Quelques minutes avant vingt heures, des lumières bleues s'allument au dessus de la scène. Le temps se suspend sur un superbe piano à queue Steinway. Julien Clerc, entre en scène, souriant et élégant. Le public applaudit. C'est le début d'un set d'une heure trente dans lequel se succéderont, dans l'ordre, quelques chansons de ses derniers albums, un hommage appuyé à quelques glorieux ainés de la chanson française et l' interprétation de quelques-uns de ses classiques.
" Et toi ce soir comment vas-tu?"
C'est par la chanson "Et toi ce soir, comment tu vas?" que l'artiste débute son concert. Une manière de saluer son public tout en lui adressant un message de bienveillance. Il enchaine avec "Mademoiselle", un merveilleux hommage rendu à toutes les institutrices de France et en particulier à celle qui a changé et "embelli" sa vie alors qu'il n'était qu' " un petit cancre qui faisait le crocodile en classe" confie-il à son public. S'en suit un vibrant clin d'oeil aux "protest songs" et à la résistance chilienne : la chanson "utile" sur des paroles signées du poète catalan Etienne Roda Gil et inspirées par un voyage de Juliette Gréco au Chili à l'époque où Augusto Pinochet dirigeait le pays. Lorsque le chanteur entame enfin l'un de ses tubes, "Partir", le public frappe dans les mains et se laisse entraîner par la mélodie et la profondeur de sa voix. Les vibrations des basses caressent le sol du théatre , les premiers rangs sont parcourus de frissons. L'émotion et la bonne humeur sont palpables. L'artiste sourit.
"Comme à Ostende et comme partout"
Arrive, ce qui fut sans doute la partie la plus poignante du spectacle. Celle durant laquelle les fantômes de quelques grands de la chanson française ont flotté entre les travées d'un théatre enveloppé pour un long moment d'un parfum de nostalgie d'autant plus abouti que l'artiste les a tous fréquentés. L'occasion pour lui de livrer quelques anecdotes à leur sujet avant d'offrir à un public désormais totalement sous le charme, sa propre interprétation de quelques -unes de leurs plus belles chansons. On aura donc croisé ce soir les ombres de Léo Ferré, l'anarchiste ("Comme à Ostende"), Barbara, la grande dame ("Quand reviendras-tu"),Charles Trenet, le fou chantant ("Boum"), Montand ("La bicyclette"), et la môme Piaf ("Tu me fais tourner la tête"). C'est la chanson "Les séparés" qui clôt cette séquence, un magnifique poème de Marceline Desbordes-Valmore, poétesse française, superbement mis en musique et interprété par Julien Clerc.
"La Californie"
Mais les lumières se font plus vives. L'artiste quitte la scène un court instant. Le temps d'enfiler un cuir sur ses épaules. On change de style et de registre. Ambiance seventies. Les enceintes crachent du gros son. C'est "La Californie". Le tube qui a lancé la carrière de Julien Clerc. Le soleil californien happe les Ponots. Les premiers rangs se lèvent et se trémoussent le temps d'une chanson. Puis se rassoient. Le chanteur, à l'âme féministe, entonne un autre de ses succès " Femmes, je vous aime". Les écrans des portables vacillent de droite à gauche. Le public est conquis. Certains se lèvent pour applaudir le grand Julien qui quitte déjà la scène du théatre. Le charmeur-chanteur revient, une dernière fois, interpréter " Le phare des Vagabondes".
Il parait que Julien Clerc, fils de la bourgeoisie de Bourg-la-Reine, promis à de belles études, avait du surmonter le scepticisme de ses parents pour se lancer dans la chanson. A sa mère qui lui disait : "Des Bécaud, des Ferré et des Brel , il n'y en a qu'un", il aurait répondu " Moi aussi, il n' y en aura qu'un". Cinquante et quelques années plus tard, il n'en reste qu'un.