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« Où était votre papa pour être dans cet état-là ? »  

, Mise à jour le 21/03/2022 à 06:00

Partout en France, de nombreux témoignages accablants révèlent les dysfonctionnements de certains Ehpad ou structures assimilées. L'un de ces récits dépeint la clinique privée Beauregard (Groupe Korian) à Chadrac, spécialisée dans les Soins de suite et de réadaptation polyvalents (SSR), comme un lieu de grande négligence, faute d’effectifs « pour s’occuper de tous les patients ».

Des larmes, des voix qui se brisent, des regards qui se perdent dans des souvenirs écorchés, et surtout de la colère, de la rancœur et des remords aussi profonds qu’éternels. « Si j’avais su, si j’avais écouté mon mari et osé braver la direction pour le sortir d’ici, peut-être serait-il encore en vie aujourd’hui. Et si la mort l’avait tout de même pris, tout aurait été mieux ailleurs que dans ce mouroir où les gens sont réduits à rien, à des corps cassés qu’on laisse là sans les regarder ».

Ce témoignage conclut le long descriptif partagé par une famille du bassin ponot sur la maltraitance qu’aurait subi Antoine* durant ses 10 jours dans le SSR Beauregard à Chadrac. Opéré du cœur le 20 décembre 2021 à Lyon, ce grand gaillard de 76 ans reste dans le coma quelques jours pour se réveiller enfin le 30 décembre. Si son cerveau fonctionne à merveille, il devient paraplégique et très affaibli des membres supérieurs. « Il avait un moral d’acier et parlait tout le temps, sourit sa fille. Ses bras et ses jambes ne fonctionnaient plus mais il gardait toute sa lucidité. »

Après son séjour au service de réanimation, il est transféré dans un autre étage de l’établissement lyonnais. « Tout allait très bien. Et il voyait clairement l’avenir pour lui, pour nous, pour ses petits-enfants. Il nous rappelait qu’il ne fallait pas oublier la vidange de la voiture et de bien payer l’assurance. Tous ces petits trucs du quotidien qui composent la vie de chacun, qui composent la vie tout simplement ».

« Nous ne pouvons pas porter plainte car nous ne faisons pas le poids contre un groupe si important. On ne peut que partager ce que nous avons vécu et ce qu’a subi mon mari dans cet établissement lamentable. »

La direction du SSR va rencontrer la famille

Le groupe Korian a organisé un rendez-vous entre la direction de la clinique Beauregard et la famille en question, ce vendredi 25 mars.
Le groupe Korian nous a précisé qu'ils vont galement effectuer une enquête interne pour définir les responsabilités des acteurs en cause.

D'après l'ARS, une autre réclamation, en cours d'instruction, a été notifiée fin 2021 au sujet du SSR Beauregard. D'autres datent d'avant 2016. Aucune inspection n'a été faite.

« L’endroit était si sale, si vétuste et le personnel en tel sous-effectif »

Antoine restera hospitalisé là-bas jusqu’au 20 janvier. « Ce jour-là, le professeur Marco Vola annonce que mon père sera transféré ce même jour à Beauregard, à Chadrac, livre sa fille. Mon sang n’a fait qu’un tour ! Il était hors de question qu’il atterrisse là-bas ! En 2012, il avait déjà été en convalescence pour un autre souci de santé. L’endroit était si sale, si vétuste et le personnel en tel sous-effectif que nous avions décidé de l’extraire de notre plein gré avant la fin de son repos ! ».

Mais à force de persuasion faite par le professeur sur la réhabilitation de la clinique et avec l’appuie de sa consœur cardiologue en place au SSR de Chadrac, la famille d’Antoine se laisse persuader. Le jeudi 20 janvier 2021, une chambre est réservée pour lui. Ce jeudi-là marquera le début de sa perdition jusqu’aux derniers battements de son cœur.

