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Lac de Naussac : un géant à l'agonie

Par nicolas@zoomdici.com , Mise à jour le 12/08/2022 à 06:00

Au 10 août, il est déjà vide de moitié. Le célèbre lac aux confins de la Haute-Loire et de la Lozère se vide de sa ressource à une vitesse folle bien que son remplissage était loin d’être optimal au terme de l’hiver. Son hémorragie sauvegarde pourtant tout un ensemble d’usages dont l’approvisionnement en eau potable des communes qui en dépendent.

86 400, c’est le nombre de seconde en 24 heures. 10 000, c’est le nombre de litres d’eau qui s’échappe à chaque seconde du barrage de Naussac. 864 000 m³, c’est la quantité journalière ahurissante qui s'échappe ainsi de ce mastodonte pour perfuser l’Allier assoiffé.

« Pour la première fois, la retenue n’a pas été remplie convenablement »

Certes, le colosse peut contenir 185 millions de m³ d’eau lorsque son réservoir est saturé, alimenté normalement durant les mois d’automne et d’hiver. « Mais cette année, nous assistons à un évènement historique et exceptionnel depuis l’existence du barrage construit il y a 40 ans, se désole Benoît Rossignol, Directeur Ressource en Eau de l’Établissement Public de la Loire. Pour la première fois, la retenue n’a pas été remplie convenablement. Le manque de pluie pendant l’hiver a profondément mis à mal les rivières qui nourrissent le lac de Naussac. Cela a été un vrai problème dont nous subissons maintenant les conséquences ».

Une vue dans l'une des extrémités du lac de Naussac.
Une vue dans l'une des extrémités du lac de Naussac. Photo par Did Hebrard

Des lâchés d’eau bien plus tôt qu’à l’accoutumée

Avant le premier jour d’étiage, étiage qui veut dire « lâché d’eau », le lac de Naussac ne contenait alors que 77 % de sa capacité. D’autre part, parce que la rivière Allier et le fleuve de la Loire ont manqué d’eau très tôt dans l’année, le processus d’étiage a débuté dès le 15 mai. « D’habitude, le soutien d’étiage se fait pendant les mois les plus secs en été, livre Benoît Rossignol. Mais les nappes phréatiques et les cours d’eau n’ont pas eu les ressources nécessaires pour se refaire une santé ».

Si Christian Defay est né en Haute-Loire et a vécu ses jeunes années à Fay-la-Triouleyre, commune de Saint-Germain-Laprade, il connaît comme sa poche le lac de Naussac. Il y a plusieurs décennies, il fait le pari fou de fabriquer un premier chalet en rondin de bois à quelques pas de la retenue, du côté du village de Rocles. Passionné de planche à voile et toutes embarcations qui flottent, il monte ensuite une base nautique proche de l’eau. À présent, le camping du Rondin des Bois est reconnu comme être une incontournable référence en matière d’hébergements bâtis en rondins avec une offre en activités natures et nautiques exceptionnelle.

À propos de l’état actuel du lac de Naussac, il partage son expertise sur le sujet : « Je l’ai déjà vu plus bas que ça, admet-il. C’était en 2005 et 2006. Des vidanges complètes avaient été décidées pour faire l’entretien sur le barrage. Outre ces années là, jamais je n’ai vu la retenue aussi faible si tôt dans la saison ».

« Ils ont activé les pompes trop tard sans imaginer l’ampleur de la canicule estivale »

« Je pense que les experts de l’Établissement public de la Loire nuancent un peu la réalité. Ils disent que c’est la sécheresse hivernale la source du problème, sécheresse qui aurait empêché les rivières du Donozeau, de l’Allier et du Chapeauroux d’alimenter le lac. À mon sens, l’explication est économique ».

Il analyse : « 60 % du lac est rempli par le Donozeau et le Chapeauroux et les 40 % restants sont assurés par un pompage dans l’Allier qui est en général effectué dès la fin automne. Quand les lâchers d’eau sont faits, cela produit de l’électricité que l’Établissement revend ensuite à EDF. Mais les opérations de pompage dépensent, à l’opposé, de l’électricité. Pour peut-être faire des économies, ils ont activé les pompes trop tard sans imaginer l’ampleur de la canicule estivale qui allait s’installer les mois suivants ».

« Au niveau touristique, c’est une grosse saison pour nous car les gens recherchent quoi qu’il en soit les points d’eau. Et en dépit du niveau, il y a toujours assez d’eau pour naviguer largement. D’autre part, l’eau de Naussac est dénuée de bactéries contrairement à 90 % des lacs en France ». Christian Defay

« Réfléchir à ce que nous voulons comme prochain monde »

Christian Defay, amoureux du lac mais philosophe, souligne l’urgence à revoir les habitudes de la société dans son ensemble. « Le niveau du lac à cette époque est très bas, c’est vrai. Il faut interpréter ce constat comme un avertissement. Par exemple, tout le long de l’Allier, d’innombrables plantations de maïs s’enchaînent. Tout le monde sait que c’est une culture extrêmement consommatrice en eau. Pourquoi continuer ainsi ? Il est urgent de repenser la totalité de notre mode de vie et de consommation. Il est grand temps maintenant de tenir une vraie table ronde et réfléchir à ce que nous voulons comme prochain monde, ce que nous voulons léguer aux prochaines générations ».

