Le climat social est tendu et rares sont les secteurs professionnels où les grincements de dents ne se font pas entendre ici ou là. Aujourd’hui est un mouvement de contestation aussi rare qu’inquiétant, mais peut-être tout aussi indispensable, qui se joue dans le pays. Les médecins généralistes libéraux, étouffés selon leurs dires par des plannings saturés et une gestion administrative sans cesse plus chronophage, ont décidé de taper fort.
Plus qu’une affichette indiquant leur mécontentement à l’entrée de leur cabinet ouvert, nombreux vont à priori laisser stéthoscope et tensiomètre sur la table. Les patients devront alors s’attendre à ce que les portes soient verrouillées en Haute-Loire au moins durant l’après-midi du vendredi 2 décembre. « Si nous n’agissons pas ainsi, jamais le gouvernement ne nous entendra, témoigne un généraliste de l’Agglo du Puy, préférant rester anonyme. Nous sommes bien entendus conscients des critiques envers cette grève qui se veut solide. Et nous ne pouvons en vouloir aux gens. Mais le mal-être est tel dans la profession que les déserts médicaux vont devenir de plus en plus nombreux, faute de trouver des professionnels prêts à faire un métier qui perd tout son sens et son intérêt ».
« Beaucoup de médecins devraient suivre cet appel »
Roland Rabeyrin, médecin généraliste au cabinet de Guitard et Président du syndicat majoritaire MG43, explique les raisons de cette colère dont l’intensité apparaît sans précédent. « Nous appelons effectivement le plus grand nombre de médecins à fermer leur cabinet pour, d’une part, envoyer un signal fort au gouvernement et, d’autre part, nous réunir ensemble afin de discuter des actions à mener ».
Il ajoute : « Selon le sondage que j’ai effectué cette semaine, beaucoup de médecins devraient suivre cet appel. Pour d’autres, ils préfèrent rester ouverts afin d’honorer les rendez-vous déjà pris avec leurs patients. Et d’autres par choix personnel ».
Avec eux, les biologistes les accompagnent, réitérant leurs actions du 14 novembre...▼
Grève des Laboratoires d'analyses médicales.pdf
« La mise en place d’une 10ème année d’études ! »
« La base de notre frustration provient du Plan de Financement de la Sécurité Sociale (PFSS), entame-t-il. Chaque année, il y a un débat sur ce texte pour fixer l’enveloppe budgétaire de la sécurité sociale. Or, le projet en question touche de plein fouet le cœur de notre métier. »
Il cite en exemple : « Une mesure qui fait bondir entre autres les jeunes médecins est la mise en place d’une 10ème année d’études ! Pourquoi ? Pour quelle raison ? On ne sait pas. Ce qu’on sait par contre, c’est le côté repoussoir que cette décision va générer au sein de la profession ! »
« Je pense que les parlementaires à l’initiative du PPFS ne se rendent pas compte du danger qu’ils font courir à la profession et donc à l’ensemble de la société ! » Roland Rabeyrin
« C’est une véritable attaque sur le sens même de notre métier »
Roland Rabeyrin évoque également toutes les tâches annexes autres que le soin et qui étouffent de plus en plus les professionnels. « Le médecin est responsable des diagnostics, des prescriptions et du parcours du patient. Depuis trop longtemps, nous acceptons, nous encaissons, nous subissons toute la paperasse qui n’en finit pas de se densifier ! Entre les certificats de tous types, les bons de transports et compagnie...toute la complexité de notre système de santé termine dans nos bureaux ! »
Il pointe du doigt : « Avec ce projet de Plan de Financement, on casse le parcours de soin et on remet en cause le principe même de la responsabilité du médecin sur les diagnostics et les prescriptions. En résumé, c’est une véritable attaque sur le sens même de notre métier ! »
Chaque fois que vous donnez votre carte vitale à votre médecin en fin de consultation, il doit renseigner à la sécurité sociale les actes médicaux réalisés selon une nomenclature précise. Vous pouvez consulter l’abyssal document, ICI.
« Écouter décrire ses symptômes, les analyser et décider d’un traitement et de la marche à suivre »
À la question de savoir ce que les médecins généralistes libéraux réclament, Roland Rabeyrin répond : « Une revalorisation de la profession ! Il faut qu’elle redevienne attractive pour stopper cette hémorragie qu’on appelle Déserts médicaux. Pour cela, il faut qu’on nous donne les moyens pour embaucher du personnel administratif et des assistants médicaux. Ces personnes seraient sous notre autorité. Il faut que nous nous consacrons uniquement à ce que le patient attend de nous : l’écouter décrire ses symptômes, les analyser et décider d’un traitement et de la marche à suivre pour lui. C’est ça le cœur de notre métier avant tout ! »
« Les burn-out et le mal être dans notre profession sont loin d’être un mythe. Chaque année, des consœurs et des confrères installés en libéral décrochent pour redevenir salariés dans une structure ». Roland Rabeyrin
Une consultation à 50 euros ?
Une source de la contagion contestataire vient également d’une page Facebook créée le 30 août 2022. À l’origine baptisé « Nous sommes médecins, nous le valons bien », le groupe s’appelle à présent « Médecins pour Demain » depuis le 17 octobre. 14 239 membres le constituent (chiffre du 29 novembre), à priori tous issus de la profession. En guise de description, une simple annotation : « Groupe de médecins libéraux ou non, syndiqués ou non, souhaitant faire reconnaître la valeur de leur métier à commencer par une consultation de base à 50€ ».
Roland Rabeyrin tient à préciser que le MG43 reste éloigné des idées de ce groupe. « C’est une union extrasyndicale de médecins, précise-t-il. Un groupe très noyauté avec des convictions extrêmement libérales que nous ne cautionnons pas. Passer la consultation de 25 à 50 euros est, à mon sens, irréalisable même si des revalorisations financières doivent néanmoins intégrer la profession ».