Les perspectives d'une reprise rapide du chantier qui nous ont été données par l'adjointe responsable des travaux à la mairie du Puy s'éloignent. Lorsque Caroline Barre a lancé cette affirmation le 31 janvier dernier, elle ne semblait pas connaître la décision du tribunal qui a rejeté l'offre d'un repreneur qui se trouvait être les fils du dirigeant principal de la SA L.C.C.R.(Voir notre article précédent ), dépositaire d'un marché qui a connu de nombreux contre-temps depuis la décision de son lancement.
Elle affirmait par téléphone ce jour-là que "tout ça, c'était vraiment la faute à pas de chance et concernait des aléas d'un chantier comme pouvait en connaître toute personne se lançant dans un chantier de restauration avec les retards dûs aux aléas et aux mauvaises surprises".
Les perspectives de reprises rapides du chantier s'éloignent
La raison en est simple, l'entreprise Le Compagnon va être dessaisie du marché. Elle l'est déjà de fait depuis sa mise en liquidation judiciaire. Il va falloir reprendre toute une procédure d'appel d'offres mais même ça ne suffira pas à débloquer le chantier.
En effet, la première des conséquences de la liquidation judiciaire est que désormais les actifs de l'entreprise (ses biens) vont devoir être vendus aux enchères. On nous l'a confirmé, il n'y a plus d'autre chance de trouver un repreneur. Le délai est dépassé.
Combien de temps prendra cette vente aux enchères ? Selon les bureaux du commissaire-priseur "ça va prendre un bon moment. Déjà, il faut qu'on soit informé et missionné par le Tribunal de Commerce puis il faut faire un récolement et dans une entreprise de cette taille c'est beaucoup de travail. Après le délai de publicité, lui, n'est pas long puisque légalement de 15 jours mais c'est rare que ça aille aussi vite".
Dans cette vente, seront mis aux enchères plusieurs des éléments présents sur le chantier des Carmes.
D'abord, l'échafaudage dont nous avons eu la confirmation qu'il est bien sur la liste des biens amenés à être mis aux enchères.
"Après, il appartient à celui qui les achètent et il peut très bien les récupérer dès l'adjudication prononcée" nous informe le bureau de l'étude de Maître casal, le commissaire-priseur
La grue a, quant à elle, un statut bien différent. On apprend par l'acte de jugement du Tribunal de Commerce que celle-ci fait l'objet d'un crédit-bail de la COOPAMAT (Le Crédit Mutuel). Les loyers n'étant plus payés la banque peut donc récupérer la grue ou la mettre en vente aux enchères mais ce sera dans un autre lot et probablement à une date différente.
L'offre des repreneurs prévoyait de parer à ces inconvénients en reprenant ce contrat-bail ainsi que tous les autres qui portaient sur l'entreprise LCCR. Il y en a pas mal dont une machine d'usinage de taille de pierre. Un peu comme s'ils avaient imaginé reprendre la suite du chantier.
" Aucun carnet de commandes avancé et structuré n'a été remis au tribunal"
Pour cela, le tribunal remarqua qu'il fallait produire des liquidités et aussi les preuves d'un chiffre d'affaires conséquent. Évalué à 600 000 euros la première année, le tribunal relève " Aucun carnet de commandes avancé et structuré n'a été remis au tribunal".
Quant aux liquidités, c'est le moment où réapparaît la SCI clef de voûte.
Et revoilà les terrains de Taulhac rachetés 1 100 000 euros HT en juin 2020 par la CAPEV
On revient toujours aux terrains de l’entreprise de Taulhac rachetés 940 000 euros HT par la CAPEV, sans compter sur les 160 000 euros des panneaux solaires à la SCI Clef de voûte dirigée par Armel Le Compagnon.
Deux élus nous ont plusieurs fois rétorqué que les deux entités juridiques (l'entreprise en maçonnerie et la SCI propriétaire des terrains et des bâtiments, sont distinctes. Michel Joubert, président de la communauté d'agglomération l'a fait, Caroline Barre, adjointe de la mairie aussi. C'est la ligne officielle.
