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Ces salariés de l'ombre, indispensables mais à bout de souffle

Par nicolas@zoomdici.com , Mise à jour le 26/09/2021 à 23:30

Elles sont 1 500 en Haute-Loire. Plus de 700 000 en France. Les aides à domicile triment corps et âmes pour que les plus âgés, les "mal en point" ou les personnes en "fin de vie" restent chez eux dans les meilleures conditions possibles. "Sous payées", "temps partiel imposé", "burnout", "pression des employeurs pour toujours plus de chiffres", elles décrivent le quotidien d'une vocation qui ne recrute plus. Une vocation à l'agonie pourtant vitale à toute la société.

Elles ne sont pas nombreuses à s'être donné rendez-vous pour la conférence de presse. Juste une poignée de ce grand corps malade, composé d'environ 1 500 éléments en Haute-Loire dont 97% de femmes, réparties dans les deux grandes entités altiligériennes que sont l'ADMR et l'UNA Sainte-Elisabeth. "Nous sommes évidemment un peu déçues qu'il n'y ait pas plus de monde aujourd'hui, se désole Monique Longeon, Auxiliaire de vie sociale (AVS) à Langeac. Mais nous comprenons. Car il est très difficile de déprogrammer avec l'un de nos patients. Beaucoup d'entre eux ne voient que nous dans la semaine. On est un peu leur repère et on ne peut pas les laisser tomber. Même pour une demi-journée".

"Nous n'avons pas l'habitude que les médias s'intéressent à nous. Mais cette fois, nous ne pouvons plus continuer ainsi. Nous sommes à bout. Vraiment."

Les femmes à côté hochent la tête discrètement et soufflent à la dérobée quelques mots pour compléter les propos de leur collègue. Elles semblent un peu intimidées par le journaliste et son micro tendu vers elles. "Nous n'avons pas l'habitude que les médias s'intéressent à nous, admet-elle. Nous ne faisons d'ailleurs jamais grève ou de manifestation. Mais cette fois, nous ne pouvons plus continuer ainsi. Nous sommes à bout. Vraiment".

"On est, en quelque sorte, leur rayon de soleil quotidien"

Monique Longeon a 18 ans d'expérience dans l'aide à domicile, tout comme Sabine à ses côtés mais en tant qu'Assistance de vie. Quant à Véronique, ça fait 25 ans qu'elle est AVS. Avec Céline Lioutaud et Valérie Dubois, toutes deux au sein de la CGT des Organismes Sociaux de la Haute-Loire, elles décrivent les gestes de leur quotidien. "Nos missions sont de faire de l'entretien courant du logement et de l'aide à la personne. Cela peut être le coucher d'un patient, son lever, l'aide à son repas et à sa toilette. Mais nous apportons aussi une grande aide psychologique et morale. Beaucoup nous considèrent comme leur seule famille. On est, en quelque sorte, leur rayon de soleil quotidien".

(De gauche à droite) Céline, Valérie, Véronique, Sabine et Monique. Photo par Nicolas Defay

Des offres d'emploi mais pas de candidats

Mais à l'ombre des ces rayons lumineux se cache une véritable détresse, des journées composées "de pressions de la part d'en haut", de protocoles impossibles à respecter et d'heures de travail qui explosent en dépit des nombreux temps partiels appliqués dans le milieu. "En ce moment, 82 postes d'aides à domicile en Haute-Loire ne sont pas pourvus, révèle Céline Lioutaud. Idem pour les auxiliaires de vie avec 70 postes. Les directions ne trouvent plus personne pour faire ces métiers. Nous enregistrons au moins un arrêt pour inaptitude chaque semaine. Et les cas de burnout et de dépression augmentent sans discontinuer." 

D'après ses données, 14 employés sont en arrêt maladie sur les 50 de l'ADMR de Langeac ou encore 4 dans celui de Saint-Paulien sur les 20 salariés (soit 20% de la masse salariale). "Dans le même temps, la charge de travail ne cesse d'augmenter pour ceux qui restent, déplore Monique Longeon. En ce qui me concerne, j'ai déjà accumulé 136 heures d'heures supplémentaires depuis le début de l'année. Et toute la fatigue qui va avec".