Les responsables du Rondin Parc mentionnent que toutes les activités sont assurées, que ce soit celles exclusivement nautiques (il reste tout de même environ 600 hectares de surface aquatique pour les embarcations voiles et autres) et les activités sur terre comme l'accrobranche, les trottinettes électriques, les chasses aux trésors...

10 m3 s'échappent à chaque seconde du barrage de Naussac pour alimenter l'Allier.
10 m3 s'échappent à chaque seconde du barrage de Naussac pour alimenter l'Allier. Photo par DR

En deux mois et demi, plus de 70 millions de m³ d’eau vidés

D’après l’Établissement Public de la Loire, les besoins annuels normaux en soutien d’étiage issus du lac de Naussac sont d’environ 60 millions de m³. Trois sources alimentent la retenue d’eau pour sensiblement atteindre cette exigence. Depuis le 15 mai, ce sont pourtant plus de 73 millions de m³ qui ont été extraits de ce lac au trois quart rempli à la base. « Et il est très probable que nous devions continuer avec cette même intensité jusqu’au mois de novembre si la météo reste ainsi », s’inquiète Benoît Rossignol.

« Au 10 août, il est rempli à 50 %. Ce n’est pas inhabituel de le voir avec ce niveau. Ce qui est alarmant, c’est de le voir ainsi si tôt. Dans les semaines à venir, il faudra s’attendre à de grosses difficultés ». Benoît Rossignol

À l'une des extrémités du lac, le fond se dévoile chaque jour un peu plus.
À l'une des extrémités du lac, le fond se dévoile chaque jour un peu plus. Photo par Did Hebrard

Mais pourquoi déverser autant d’eau dans l’Allier ?

Car les besoins sont aussi énormes qu’indispensables à chaque kilomètre du cours d’eau. « L’eau de Naussac suit l’Allier pour rejoindre la confluence avec le fleuve de la Loire à hauteur de Nevers, explique le Directeur Ressource en Eau. Au passage, il traverse de nombreuses communes à l’instar de Vieille-Brioude, Vic-le Comte ou encore Clermont-Ferrand. Ces dernières se servent de cette eau pour leur propre eau potable. Il y a aussi pléthore d’usages agricoles et industriels et également des enjeux environnementaux pour la faune et la flore ».

Il ajoute aussi : « L’eau de Naussac s’accouple avec celle du barrage de Villerest qui alimente la Loire au départ de Roanne. Ensemble, après un périple de 6 jours pour l’eau de Naussac et 4 pour celle de Villerest, elles vont rejoindre la centrale nucléaire de Belleville dans le Cher. Et cette eau est essentielle pour son fonctionnement ».

« Le 9 août, le Comité de gestion des barrages a décidé quelque chose qui ne s’est jamais faite auparavant. Il a commandé de diminuer les objectifs de soutien d’étiage à un niveau qu’on aurait jamais imaginé depuis la création du barrage en 1983. L’accès à l’eau potable sera alors fortement mis en cause ». Benoît Rossignol

Cette photo a été prise au début du mois de juillet. Photo par Tristan Hayer

Les centrales nucléaires autorisées à rejeter de l’eau plus chaude que la réglementation

Si Benoît Rossignol indique que la conception des centrales nucléaires implantées sur la Loire sont moins consommatrices d’eau que les structures sur le Rhône, c’est tout de même un sacré serpent qui se mord la queue. Car, lorsque l’eau de Naussac sort à une température de 12 degré du barrage, elle se réchauffe tout au long de son parcours à cause du faible débit naturel causé par la sécheresse. Les centrales pompent ainsi une eau plus chaude pour le refroidissement de ses circuits.

La réglementation exige que le rejet des eaux des centrales nucléaires dans les cours d’eau ne dépasse les 25 degré Celsius. Mais un arrêté inédit publié au Journal officiel ce samedi 6 août autorise désormais cinq centrales nucléaires françaises à rejeter dans les cours d’eau avoisinants de l’eau plus chaude que d’ordinaire, et ce jusqu’au 11 septembre. La température permise va même jusqu’à 30 degré pour celle du Tricastin (Drôme). Cette dérogation gouvernementale est justifiée par « une nécessité publique » de répondre aux besoins de consommation d’électricité malgré les conséquences catastrophiques sur la biodiversité environnante.

Photo par Did Hebrard

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