----L'environnement qui nous entoure et qui nous est cher -- celui de la Haute-Loire -- nous l'évoquons ici, de manière engagée, comme chaque dernier vendredi du mois, dans notre chronique Veine Verte. Cette tribune d'opinion n'a pas vocation à représenter l'avis de la rédaction.-----Soudain, une toute petite créature survoltée surgit comme un diable d'un trou dans un muret. C'est une hermine. Son pelage est brun acajou, sa gorge est blanche, et sa queue (à la différence de la belette) se termine par un petit toupet noir. Elle tient dans sa gueule sa proie préférée entre toutes, un rat-taupier bien grassouillet. Fière de sa prise, elle parade sur une grosse pierre, lorsque tout à coup une buse surgit d'on ne sait où, fond sur elle, serres en avant, et lui subtilise sa proie. Piquée au vif, l'hermine bondit en l'air juste à temps, récupère l'infortuné rongeur des serres de la buse, le refourre dans sa gueule et s'éloigne en sautillant pendant que le rapace repart d'un vol lourd, Gros-Jean comme devant. La scène n'a guère duré plus de quelques secondes... au point que l'on croirait l'avoir rêvée.
En hiver, la poésie redouble : l'hermine revêt alors une robe blanche immaculée, si bien qu'on la jurerait tout droit sortie d'un conte de fées. Et, en la voyant plonger dans la neige à loisir, ne laissant derrière elle qu'un petit nuage pailleté, difficile de croire qu'elle n'y prend pas du plaisir. Ces maudits rats-taupiers n'ont qu'à bien se tenir…
Vive et fragile
Reste que l'hermine est une apparition toujours furtive. Elle a tout du vif-argent. À peine l'a-t-on aperçue une seconde qu'elle est déjà escamotée dans un fourré, pour ressortir dix mètres plus loin, sans que l'on comprenne bien comment elle a réussi ce prodige. Avec le vol parachuté de l'alouette, le chant plaintif du pic noir, les trilles du faucon pèlerin ou l'ascension frénétique d'une martre dans un pin, le spectacle éphémère d'une hermine en chasse fait partie de ces fulgurances qui font l'émerveillement du promeneur et qui, paradoxalement, laissent en nous une empreinte indélébile. Car ce sont les souvenirs de nature qui resteront, et non pas les souvenirs de route, de smartphone, de zones commerciales ou de béton…
Or voilà, l'hermine est en train de disparaître du département de la Haute-Loire. Non, il faut être plus précis : l'Homme est en train de faire disparaître l'hermine du département. À toute berzingue. Il y a trente ans encore, on en voyait partout, gambillant sur les murettes du Devès, bondissant çà et là dans les narces du Mézenc, jaillissant d'un terrier la truffe maculée de terre au Pertuis, sautillant sur les berges d'Arlempdes, au fond des gorges… Mais pourquoi diable disparaît-elle ? On a bien sûr une petite idée : la disparition des haies et des murettes, la pollution agricole (bromadiolone en tête – un anticoagulant qui tue les rats-taupiers… et donc ses prédateurs, cherchez l'erreur), le réchauffement climatique (l'hermine, qui devient blanche à la saison froide, est particulièrement vulnérable les hivers sans neige), la construction de nouvelles routes et de nouveaux ronds-points, etc. Pour prouver tout ça, il faudrait faire des études, qui prendraient des années, qui coûteraient fort cher, et qui ne serviraient… strictement à rien. Car, en réalité, pour l'hermine comme pour le vanneau huppé, comme pour la pie-grièche, comme pour le saumon, comme pour l'abeille, la solution est connue depuis des lustres : limiter au maximum son empreinte sur l'environnement en avançant dans la vie le pas léger, c'est-à-dire en consommant le moins possible… et laisser la nature tranquille. "Les animaux ne demandent pas qu'on les aime, disait le philosophe-naturaliste Théodore Monod, ils demandent qu'on leur fiche la paix !"
Oumpah-Pah
> Précédemment dans Veine Verte :
Requiem pour une poubelle (25 mai 2018)
Ode à nos paysages (28 juin 2018)
Oui-Oui et l'Éolienne magique (19 septembre 2018)
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