"Nous avons exactement 14 minutes pour quitter un patient et nous rendre chez le prochain. Cette règle est non seulement impossible à suivre mais s'avère être une source de stress terrible". Valérie Dubois

"Que ce soit dans notre corps ou dans notre tête, nous n'en pouvons plus"

Au fil des questions, ces femmes de l'ombre se serrent entre elles. Leurs langues se délient doucement, déversant leur inquiétude et leur mal-être sans jamais élever la voix. Calmement. Comme résignées mais cherchant quelque part un moyen de continuer cette vocation, définie ainsi par leurs propres mots. "Nous avons beau alerter certains présidents d'associations, ils ne s'intéressent pas à notre trouble, livre Valérie Dubois. Ils nous poussent au contraire à toujours plus remplir nos missions sans prendre en compte la fatigue physique et mentale. S'occuper d'une personne polytraumatisée ou de quelqu'un qui fait deux fois notre poids n'est pas chose aisée. Et si nous prenons du retard, c'est toute notre journée qui déraille. Nous avons exactement 14 minutes pour quitter un patient et nous rendre chez le prochain. Cette règle est non seulement impossible à suivre mais s'avère être une source de stress terrible. Que ce soit dans notre corps ou dans notre tête, nous n'en pouvons plus".

"Le Gouvernement oublie facilement que ce personnel permet le maintien à domicile et évite d'engorger les services hospitaliers qui souffrent déjà de la destruction de notre système de santé et de protection sociale". Céline Lioutaud 

Une augmentation salariale certaine mais appliquée en majorité sur des contrats à temps partiel

L'avenant 43. Le Gouvernement a annoncé une augmentation globale des rémunérations du secteur de l’aide à domicile à compter du 1er octobre par le biais de ce fameux acte, jugé historique par Brigitte Bourguignon, ministre chargée de l'Autonomie. Historique, c'est vrai. Car il a fallu tout de même près de deux décennies pour que l'Etat, quels que que soient les Gouvernements successifs, se rende compte que les Aides à domiciles perdaient tant de pouvoir d'achat que leurs rémunérations statuaient depuis des années en-dessous su SMIC (salaire minimum de croissance).

Dans les textes, un salarié de catégorie A (plus faible échelon), sans ancienneté, sera ainsi augmenté de 2.2%. Avec 10 ans d'expérience au sein d'une même entité publique ou associative, le salaire d'une aide à domicile évoluera alors de 13.6%. "Mais cela ne suffira absolument pas, s'inquiète Céline Lioutaud. Car la plupart des aides à domicile ont des contrats de travail à temps partiel avec des paies qui ne dépassent pas les 700 ou 800 euros mensuelles !"

D'autre part, les aides à domicile utilisent leur véhicule personnel. Une charge financière massive. "Nous avons des indemnisations kilométriques bien en-dessous de ce que nous payons réellement, dénonce Monique Longeon. Le carburant est une chose, l'obsolescence de la voiture en est une autre. Et bientôt, il va falloir s'équiper à nos frais de quatre pneus neige pour respecter une directive effective dès le 1er novembre. Avec 800 euros par mois, comment une aide à domicile peut mettre 200 euros dans des pneus ?"

"Les gens sont dans la maladie et le handicap. Nous faisons tout notre possible pour adoucir un peu leurs pensées moroses du quotidien." Véronique

"Il est temps maintenant d'avoir les moyens de vivre et non de survivre"

À la question de savoir les choses qui les animent encore pour rester dans cette profession, l'empathie reste le maitre-mot. "Nos patients comptent sur nous, affirme Véronique. Malgré toutes les heures que nous engrangeons chaque jour, nous sommes là avec eux et pour eux. Les gens sont dans la maladie et le handicap. Nous faisons tout notre possible pour adoucir un peu leurs pensées moroses du quotidien. Nous toutes préférons nous occuper de nos patients plutôt que de nous-mêmes." Sabine ajoute alors : "Mais nous nous consumons à très grande vitesse et encore plus maintenant avec tous ces abandons de postes, ces arrêts maladie en série et l'obligation vaccinale qui rebute certaines. Nous nous oublions. Et il est temps maintenant d'avoir les moyens de vivre et non de survivre".

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