De nombreuses têtes étaient tournées vers le ciel gris de ce matin pluvieux de février dans le quartier de l'église des Carmes. L’échafaudage et la grue inerte depuis des mois avaient soudain repris vie dans des grincements bien compréhensibles puisque le chantier est à l’arrêt depuis longtemps, environ deux ans.
On peut aussi apercevoir sur le chantier des employés de l’entreprise Le Compagnon si l'on se fie à la présence du camion siglé aux couleurs de la société qui est stationné derrière les hautes palissades qui font partie du paysage depuis de trop longues années, de l’avis des riverains.
“Tiens, les travaux ont repris”, remarque cette passante qui préfère rester anonyme. “Et bien, tant mieux, poursuit-elle, car il y en a vraiment assez de cette verrue qui prend la poussière depuis des mois et des mois et qui enlaidit la ville. Il fallait vraiment faire quelque chose”.
Pourtant, on le sait depuis peu, l’entreprise Le Compagnon Construction et Restauration (LCCR) est en liquidation judiciaire depuis le 16 décembre 2020 (Publication au BODACC du 20-21 décembre 2020).
Des salariés ont investi les échafaudages de l'église des Carmes mardi et encore ce mercredi. Un véhicule floqué LCCR est stationné derrière la palissade.
Nous n’avons pas pu interroger les salariés présents, déjà partis du chantier à l'heure de la débauche, sur la teneur des travaux car le chantier est interdit au public et que pour être franc, on ne s'est pas senti bienvenu.
À Taulhac aussi il y a parfois du mouvement dans les locaux vendus à la Communauté d'Agglomération
Les riverains du dépôt de Taulhac que l’on a rencontrés ces jours derniers confirment qu’il y a parfois un peu de mouvement autour des bâtiments de l’entreprise Le Compagnon et parfois aussi sans doute dans la partie réservée aux machines de tailles de pierres. “On voit parfois des gens qui viennent mais pas très souvent”, dit celui-ci, “c’est quand même dommage que cette belle entreprise ne puisse pas aller au bout de ce chantier des Carmes. C'était pourtant une belle société".
“Si on voit parfois des containers de ces fameuses pierres indonésiennes ? Non pas depuis un moment”, répond cet autre promeneur régulier du plateau. “Mais c'était impressionnant. Au moment du déchargement, les engins de levage basculent quasiment tellement ils étaient lourds ces containers. Vous pouvez d’ailleurs apercevoir quelques pierres sur le terrain en haut. Dont certaines sont taillées magnifiquement”.
On n'a pas vu arriver de conteneurs avec les pierres d'Indonésie depuis un moment.
Le simple fait que le terrain soit encore occupé par l'entreprise de maçonnerie en liquidation judiciaire surprend. Le terrain a en effet été cédé par son propriétaire, la SCI Clef de voûte, à la Communauté d’Agglomération dont la délibération a été prise au conseil communautaire de juin 2020 pour un prix que d'aucun juge conséquent. La vente n'est peut-être pas encore actée. Le gérant de la SCI a, quant à lui, changé officiellement de tête en fin d'année. Quoiqu’il en soit, ce 2 février, le terrain est toujours occupé par le matériel de l'entreprise Le Compagnon.
Une histoire de terrain toute simple selon les autorités municipales
Pour que chacun comprenne, il faut transcrire les propos de Caroline Barre, en charge des travaux à la municipalité du Puy-en-Velay et à la Communauté d’Agglomération que nous avons interrogée. “Il y a deux personnalités morales, l’entreprise de construction LCCR (Le Compagnon Construction et Restauration) qui a été mise en liquidation judiciaire et une SCI dite Clef de Voûte qui était propriétaire des lieux. C’est elle qui nous a vendu le terrain et les bâtiments”.
En cela, le message est le même que celui qu’avait délivré Michel Joubert en conseil communautaire. “Il y a deux entités juridiques différentes. Nous avons eu l’occasion de racheter ce terrain et nous l’avons fait afin de conserver la maîtrise des tènements sur cette zone”.
Reste que d’après les témoins, les anciens locataires n’ont pas encore déménagé. “Ils ont rangé un peu il y a quelques jours en bas à la parcelle et surtout, ils ont brûlé pas mal de déchets”.
Ce que nous savons aussi, c’est qu’une autre parcelle a été cédée à Armel Le Compagnon dans une délibération du conseil communautaire de décembre. “La semaine passée M. Le Compagnon et d’autres personnes sont venus visiter une parcelle par là-haut”, nous dit-on.
Effectivement, derrière l’entreprise Gagne, une voie sans issue a été tracée et plusieurs parcelles loties. Il y a déjà installée là une autre entreprise de maçonnerie qui commence à approvisionner sur le terrain qui la jouxte pour une entreprise d'électricité qui va s’y établir. Il reste quelques parcelles dont une au fond du chemin qui pourrait correspondre.