Il faut constater malgré tout, qu'il y a une grande perméabilité entre les deux entités dans la réalité. D'abord, parce qu'une SCI (Société Civile Immobilière) n'ayant pas d'existence fiscale propre, ses revenus ou ses déficits sont à déclarer sur le compte fiscal des associés. Surtout, cette SCI a été évoquée deux fois dans l'offre de reprise présentée au tribunal de commerce comme caution de la solidité financière des repreneurs.
Une première fois quand il est dit que la SCI a réglé les salaires des ouvriers en décembre 2020 "Les salariés auraient été en partie réglés par le biais de la SCI de Monsieur LE COMPAGNON" écrit le tribunal qui poursuit " Un salarié nous a indiqué que les deux chèques tirés sur le compte de la SCI LA CLEF DE VOÛTE n'ont pu être encaissés"
Et en deuxième lieu comme gage de caution de solvabilité de leur future entreprise en création "Le financement de l'activité est assuré par des apports réalisés par les candidats cessionnaires sur leur propre trésorerie. Les trois fils de Monsieur Le Compagnon ont bénéficié d'une donation-partage portant sur les titres de la SCI CLEF DE VOÛTE (titres évalués à 300 K euros)".
Elle a pourtant touché 1,1 million d'euros dans la vente de ses terrains à la CAPEV. Elle s'est par ailleurs inscrite en débiteur de ses loyers auprès de la SA pour un montant de 57 600 mais c'était au mois d'avril. Depuis, d'autres loyers auraient dû être encaissés.
Sur ces documents publics on note que la SCI est évaluée à 300 000 euros dans une donation-partage en janvier.
Absence de la ville du Puy dans l'état de créances d'avril 2020
Dans cet état, pas de trace de la ville du Puy comme créancier. Pas même sur les pénalités de retard du chantier. Car on peut le dire maintenant, il y a du retard sur ce chantier qui aurait dû être achevé, selon le dernier avenant que nous avons publié dans la première partie, le 31 décembre 2019.
Madame Barre, que nous avons interrogé par mail le 10 février, nous a répondu le soir même au téléphone que cela allait se faire, que ces créances correspondaient aux pénalités de retard de chantier, excluant de fait, tout autre type de créance comme, par exemple, des avances sur facturation.
Le délai après une liquidation judiciaire pour faire inscrire une créance est de deux mois. Il restait donc quelques jours pour le faire. Elle a explicité que si la mairie n'avait pas inscrit ses créances durant la période de redressement, c'est parce que la mairie n'avait pas voulu enfoncer encore plus une entreprise qui faisait jusque là un travail "de qualité exceptionnelle" et qui avait des problèmes avec les approvisionnements en pierres.
Taulhac, le terrain de l’entreprise le Compagnon et les plans de l’agglo
Lors de l'achat par la SCI Clef de Voûte la parcelle de 13 545 m2 avait été cédée pour un montant de 100 000 euros en Avril 2008. Les statuts de création de la SCI en attestent.
Michel Joubert rappelle comme il l'a fait à chaque fois qu'on lui a posé la question que la communauté d'agglomération a pour ambition de garder la maîtrise sur les ventes des terrains dans les zones qui sont de sa compétence.
"Il avait été prévu de reprendre le terrain et de le diviser en 5 parcelles puis d'en rétrocéder une à Armel Le Compagnon" explique Michel Joubert
Evolution des prix du terrain sur la ZA Taulhac
De 7.38 € le m2, prix du terrain acheté il y a 13 ans (en 2008) à la com d'agglo (100 000 euros selon les statuts constitutifs de la SCI Clef de voûte), ce terrain est donc racheté (940 000 euros) en 2020 par la même entité 69,40 € le m2. Il faut reconnaître qu'il a été d'une part clôturé et d'autre part que deux bâtiments y ont été construits par le primo acquérant. "C'est le prix fixé par les domaines" selon le président Joubert.