« Je n'en veux pas aux aides-soignantes et aux infirmières qui faisaient ce qu'elles pouvaient pour s'occuper de mon papa et des autres résidents. Mais j'en veux terriblement à ceux qui leur donnent des ordres. Quand on sait qu'on ne peut s'occuper de tous les patients, on n'en prend pas de supplémentaires »

« Son visage et tout le haut de son corps étaient couverts de glaires »

« Lorsque nous sommes arrivés, c’était surprenant !, se rappelle la fille d’Antoine. Il y avait toute une armada de soignants qui nous attendait, des infirmiers, le nutritionniste et d’autres encore. C’est vrai que ça nous a mis en confiance tout de suite. La chambre était double mais avec une séparation. Et l’ensemble paraissait propre ».

Le souvenir de 2012 s’étiole alors. Il n’a fallu qu’un jour pour que le cauchemar recommence. « On est revenus le lendemain après-midi, souffle son épouse. Le visage de mon mari et tout le haut de son corps étaient couverts de glaires. Personne n’avait pris la peine de le nettoyer. »

« Ses fesses étaient en sang, déchirées par les escarres et personne ne semblait s’en soucier dans cette clinique, mis à part nous. » 

Émilie*, 79 ans, témoigne elle aussi de son passage dans la clinique Beauregard. Après une opération du cœur au mois de mai 2021 à l’hôpital Nord de Saint-Etienne pour un triple pontage, elle intègre la clinique de Chadrac afin de se rétablir correctement.

Elle y restera un peu plus de deux semaines jusqu’au jour où elle menace la direction de signer une décharge pour partir d’elle-même. « En quittant l’hôpital de Saint-Etienne, le chirurgien m’avait confié un numéro à contacter à la moindre douleur. Malheureusement, j’ai donné ce numéro à l’accueil de Beauregard en pensant qu’ils étaient plus à même de joindre les services de l’hôpital Nord en cas de besoin ».

« Une fois à Beauregard, ma jambe s’est mise à me faire mal, continue-t-elle. Je n’arrêtais pas de me plaindre, de faire voir comment elle était enflée et rouge, et d’alerter sur le fait que je faisais sûrement une infection. Les infirmières constataient bien un problème et je pense réellement qu’elles avertissaient leurs supérieurs. Mais sans que je ne comprenne pourquoi, aucune décision n’était prise. On me donnait du Doliprane et c’est tout ».

Peur de perdre sa jambe

Le problème est qu’Émilie est diabétique de Type 1 depuis ses 15 ans. Le risque de perdre sa jambe l’obsède de plus en plus à mesure que les douleurs s’intensifient. « La cardiologue ne cessait de me faire des échographies du cœur, livre-t-elle. Mais mon cœur, malgré la lourde opération, allait très bien. C’était ma jambe le souci. Le pus coulait dans ma chaussure mais elle n’en avait cure ».

« Ma veine saphène était tellement saturée de pus que le chirurgien a dû m’ouvrir »

Pendant 15 jours, Émilie supporte tant bien que mal la douleur jusqu’au moment où elle envisage de partir d’elle-même. « Là, d’un coup, c’est la direction qui appelle l’hôpital Nord où je suis transférée le jour-même, se rappelle Émilie. Ma veine saphène était tellement saturée de pus que le chirurgien a dû m’ouvrir pour drainer toute l’infection. J’y suis restée une semaine. Ils ont été contraints de me placer un drain que j’ai gardé pendant un mois et demi, en espérant ne pas perdre ma jambe. »

Une fois son séjour à l’hôpital stéphanois terminé, elle est rentrée chez elle et a demandé l’hospitalisation à domicile. « Franchement, je ne comprends pas pourquoi ils ont agi ainsi. Pour allonger au maximum ma résidence et tirer un maximum de sous ? Je ne sais pas mais vraiment je ne vois pas d’autres raisons que l’appât financier dans cette histoire ».