Michel Joubert, président de la Communauté d’Agglomération, que nous avons sollicité deux fois, n’a pas répondu et les services techniques de la mairie raccrochent quand on les interroge. Les responsables de l’entreprise Le Compagnon, Armel ou Rémy, n’ont pas répondu non plus à nos sollicitations.
Une reprise du travail au chantier des Carmes explicable
Logiquement, une entreprise en liquidation judiciaire ne peut plus effectuer aucune opération, son patrimoine est gelé et les créanciers ont un délai (très court) pour se faire inscrire et reconnaître le statut de créanciers en vue du solde du patrimoine. Les biens de la société sont gelés et les salariés sont malheureusement licenciés, quelle que soit la qualité de leur travail.
Sur cette question des salariés, c’est l’omerta, personne ne sait rien, personne ne peut rien dire, personne ne parle.
Quoiqu’il en soit, dans la mesure où une entreprise en liquidation n’a plus accès à ses comptes, ne peut plus produire de facture, ni payer, ni encaisser, les salaires ne peuvent donc être versés. Elle est gérée par un mandataire liquidateur externe et un liquidateur interne est nommé. Dans ce cas, c'est Armel Le Compagnon, selon les informations recueillies sur le BODAAC (Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales).
Interrogée sur cette brusque reprise des travaux, Caroline Barre répond que “ces travaux font suite à une visite technique récente du chantier et qu’il a été demandé des travaux de mise en sécurité. C'est juste ça qui explique la reprise des travaux ce mardi”. Sur les questions juridiques du pourquoi l’entreprise Le compagnon est sur le chantier, “il faut voir avec le mandataire liquidateur. c’est lui qui gère l’entreprise”, explique l’élue.
C’est ce que nous avons fait. La réponse a été longue à arriver, mais Maître Petavy a fait une réponse très claire. La voici in extenso.
"Je vous confirme que la poursuite de l'activité a été autorisée par le tribunal dans le cadre de la liquidation judiciaire" Maître Petavy
“S'agissant de l'échafaudage, je vous précise qu'une offre de reprise a été examinée par le Tribunal à l'audience du 29 janvier 2021. La décision du Tribunal de Commerce est attendue le vendredi 5 février 2021.
Si l'offre n'est pas retenue, le matériel aura vocation à être vendu dont l'échafaudage, le cas échéant. Il en va de même du stock de pierres et plus généralement de tout bien appartenant à l'entreprise.
À ce jour, je vous confirme que la poursuite de l'activité a été autorisée par le tribunal dans le cadre de la liquidation judiciaire afin de permettre d'organiser la cession de l'entreprise. Cette poursuite de l'activité prendra fin en fonction de la décision du Tribunal sur la cession.
Je vous confirme enfin que juridiquement la SA LE COMPAGNON CONSTRUCTION RESTAURATION et la SCI LA CLEF DE VOUTE sont deux sociétés distinctes avec deux patrimoines distincts. Seule le SA LE COMPAGNON CONSTRUCTION RESTAURATION est en liquidation judiciaire.”
Voilà qui a le mérite de la clarté. L’entreprise est autorisée à poursuivre. Pas de quoi avoir des non réponses de la part du chef d’entreprise Armel Le Compagnon puisque tout est clair. Cela pose néanmoins des questions sur le devenir du chantier.
Échafaudage, grue et des pierres qui arrivent encore
L'échafaudage appartient à l’entreprise Le Compagnon. Sur ce chantier, il n’y a pas de lots spécifiques échafaudages comme c’est assez souvent le cas (voir Notre Dame de Paris). Caroline Barre nous l’avait confirmé la semaine passée en nous rassurant sur les possibles coûts de location d’un tel matériel alors que le chantier peinait à avancer. Se pose la question de son devenir qui va conditionner la poursuite du chantier mais aussi de l'assurance si la société n’a plus de trésorerie.
De deux choses l’une, soit l’offre évoquée par le mandataire liquidateur est acceptée par le tribunal en février et alors le nouveau propriétaire peut le démonter lui-même pour récupérer son bien, soit il le laisse en place et le loue jusqu’à la fin du chantier. Oui, mais à qui ?
Soit l’offre n’est pas acceptée et alors cet échafaudage, potentiellement non assuré, va rester en place pour un long moment. Au moins jusqu’à son rachat lors de la vente aux enchères finale… À supposer qu’il trouve acquéreur.
Il semble difficile, voire impossible, que le chantier reprenne tant que cette question n’est pas réglée.
Laissons de côté les questions liées à la grue et aux palissades pour lesquelles il n’est pas dit s’il y a eu une proposition de reprise.
On ne va pas reparler tout de suite non plus de la question des pierres dont, Caroline Barre nous a affirmé dimanche, que des conteneurs continuaient à arriver au compte-goutte, ni de qui paye les factures de ces arrivées et convoyages et encore moins de leur lieu de stockage.
Tout semble finalement se passer comme si LCCR était toujours en charge du chantier et c’est ça finalement qui, mis en perspective avec tout ce qui s’est passé depuis 2015 sur ce chantier de l’église des Carmes devra donner matière à de prochains articles.
T.C.