C’est au lycée agricole George Sand à Yssingeaux que Julien Denormandie (LREM) a commencé sa visite du département altiligérien ce jeudi 4 novembre 2021. Élus, parlementaires et diverses organisations professionnelles agricoles sont également présents pour échanger sur l’avenir de l’agriculture et de ses acteurs. Dans l’air vif de la campagne yssingelaise, la présence du ministre avait aussi un petit air de campagne... électorale. « Je suis entouré de parlementaires aujourd’hui qui ne sont pas forcément du même bord politique que moi, se défend-il. Car les enjeux qui nous unissent sont primordiaux. Chacun des sujets ayant trait à la souveraineté agricole et agroalimentaire nous a toujours amenés à travailler dans un esprit d’équipe très constructif ».
"Retenues collinaires : un remède pire que le mal", selon France Nature Environnement (FNE)
"Quand l’eau manque en été, quand prairies, cultures et bétails se dessèchent autour de nous, une évidence semble s’imposer. Il faudrait la stocker en hiver, lorsqu’elle tombe en abondance, au moyen de retenues collinaires. Une idée simple, défendue par la FNSEA, comme par notre ministre de l’agriculture qui fustige « la palanquée de recours » s’opposant aux projets de « bassines ». Tous taisent au passage que ces « modestes installations » occupent parfois plusieurs hectares. Nourries un peu par les précipitations hivernales, elles recourent beaucoup au pompage dans les nappes souterraines et les cours d’eau. Elles sont aussi lourdement subventionnées. Au final, elles peuvent s’avérer un remède pire que le mal.
Les hydrologues mettent en garde
Les retenues collinaires sont une « solution à très court terme », soulignent les hydrologues. Ils rappellent la nécessité de laisser les pluies de l’hiver recharger les nappes souterraines. Les sols naturels filtrent gratuitement, recueillent sous forme de nappe puis restituent par l’intermédiaire des sources, l’eau des précipitations. L’on peut donc s’interroger sur l’intérêt de stocker, en surface et à grand frais, de l’eau qui va s’évaporer et croupir. Moins d’eau sous terre, c’est moins d’eau rendue aux sources, donc plus de sécheresse. Répondre à la multiplication des étés caniculaires, par la multiplication des stocks en surface, ne peut qu’assécher tout le système. Nos voisins espagnols en font l’amère expérience : dans les régions les plus équipées de barrages, les sécheresses sont deux fois plus intenses et plus longues.
Les associations de préservation de l’environnement luttent
France Nature Environnement a payé sa ferme opposition à ces infrastructures de la mort de l’un des siens. À Sivens et Caussade, recours en justice et manifestations rappellent le nécessaire partage d’une ressource hydrique plus rare et de moins en moins bonne qualité. Les associations de préservation de l’environnement sont nombreuses à défendre ce point et s’associent à notre lutte.
La biodiversité, victime des « bassines »
Outre leur inanité et leur coût, ces retenues sont redoutables pour la biodiversité. Elles entrainent des modifications des écoulements et des transits de sédiments (sables, graviers…) ainsi que des déplacements des poissons. A l’aval des ouvrages, l’aquafaune voit ses habitats et ses conditions de température bouleversés, sa vulnérabilité aux pollutions accentuée. Le déstockage soudain d’eau, ou «éclusée», simule des crues. Elles accentuent l’érosion et peuvent faire mourir les poissons par noiement/dénoiement des zones de frayère.
Autant de risques qu’il serait peu judicieux de prendre au moment où le Comité français de l’union internationale pour la conservation de la nature et le Muséum national d’histoire naturelle, publient des chiffres inquiétants. Sur 80 espèces de poissons d’eau douce présentes en France métropolitaine, 15 sont menacées de disparition. En cause la dégradation, voire la destruction, des milieux naturels (juillet 2019)".
Source : Site France Nature Environnement
Ambition : 100 retenues collinaires par an dans la grande Région, 10 en Haute-Loire
Mais quid du protocole départemental au sujet des retenues collinaires auquel Julien Denormandie a prévu d’ajouter sa signature ? « Ce protocole vient de la volonté du Président de la République lorsque qu’il est venu au sommet de l’élevage il y a deux ans, nous éclaire Yannick Fialip (FDSEA), président de la chambre d’agriculture de la Haute-Loire. Face aux changements climatiques, Emmanuel Macron a souhaité mettre en œuvre un schéma qui vise à stocker de l’eau lorsqu’elle est en abondance. » Il précise : « Il espère ainsi que 100 retenues collinaires soient constituées chaque année en Auvergne Rhône-Alpes, dont une dizaine tous les ans en Haute-Loire ».
« C’est vrai que le protocole départemental va aider les agriculteurs à bénéficier d’une retenue collinaire. Il y aura des aides de l’État, des fonds européens et de la Région. Mais cela reste tout de même un investissement très lourd, de l’ordre de 200 000 euros pour un dispositif avec système d’irrigation ». Yannick Fialip
Christian Amblard, hydrogéologue, directeur de recherche honoraire au CNRS
"Les retenues d’eau assèchent les tronçons de rivières situés en aval, détruisent les écosystèmes, noient les zones humides. (…) C’est donc une hérésie totale de faire passer les ressources en eau souterraines en surface, au profit de seulement 6 % des terres équipées pour être irriguées."
