaine de stage.
« Ce stage m’a complètement crevée », témoigne Chloé, entrée dans le grand bain du métier en plein pic de l’épidémie. « Il n’y avait pas encore de protocole, les équipes n’étaient pas rassurées, on avait tous peur d’attraper le virus et de le refiler à nos proches, confie-t-elle, moi qui habite chez mes parents, j’avais pas envie de les contaminer. » Car même si elle n’était pas placée au service Covid, elle a pris en charge des patients contaminés, parfois en apprenant a posteriori qu’ils étaient positifs. « La première fois, j'ai eu peur », admet Chloé. Sans compter la pénurie d’équipement du début d’épidémie. « Un jour, on est entré dans la chambre d’une suspicion Covid et on n’avait qu’une paire de lunettes de protection en plastique, raconte Clémence, l’infirmière m’a dit que comme j’avais des lunettes de vue, c’est elle qui prenait les lunettes en plastique, mais c’est pas le même niveau de protection ; j’ai désinfecté mes lunettes comme j’ai pu et je les ai portées toute la journée. » Certains élèves ont même effectué leur stage en service Covid. « Ils s’entendaient bien avec les équipes alors ça ne les dérangeait pas », rapporte Clémence. Selon la jeune femme 21 ans, quelques étudiants infirmiers ont d’ailleurs contracté le virus. « Je n’ai aucun élément concernant des tests positifs parmi les étudiants, rétorque Pierre Morin, certains ont montré des symptômes et ont été dépistés avec des résultats négatifs. » Sachant qu’un résultat négatif n’est pas forcément fiable. Tout juste Pierre Morin a-t-il entendu un médecin lui rapporter qu’un étudiant aurait été testé positif après une vacation dans un établissement de Saint-Etienne, sans confirmation officielle. « Ça ne m’étonnerait pas qu’il y ait eu des étudiants infectés, réagit Jean-Philippe Salât, mais on ne le saura qu’après coup avec les tests sérologiques désormais gratuits pour les soignants. »
"Ça a été très formateur donc c’est positif aussi"
Par précaution, l’IFSI du Puy avait tout de même retiré certains de ses étudiants de leurs lieux de stage s’ils faisaient partie des personnes vulnérables (y compris pour un terrain allergique aux graminées par exemple) ou en comptaient une dans leur foyer. Ils représentent moins de 10 % des effectifs et ont vu leur stage remplacé par des travaux écrits (depuis le 1er juin, certains sont retournés sur le terrain). « Je ne me voyais pas retirer tous nos stagiaires comme certains IFSI l’ont fait, expose Pierre Morin, par soutien envers les équipes soignantes. » Finalement, c’est bien ce qui met tout le monde d’accord. « Ça a été très formateur donc c’est positif aussi », reconnaît Chloé. Antoine est encore plus éloquent dans sa modestie. Quand on lui demande si son intervention en pleine crise sanitaire représente une fierté, il répond simplement : « Pas vraiment, c’est normal, c’est le métier que j’ai choisi, je dirais plutôt que c’est une satisfaction, non vraiment, je n’ai pas à me plaindre. »
Annabel Walker
* Les prénoms ont été modifiés sur demande des interlocuteurs.
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