C’est ce mercredi 13 octobre 2021 que s’ouvrira le procès de la tentative de viol du faubourg Sain-Jean. Un procès d’Assises car la victime a refusé qu’il passe en correctionnelle, ce qui est souvent le cas pour désengorger les services de la Justice. « Mais un viol est un crime, et non un délit », insiste l’avocat de la partie civile, Maître Cédric Augeyre du barreau de la Haute-Loire, qui ajoute que la jeune femme, aujourd’hui âgée tout juste d’une vingtaine d’années, « souhaite être reconnue comme victime à hauteur de sa souffrance ». Et donc que la peine prononcée soit proportionnelle.
Une nuit de novembre 2019, alors qu’elle était toute jeune majeure, un homme inconnu l’a clouée au sol avec une grande lame, en plein faubourg Saint-Jean, au Puy-en-Velay. Heureusement, un riverain avait entendu ses cris et appelé la police. Personne d’autre dans le voisinage n’avait réagi.
Le procès n’aura pas lieu à huis clos. Le public pourra donc y assister. Il est prévu pour durer deux jours.
L'accusé est actuellement détenu, il ne comparaît pas libre.
Correctionnalisation des viols : pourquoi ?
Selon un rapport de la sénatrice des Bouches-du-Rhône Valérie Boyer (LR), « si le viol est légalement un crime qui doit être jugé par les cours d'assises, il fait pourtant de plus en plus souvent l'objet d'une correctionnalisation judiciaire c'est-à-dire que le parquet ou le juge d'instruction poursuit cette infraction sous une qualification délictuelle dans le but de porter l'affaire devant un tribunal correctionnel plutôt que devant une cour d'assises (il est estimé que cela concernerait 80 % des affaires de viols).
En effet, depuis la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité - dite « loi Perben II » - le quatrième alinéa de l'article 469 du code de procédure pénale prévoit qu’une correctionnalisation judiciaire peut être décidée par la juridiction d'instruction si la victime est constituée partie civile et si elle est assistée d'un avocat lorsque ce renvoi a été ordonné.
« En pratique, le procureur ou le juge d’instruction qui propose une correctionnalisation à la victime invoque généralement la fragilité de la victime, des délais plus rapides d’audiencement devant le tribunal correctionnel, une présumée moins grande compréhension de certains viols par les jurés populaires (fellation, viol digital), et surtout, ce qui n’est pas dit, il est mû par l’impossibilité matérielle de faire juger par les cours d’assises la totalité des crimes. La correctionnalisation consiste alors à évincer une circonstance aggravante, omettre certains faits (ne pas évoquer une pénétration pour un viol) » selon l’avocate Carine Durrieu Diebolt.
Dans son avis sur le viol et les agressions sexuelles publié en 2016, le Haut Conseil à l'Égalité entre les Hommes et les Femmes constate : « le viol est un crime qui constitue la plus grave des violences sexuelles. Or, il fait trop souvent l'objet de disqualification en agression sexuelle constitutive d'un délit. Cette pratique judiciaire de correctionnalisation des viols est souvent justifiée pour des motifs d'opportunité afin que l'affaire soit jugée plus rapidement devant le tribunal correctionnel. De surcroît, raison moins avouable, elle permet de désengorger les Cours d'assises. Si la disqualification n'a pas pour but de nuire aux intérêts des victimes, qui peuvent d'ailleurs s'opposer au renvoi de l'affaire devant le tribunal correctionnel, elle minimise la gravité du viol et remet en cause le principe d'égalité devant la justice. Les témoignages de femmes fortement encouragées par leur avocat à accepter cette requalification sont nombreux. Selon que l'affaire est traitée en Cour d'Assises ou en correctionnelle, les conséquences diffèrent significativement : délais de prescription, accompagnement de la victime, prise en compte par le tribunal de la parole de la victime, prise de conscience de la gravité de son acte par l'auteur, dommages et intérêts, pédagogie sociale…».
Le désengorgement des tribunaux, notamment des cours d’assises ne doit pas se faire au détriment des victimes. Le viol est un crime, il doit être jugé comme tel. »
> À l’époque, notre reporter Maxime Pitavy avait recueilli le récit de ce témoin sans qui le viol aurait peut-être été mené à son terme. Lire notre article du 14 novembre 2019 :
Viol évité par un appel salvateur : on a retrouvé le témoin
Adrien a 22 ans. Il avait fait la fête samedi soir et dimanche, c'était repos. Vers 5h du matin, "je me suis réveillé car j'ai entendu des cris dans la rue". Dans un premier temps, il pense que ce sont "des jeunes qui chahutaient avec l'alcool et la fin de soirée".
Mais il distingue alors dans le chahut des appels au secours, des "à l'aide" qui retentissent en plein centre ville du Puy-en-Velay. Il se lève, tire les rideaux et comprend tout de suite qu'il y a bien une personne en détresse.
"Il y avait une femme à terre, en train de se faire étrangler"
C'est ce qu'il déclare avoir vu, "un homme était dessus et avait les mains sur son cou, comme s'il essayait de l'étrangler. Elle se débattait. J'ai regardé autour de moi s'il y avait d'autres personnes qui allaient réagir mais j'étais le seul à assister à cette terrible scène".
L'espace d'une poignée de secondes, le jeune homme hésite sur la meilleure attitude à adopter : intervenir ou prévenir la police ? Étant seul, il compose le 17. "Je pensais qu'ils étaient déjà au courant mais pas du tout, ils ont pris les informations et en moins de deux minutes, ils étaient là".
Deux minutes qui semblent tout de même une éternité
"Durant ce laps de temps, j'ai regardé ce qui se passait avec une impuissance totale", témoigne-t-il. Surtout lorsqu'il voit l'agresseur sortir "une grande lame", avec laquelle il menace sa victime. Il "lui cloue les mains au sol" et elle continue de se débattre.
Lorsque la police arrive, Adrien hésite encore à sortir de chez lui, "quand j'ai vu qu'ils avaient appréhendé l'agresseur, je suis sorti". Il échange quelques mots avec la victime, qui le remercie d'avoir appelé les secours, avant d'être évacuée vers l'hôpital du Puy.
"Je ne suis pas un héros"
Si beaucoup de personnes le félicitent depuis lundi, Adrien considère que son acte est juste humain, qu'il n'a fait que son devoir. Ce qui le révolte, c'est de voir que personne d'autres n'ait entendu l'agression malgré "les cris stridents" de la jeune fille. Un silence qu'il trouve aberrant. Il livre ses impressions au micro de Zoomdici.
Il n'a pas peur d'aller à la barre mais soif de justice
L'agresseur, menotté dans la voiture, n'a pas vu le témoin mais une confrontation devrait avoir lieu dans le cadre de l'instruction et Adrien sera très certainement appelé à témoigner à la barre, vraisemblablement en Cour d'Assises, la tentative de viol étant un crime.
Il n'a pas peur d'aller à la barre mais soif de justice. "Le plus important pour moi, c'est que la jeune fille soit sauvée et j'espère que l'agresseur sera condamné".
"Impossible de trouver le sommeil"
Après avoir fait sa déposition au commissariat, dans la foulée des événements, Adrien est rentré chez lui, vers 7h du matin. Mais "impossible de trouver le sommeil, c'est quand même assez choquant. Je dors maximum quatre heures par nuit, mais au fur et à mesure, ça ira mieux. J'espère surtout que ça ne se reproduira pas et qu'en tout cas, si ça recommence, qu'il y aura plus de personnes pour réagir et prévenir les autorités", conclut-il.
Maxime Pitavy