Pour les profanes, un calvaire est un monument chrétien. Il se présente, soit sous la forme d’une simple croix sans personne accrochée dessus, soit avec le Christ agonisant.
Pour la version "all inclusive", Jésus est également accompagné de deux autres personnes tout autant mal en point, le Mauvais et le Bon Larron. Le mot « calvaire » provient de l'araméen Golgotha, lieu où le Fils de Dieu a été crucifié, selon les évangiles.
La loi autorise Jésus en privé
Pour vite revenir sur cette affaire qui secoue les esprits de Larcenac, petit coin de paradis dans la commune de Saint-Vincent, des villageois avaient lancé une pétition durant le printemps 2024. Ils souhaitent ainsi s’ériger contre la construction religieuse prévue dans le pré privé de Mathieu et Séréna Bourdilleau et leurs cinq enfants.
Le 30 avril 2024, ils s'étaient réunis pour discuter de la chose et connaître les recours possibles pour l’annuler. Mais, si depuis la loi de 1905 concernant la séparation de l'Église et de l'État, il n'est plus possible d'édifier un calvaire sur un emplacement public, il demeure tout à fait légal sur un domaine privé.
"Mathieu Bourdilleau a pensé l’autorisation à la mairie de St-Vincent comme futile"
Durant ce jeudi de l'Ascension 2025, c'est ainsi sous tension qu'a été inauguré un méga Christ de 5 mètres de haut. Pour l'occasion, ce sont environ 200 personnes qui sont venues aduler l'effigie, dont l’évêque du Puy-en-Velay, Yves Baumgarten, et des dizaines de scouts d'Europe.
D'après les dires de riverains, une procession était prévue depuis l’église du village jusqu’au terrain privé à laquelle l’évêque devait participer. "Mais Mathieu Bourdilleau a pensé l’autorisation à la mairie de St-Vincent comme futile, souligne Philippe Delaigue, élu à la municipalité et membre du collectif d’habitants opposés au calvaire. La municipalité a donc interdite la procession".
L'inauguration s'est ainsi déroulée exclusivement sur le terrain privé de la famille très catholique Bourdilleau.
Les opposants craignent qu'une foule de religieux se regroupe désormais ici.
Photo par JFP
"Ni calvaire, ni Abbé Pierre, ni Betharram"
Sur place, un service d'ordre privé filtre les passants pour ne laisser entrer que les "esprits sains", cela sous le regard d'une dizaine de gendarmes. Les journalistes, considérés comme des suppôts du diable, ont l'interdiction de s'approcher de la propriété et de prendre des photos.
Pendant que les louanges sont chantées autour du calvaire, c'est une autre ambiance qui anime le côté des opposants. La quarantaine de riverains tiennent leur position devant une banderole sur laquelle est inscrit "Ni calvaire, ni Abbé Pierre, ni Betharram".
Aux alentours de 17 h 30, un arbre de la laïcité a aussi été planté par Philippe Delaigue à l'entrée du village, "en dépit de l'interdiction du maire de Saint-Vincent, Jean-Benoit Girodet", précise un habitant.
Pendant que les scouts d'Europe rejoignent Jésus, un arbre de la laïcité est planté.
Photo par JFP
"Quelle aurait été leur réaction si un musulman avait voulu construire un minaret dans son jardin"
Jean-Marie Bayard, porte-parole du collectif de riverains, pointe quant à lui "le manque de réaction des officiels, à savoir du maire, du préfet et même de l'évêque face à une opération de prosélytisme évident qui écorne la laïcité et entache le vivre-ensemble du village".
Il dit regretter une certaine lâcheté des "autorités administratives qui se cachent les yeux en arguant du fait qu’il s’agit d’un terrain privé et qu’elles ne peuvent rien faire".
Pour rebondir sur ces propos énoncé à l'occasion d'un discours sur les lieux, un riverain lance : "on pourrait se demander quelle aurait été leur réaction si un musulman avait voulu construire un minaret dans son jardin !"
"Les troubles à l’ordre public sont susceptibles d’advenir désormais puisque, comme l'assure Mathieu Bourdilleau, la propriété est amenée à accueillir des groupes pour différentes sortes d’évènements à priori religieux". Jean-Marie Bayard
"Ce n'est sûrement pas comme ça qu'on s'y prend pour tenter d'évangéliser"
Le porte-parole des opposants décrit Mathieu Bourdilleau comme un "militant anti-républicain d’extrême-droite. Il n'y a qu'à parcourir les réseaux sociaux pour s'en rendre à l'évidence".
Il ajoute aussi : "Son idéologie d'exclusion est, finalement, à l'opposé de ce que devraient être les valeurs de la foi chrétienne. Il ne s'entend avec personne dans le village et ce n'est sûrement pas comme ça qu'on s'y prend pour tenter d'évangéliser les gens".
"La laïcité, c'est vivre sa religion sans l'imposer aux autres". Philippe Delaigue.
Photo par JFP
"Vivre sa religion tranquillement sans l’imposer aux autres"
Pour terminer, Philippe Delaigue, élu, certes, mais aussi professeur de droit, rappelle que "la laïcité, c'est facile. C’est juste vivre sa religion tranquillement sans l’imposer aux autres".
Pour clore son intervention, il fait part de son souhait de planter un deuxième arbre de la laïcité, le 9 décembre, devant l’école du village de Saint-Vincent. Cette date n'a pas été choisie par hasard. Ce sera l'anniversaire des 120 ans de la loi 1905, loi qui sépare l'Église de l’État, cœur battant du principe de la laïcité et de la tolérance.