Les dernières parcelles vendues par la communauté d'agglomération (Conseil de décembre 2020) l'ont été entre 25 € le M2 dans le secteur de la rue Brenas (dont celle cédée à M. Le Compagnon) et 45 € le M2 pour celles situées plus bas sur l'ancienne parcelle Pierre&Bois.
Il nous explique oralement samedi 6 février "Nous avons acheté le terrain au prix qui en a été fait dans l'évaluation des domaines. Il avait été prévu de reprendre le terrain et de le diviser en 5 parcelles puis d'en rétrocéder une à Armel Le Compagnon. A cette époque il n'était pas en liquidation judiciaire. Cela avait tout son sens".
Tout son sens ?
Si le dirigeant souhaitait conserver un bout d'un terrain qui lui appartenait déjà, pourquoi ne l'a t-il pas, lui-même, divisé en parcelles afin de se procurer des liquidités, quitte à le proposer ensuite à la communauté d'agglomération. Avec cette solution, il obtenait rapidement plus de liquidité dès le milieu de l'année 2020 et évitait de devoir déménager.
Un terrain, propriété de la Capev, mais difficile à libérer en attendant la vente aux enchères des meubles qui y sont entreposés.
Aujourd'hui, l'entreprise en faillite occupe un terrain qui ne lui appartient plus et qui ne peut déplacer ce qui est stocké dessus au moins jusqu'au récolement par le commissaire-priseur. Pas plus que l'agglomération d'ailleurs. Là aussi, la situation paraît bloquée.
En plus de gêner la marche du chantier des Carmes pour la ville du Puy, voilà qui ressemble à une autre pierre glissée dans la chaussure des dirigeants de la communauté d'agglomération.
Au-delà de ces considérations très matérielles, il est une autre question qui n'obtient pas de réponse, celle de l'état des paiements du chantier des carmes par le Mairie du Puy.
Impossibilité d’obtenir l’état de situation du chantier
A part un lot de vitrail, l'intégralité des travaux ont été réalisés par la SA Le Compagnon. Il est admis que pour des marchés de cette ampleur, des factures intermédiaires soient présentées et réglées par le maître d'ouvrage. Il arrive aussi que des avances soient versées. Vu le prix des matériaux, on ne saurait s'en offusquer.
Une non inscription de ces avances équivaut donc à une perte. Leur inscription aussi d'ailleurs au vu du passif enregistré par le liquidateur et de l'évaluation actuelle en vue d'une vente aux enchères.
Or, quand Madame Barre nous dit que "les conteneurs de pierres continuent à arriver au compte-goutte", signifie-t-elle que les avenants ont été réglés par avance ?
Nous lui avons reposé la question d'éventuelles avances sur facturation par écrit le 10 février qui n'ont eu aucune réponse à ce jour.
L'opposition municipale affirme quant à elle, qu'elle a plusieurs fois souhaité avoir des comptes de situation de ce marché sans les obtenir. Finalement qu'est ce qui peut justifier l'ensemble des compromis accordés à l'entreprise, qui l'ont pourtant conduit irrémédiablement à sa perte.
La personnalité du chef d'entreprise explique-t-elle un régime de faveur à elle seule
L'entreprise chargée du chantier de l'église des Carmes a t-elle parfois bénéficié de largesses et parfois aussi de dérogations pratiques, comme cela fut encore le cas dans l'acceptation par le Tribunal de Commerce de l'offre des fils grâce à l'intervention en audience du procureur de la République.
Cela tient peut-être à la personnalité de l'entrepreneur Armel Le Compagnon.
Formé à l'école des compagnons du devoir alors qu'il n'était pas du tout originaire du métier, il a ensuite connu une belle ascension dans son métier comme dans ses responsabilités syndicales.
