Agriculteur depuis 1995 à Saint-Paulien et sénateur de la Haute-Loire depuis 2017, Laurent Duplomb parle d’un dossier qu’il connaît sur la pointe des doigts : l’état de santé de l’agriculture en France. À travers un long rapport sénatorial, cinq filières agricoles sont passées au crible pour comprendre pourquoi l’Hexagone n’est plus le Grenier à blé de l’Europe ou encore l’ambassadrice mondiale de la pomme comme dans les années 1990.
Ainsi, le lait, le blé, la pomme, la tomate et le poulet, produits consommés presque tous les jours dans les foyers français selon le sénateur, ont été autopsiés dans leurs moindres détails durant les six mois d’une longue expertise. Le constat d’après les rapporteurs ? Accablant.
Les importations alimentaires en France multipliées par deux
« À l’heure où le commerce international de produits agroalimentaires n’a jamais été aussi dynamique, la France est l’un des seuls grands pays agricoles dont les parts de marché reculent : elle est passée de deuxième à cinquième exportateur mondial en vingt ans, commence ainsi la synthèse du document. En parallèle, les importations alimentaires en France explosent : elles ont doublé depuis 2000 et représentent parfois plus de la moitié des denrées consommées en France dans certaines familles ».
« Trop de restrictions tuent les cultures »
« La Haute-Loire n’est pas plus préservée qu’ailleurs, soulève Laurent Duplomb. Comme la moutarde en Côte-d’Or, la lentille suit le même chemin. De moins en moins de cultivateurs se concentrent sur la production des plants de moutardes, dégoûtés par la quantité de restrictions à respecter. Maintenant, ce savoir a été exporté au Canada, en Inde et en Ukraine. Pour la lentille, c’est pareil. De plus en plus d’obligations provoquent forcément un désintéressement. Quand il n’y a pas de rendements, qui ça intéresse ? Personne. Trop de restrictions tuent les cultures et la profession ».
« Il y a 10 ans, nous exportions 750 000 tonnes de pommes. Aujourd’hui, c’est la moitié moins »
Laurent Duplomb veut alerter sur « une production agricole française en déroute totale ». « Aujourd’hui, la France agricole décline à un rythme extrêmement inquiétant, pointe-t-il. Sur le lait, il y a une forme de décapitalisation des troupeaux, sur la pomme nous avons perdu la moitié de nos exportations ».
Il précise : « Il y a 10 ans, nous exportions 750 000 tonnes de pommes. Aujourd’hui, c’est la moitié moins. Et dans le même temps, nous en importons 200 000 tonnes, soit deux fois plus qu’il y a 10 ans ». 60 % des fruits consommés proviennent de l’exportation, 40 % pour les légumes, environ 30 % pour les volailles (3 fois plus qu’il y a 20 ans).
Un cinquième de vaches en moins en 25 ans dans les prairies française
Si le lait semble s’en sortir un peu mieux selon Laurent Duplomb, c’est « grâce » au sacrifice des producteurs acceptant un revenu très bas. Les chiffres indiqués dans le rapport dévoilent que 61 % des éleveurs laitiers français n’atteignent pas le salaire médian, que le cheptel des vaches a diminué de 20 % (moins 800 000 têtes) en 25 ans et qu’un agriculteur sur deux n’est pas remplacé à la retraite.
« La recherche du haut de gamme cloisonne les consommateurs français. Les plus riches peuvent s’acheter une pomme française à 1,18 euros, les autres une pomme polonaise presque trois fois moins chère et bourrée de molécules que nos agriculteurs ne peuvent employer chez eux ». Laurent Duplomb
« Cette obsession du gouvernement à faire du haut de gamme »
Laurent Duplomb souhaite que le gouvernement regarde en face les paradoxes présents plantés dans les sillons français. « Prenons encore l’exemple de la pomme, lance-t-il. Le président veut en faire un fruit haut de gamme, dénué de la plupart des traitements chimiques, insecticides et autres. Elle est alors vendu en moyenne 1,18 euros. Le 1/3 des pommes que nous importons proviennent de Pologne. Elles ne sont pas soumises aux mêmes règles sanitaires et entrent en France garnies de substances interdites pour les pomiculteurs français. Cette pomme polonaise est vendu 53 centimes. »
Il constate ainsi : « Cette obsession du gouvernement à faire du haut de gamme pour tous les produits français détruit toutes les filières sans exception. C’est un procédé totalement mortifère que les autres pays profitent en prenant toutes les parts de marché que nous perdons dans des proportions affligeantes ».
« Il faut que nous retrouvions notre souveraineté alimentaire et énergétique rapidement. C’est primordial, c’est juste essentiel pour notre pays et ses millions d’habitants ». Laurent Duplomb
Le risque d’être nourri et chauffé par les pays étrangers
Le sénateur de la Haute-Loire rappelle le risque d’être tributaire des pays voisins et étrangers notamment sur l’alimentation et l’énergie. « On s’est enfin rendu compte avec le Covid et la guerre en Ukraine que le fait d’être nourri par les autres pays peut s’arrêter à tout moment et mettre un terme à notre souveraineté alimentaire. »
Même observation pour notre consommation en électricité. Selon Laurent Duplomb, la France a acheté en 2019 environ 28 jours d’électricité à ses voisins européens. L’année d’après, c’est 40 à 50 jours. En 2021, le chiffre s’échelonne entre 70 à 80. « La barre des 100 jours d’électricité achetée à l’extérieur devrait être dépassée en 2022 », prévoit-il.
454 substances actives sont permises dans la culture de la pomme en Europe. La France en autorise seulement 309. Conséquence : désherbage par une main d’œuvre nombreuse, utilisation de produits moins efficaces, rendements plus faibles, coûts élevés…
L’histoire des néonicotinoïdes dans les betteraves
« Un autre paradoxe ?, fournit encore Laurent Duplomb. Celui des néonicotinoïdes dans la culture des betteraves en France. Après avoir obligé les producteurs français à ne plus les utiliser, le gouvernement s’est rendu compte que notre pays deviendrait tributaire des sucriers étrangers, faute d’avoir pensé à une alternative de production en France. Un an après, les néonicotinoïdes sont de nouveau autorisés ! »
« Il faut déjà que tout le monde joue avec les mêmes armes, les mêmes contraintes »
Les solutions, selon les trois sénateurs, résideraient dans une reprise urgente de la compétitivité française. Un « Choc de compétitivité » pour reprendre leurs termes. « Il faut déjà que tout le monde joue avec les mêmes armes, les mêmes contraintes, commence Laurent Duplomb. Ceci afin d’éviter d’accepter des produits étrangers emplis de produits chimiques que les producteurs français ont l’obligation de ne pas utiliser. En parallèle, la place d’un haut-commissaire doit être créée pour piloter ce plan de compétitivité ».
Les autres pistes sont aussi nombreuses que "multi domaines". Réduire les charges sociales sur les travailleurs saisonniers agricoles, tourner davantage l’enseignement agricole vers les métiers de l’agroalimentaire, réformer la politique d’accueil des travailleurs saisonniers étrangers, faire de la France un champion de l’innovation en matière environnementale.
Sur le marché intérieur, l’issue résiderait, selon les trois sénateurs, dans la reconquête de l’assiette des Français par une modification profonde de la réglementation européenne relative aux étiquetages, par une politique de contrôles sur les tromperies plus stricte ou encore par la promotion d’une alimentation plus locale dans les cantines.