La déviation de la RN 88, entre les communes du Pertuis et de Saint-Hostien, fait couler autant d’encre dans les canards vellaves que du goudron sur les feuilles des choux altiligériens.
Pour rappel, le projet bitumé aux 226 millions d’euros (chiffre avancé par la Région Auvergne-Rhône-Alpes, investisseur majoritaire) accuse 10,7 kilomètres sur la balance et comportera treize ouvrages d’art dont un viaduc de 300 mètres de long.
Malgré un avis défavorable du Conseil national de la protection de la nature, le préfet de l’époque de la Haute-Loire, Eric Étienne, autorise les premiers coups de pelle par le biais d’un arrêté du 28 octobre 2020. S’engage alors un bras de fer et d’arguments entre les pro-déviation et les défenseurs de la nature.
Question de points de vue
Pour les premiers, cette déviation est indispensable pour la sécurité des automobilistes, la tranquillité des villageois concernés et le gain de temps promis (D’après la page 553 du rapport de l’enquête publique, entre deux et trois minutes de trajet pour les voitures et soixante secondes pour les poids-lourd).
Pour les seconds, c’est un cataclysme pour l’environnement. La FNE (France Nature Environnement), la Lutte des Sucs, et bien d’autres associations écologiques, dénoncent les 190 hectares de biodiversité investis par les chenilles, non pas de futurs papillons, mais des bulldozers de la Région.
David contre Goliath
Contre les dents de métal, celles des brebis. Contre les pots de fer, les pots de terre. Durant les années qui suivent, les pixels des médias recouvrent alors les écrans pour informer l’avancée des travaux, les pas en avant et ceux en arrière, les succès des uns et les victoires des autres, les réunions et les déclarations, les coups de gueule et les actions de tous bords.
L’une d’entre elle se déroule le 14 novembre 2023 sur le tracé du chantier. Ce jour-là, environ cinquante militants et une poignée d’animaux sont assis pacifiquement devant une pelleteuse pour s'opposer aux fouilles préventives prévues dans le cadre de ce projet de déviation.
Cinq personnes jugées au tribunal du Puy
Sept personnes seront interpellées et placées en garde à vue par les gendarmes, « après avoir reçu des gaz lacrymogènes, certaines traînées au sol... », dixit le collectif de la Lutte des Sucs. Parmi elles, cinq seront jugées le 10 septembre, au Palais de justice du Puy-en-Velay, pour entrave aux travaux.
Dans ce dossier, la Région se porte partie civile. D’après le collectif : « Ces militants risquent de voir la peine retenue contre eux, inscrite sur leur casier judiciaire et donc d'avoir des difficultés à exercer certaines professions ».
Caviarder : fait de dissimuler une partie des éléments d'une annonce (Larousse)
À noter que, comme le déplorent la FNE et la LDS, le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand a déjà sanctionné l’État le 26 octobre 2023. Le préfet Eric Étienne avait, à cette époque, fourni un document d’importance ponctué de passages largement caviardés. Il s’agissait des mesures compensatoires, mesures obligatoires qui garantissent justement une compensation des atteintes faites à l’environnement causées par un chantier d’envergure.