« C’est une bêtise de dire que les retenues collinaires sont néfastes pour les nappes phréatiques ! »
Le sénateur Laurent Duplomb (LR) apporte d’autres informations sur ce projet qui permettrait, selon lui et les personnes présentes à la visite de Julien Denormandie, d’aider les agriculteurs à beaucoup moins subir les aléas climatiques, notamment les périodes de sécheresse. « Actuellement en Haute-Loire, il existe déjà une vingtaine de retenues collinaires. Contrairement à ce que certains croient, les retenues dans le département sont petites et individuelles. Elles mesurent entre 5 000 et 10 000 m² pour les plus grandes. » Il continue : « Sur mon exploitation, la retenue collinaire recueille 20 litres d’eau par mètre carré ! C’est très peu ! C’est donc une bêtise de dire que les retenues collinaires sont néfastes pour les nappes phréatiques ! »
« On parle beaucoup du maïs comme étant une culture trop gourmande en eau mais c’est inexact. En fait, cette culture est celle qui est capable avec peu d’eau de faire le plus de rendements. Contrairement aux prairies par exemple ». Laurent Duplomb
Florence Habets, chercheuse en hydrométéorologie, directrice de recherche CNRS
« Augmenter nos capacités de stockage avec l’idée que nous pourrons poursuivre les mêmes activités, les mêmes cultures aux rendements fantastiques, est un leurre. »
« Nous sommes dans un pourcentage d’eau retenue qui est extrêmement minime »
Guillaume Avinin, secrétaire général des JA (Jeunes Agriculteurs) de la Haute-Loire, intervient dans le même sens : « Il faut retenir une chose ! Nous sommes dans un pourcentage d’eau retenue qui est extrêmement minime par rapport à la quantité d’eau issue des précipitations. D’autre part, l’eau n’est finalement jamais perdue. Elle est retenue là et est ensuite utilisée plus tard, tout simplement ».
Laurent Duplomb ne comprend pas les arguments des opposants : « Je n’ai encore jamais vu de l’eau de ruissellement qui va directement dans une nappe phréatique. Elle va dans le ruisseau en contrebas, puis dans un fleuve, pour finir à la mer ou l’océan. Le principe d’une retenue collinaire est de s’alimenter soit avec les eaux qui débordent des terrains car justement les nappes phréatiques sont pleines. Soit lors d’un gros orage et dont l’eau dévale les pentes sans qu’elle n’ait le temps de s’enfoncer dans la terre et les nappes phréatiques ».
« Ce protocole est un document qui permettra d’avoir un cadre réglementaire concernant les retenues collinaires sur une exploitation. Il facilitera nettement leur mise en œuvre et permettra leur multiplication ». Guillaume Avinin
« La véritable question est : qu’est-ce qu’on fait pour demain ? »
« La France ne stocke que 2 % de l’eau qui tombe régulièrement, affirme Yannick Fialip. Certains pays sont à 15 voire 20 % comme l’Espagne. On a donc une grande marge de manœuvre pour arriver à ce niveau-là ! » Le président de la Chambre d’Agriculture de la Haute-Loire interpelle alors les personnes contre le dispositif. « J’invite tous ceux qui affirment que les retenues collinaires sont nocives pour la nature à venir voir sur place. Ils verront que, autour d’une retenue, c’est tout un espace de riche biodiversité qui est recréé. La faune et la flore profitent totalement de ces petits plans d’eau ». Il termine en ces mots : « Il faut que chacun se renseigne correctement et prenne ses responsabilités. Être pour ou contre n’est pas la question. La véritable question est : qu’est-ce qu’on fait pour demain ? »
Voir les différents déplacements du ministre Denormandie ce jeudi en Haute-Loire
11h45 Visite du lycée agricole George Sand et présentation des projets de l’établissement
Lycée George Sand, EPL du Velay
85 route de Queyrières,43200 Yssingeaux
13h00 Échanges avec les organisations professionnelles agricoles et les élus à huis clos
Lycée George Sand, EPL du Velay
85 route de Queyrières,43200 Yssingeaux
14h35 Visite de l’abattoir d’Yssingeaux
Rue du Docteur Pipet, 43200 Yssingeaux
16h25 Visite de l’exploitation agricole GAEC du Lyon d’Or
Lieu-dit Pouzols, 43270, Vernassal
17h40 Visite de l’entreprise Sabarot-Wassner
ZI la Combe, 2 rue des Perdrix, 43320 Chaspuzac
19h15 Table ronde sur les retenues collinaires et signature du protocole départemental
Hôtel des voyageurs – 9 rue de la Rochelambert, 43350 Saint Paulien
Deux associations environnementales locales (SOS Loire Vivante et France Nature Environnement) et une association d'exploitants en agriculture biologique (Haute-Loire Biologique) demandaient au ministre de ne pas signer le protocole.
> Lire le communiqué commun de SOS Loire Vivante, France Nature Environnement Haute-Loire et Haute-Loire Biologique