* : Le nom du patient a été changé pour préserver son anonymat

« C’était totalement absurde »

D’après sa fille, les aides-soignantes posaient le plateau de nourriture devant lui pour le reprendre intact une heure après. « Avec sa paralysie, il lui était impossible de se nourrir seul, confie-t-elle les dents serrées. Tout le monde savait qu’il avait besoin d’une assistance pour se nourrir et s’hydrater. » Elle continue, meurtrie : « J’ai demandé aux soignants pourquoi mon papa n’était pas nourri ! On m’a répondu qu’il n’y avait pas assez de monde pour s’occuper de tous les patients. »

Les membres de la famille d’Antoine se décident alors à venir tous les jours pour lui donner eux-mêmes à manger, le laver et le changer. À partir du 25 janvier, Antoine commence visiblement à dépérir. Chaque jour, il perd de précieux kilos, de plus en plus dénutri et déshydraté. « Il vomissait sans cesse, se désole sa fille. À chaque fois, il recrachait alors ses médicaments indispensables pour le cœur, notamment le Xarelto. Malgré le fait qu’on pouvait voir et compter aisément les cachets recrachés, les infirmières refusaient de les lui administrer à nouveau par peur d’une surdose. C’était totalement absurde »

« Il était tellement déshydraté que ses reins étaient en train de lâcher. Et il ne pesait plus que 40 kg alors qu'il en faisait le double en entrant à la clinique. »

« Comme le ferait un enfant, mon mari appelait sa maman tant il avait mal »

La date du jeudi 27 janvier restera gravée à jamais dans leur mémoire. « Il m’a suppliée de l’emmener loin d’ici, tremble encore son épouse. Qu’il fallait qu’il revienne à la maison où il allait mourir dans cette chambre. » Entre deux sanglots, elle partage doucement : « À l’âge de 76 ans, comme le ferait un enfant, mon mari appelait sa maman tant il avait mal. Ses fesses étaient en sang, déchirées par les escarres et personne ne semblait s’en soucier dans cette clinique, mis à part nous. »

Le lendemain, Antoine a 7 de tension. Son oxygénation est également au plus bas. Après plusieurs sollicitations de la famille pour l’hospitaliser en urgence, la direction de la clinique décide finalement son transfert au Centre Hospitalier Émile-Roux du Puy-en-Velay.

« Le médecin était stupéfait par la négligence de soins qu’avait éprouvés mon père »

« Où était votre papa pour être dans cet état-là ? » Cette question est posée par le médecin du Samu dès les premières analyses faites sur Antoine. « Le médecin était stupéfait par la négligence de soins qu’avait éprouvés mon père, pleure sa fille. Il était tellement déshydraté que ses reins étaient en train de lâcher. Et il ne pesait plus que 40 kg alors qu'il en faisait le double en entrant à la clinique. »

Dans la salle de déchocage d’Émile-Roux, les soignants se succèdent en nombre pour s’occuper d’Antoine. Et son cœur finit par se stabiliser en dépit d’une tension très basse. « Le samedi, après l’avoir vu, nous sommes repartis un peu en confiance. Tout le monde était super avec lui et avec nous. Son état était très alarmant mais nous le savions entre de bonnes mains ».

« Si je ne peux rien faire, si je ne peux les traîner en justice sous peine de voir ma famille écrasée, je peux juste affirmer ce qui est vrai. Et la vérité est qu’ils me l’ont tué mon papa. Ils me l’ont tué »

« À présent, je vais devoir vivre avec ce sentiment jusqu’à ma propre fin »

Dimanche 30 janvier. 8h10. Un coup de téléphone. « Avant que je ne décroche, je savais ce qu’on allait m’annoncer, se brise la fille d’Antoine. Mon papa s’était éteint dix minutes auparavant. Durant sa vie, mon père a combattu deux cancers et maints soucis de santé. Il a fallu dix jours seulement, dix jours dans cette clinique pour l’anéantir totalement. »

Sa veuve ajoute d’une voix teintée d’amertume et de souffrance : « Ils l’ont séché comme une plante qu’on arrose pas. Il y a l’abattoir pour les animaux. Ici, c’est celui des humains. Et j’ai tant de remords de ne pas avoir eu le courage de le sortir de là. Tant de regrets. À présent, je vais devoir vivre avec ce sentiment jusqu’à ma propre fin. Jusqu’à ce que mon cœur s’arrête à mon tour, j’entendrai mon mari me supplier en vain de l’emmener loin d’ici. »

* : Le nom du patient a été changé pour préserver l'anonymat de la famille

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