Membre important du syndicat de la FFB (Fédération Française du Bâtiment) dont il a été chargé des questions de formation au niveau national. Il est encore président d'honneur de la FFB Haute-Loire. L'homme a aussi fait partie des contingents passés des personnalités honorées et décorées. Il est nommé au grade de chevalier dans l'Ordre National du Mérite en mai 2006, puis élevé au rang de chevalier de la Légion d'Honneur il y a 10 ans (en 2011)
Il vient en juin 2020 d'obtenir un mandat de quatre ans de président auprès de Worldskills France (aussi connus sous le nom des olympiades des métiers). C'est l'organisme qui aura en charge l'organisation des finales du championnat du monde des métiers à Lyon en 2024.
Lien de la vidéo
Extrait : "Questionnaire de Proust :" Armel, si vous étiez un outil ? Je serais un fil à plomb. Le fil à plomb ça sert à savoir ce qui est droit ... et c'est qui est en général perpendiculaire aux deux pieds qu'on a sur terre... Si vous étiez une qualité ? Ce serait la tolérance."
Ce sont là les seuls propos que nous pouvons reporter puisque l'entrepreneur n'a répondu à auncun de nos messages, ni lui ni son fils.
Procédure de résiliation
La mairie a beaucoup soutenu l'entrepreneur. Désormais, elle affirme par la voix de l'adjointe chargée des travaux, qu'elle allait faire réaliser rapidement un constat d'huissier sur l'état d'avancement des travaux et lancer tout de suite une procédure de résiliation du marché avec l'entreprise en faillite.
Caroline Barre précisait dimanche 31 janvier au soir " La compétence de l'entreprise ne peut être mise en cause et surtout il faut noter que les travaux qui ont été réalisés jusque-là, sur le chantier des Carmes, sont de très grande qualité. Il n' y a rien à dire sur ce point".
Pour défendre son dossier le dirigeant avait pourtant alors tenu à rassurer sur la qualité de son appel d'offre en affirmant qu'il ferait venir sur ce chantier des ouvriers compagnons spécialisés en plus de ses propres salariés.
Une publication récente semble indiquer que le remplacement des pierres fragilisées avait conduit à appliquer un enduit renforcé par du "grillage de poulailler". Ce crépi correspondra-t-il aux attendus de l'appel d'offre et surtout aux critères de rénovation d'un bâtiment classé monument historique ?
La nouvelle entreprise attributaire acceptera-t-elle de poursuivre sans remettre en cause la qualité de ces travaux ?
On aura sans doute un début de réponse des travaux effectués dans l'expertise qui sera menée par les entrepreneurs qui répondront au nouvel appel d'offres.
Maintien du soutien au chantier par la fondation du patrimoine
Ce chantier a été sélectionné par la fondation du patrimoine pour ses qualités patrimoniales et aussi pour ses qualités en termes de maintien de l'emploi local et de transmission des savoirs-faire. C'est ce que nous a confié Henri Croizier, directeur adjoint de l'antenne régionale Auvergne de la fondation.
La souscription qui s'affiche en lettres immenses sur les bâches de l'échafaudage n'est pas encore complète, c'est pourquoi elle a été prolongé en 2021, et ce, malgré les difficultés du chantier car "l'intérêt patrimonial n'a pas diminué" selon ce défenseur du patrimoine et du savoir-faire.
Elle a réuni jusque là un peu plus d'une centaine de donateurs pour une moyenne de dons de 250 euros. Bien moins, mais c'est classique, que le nombre de votants qui avaient recueilli l'approbation du projet de Laurent Wauquiez au tout début du projet.
La souscription est donc toujours ouverte. Elle est modeste puisqu'elle ne cherche à récolter que 50 000 euros, presque une paille dans ce chantier dont on ne peut imaginer quelle sera la facture finale. En donnant 250 euros, elle permet de ne dépenser que 85 euros grâce aux mécanismes de défiscalisation de ce type d'investissement de sauvegarde du patrimoine.
Si jamais le chantier devait ne pas se terminer, les fonds récoltés seront alors redistribués sur un autre projet.