Cinq. C’est le nombre d’arguments qu’ont partagés Isabelle Valentin et Jean-Pierre Vigier à travers un communiqué. Il est destiné aux apiculteurs ainsi qu’à tous ceux qui ne comprendraient pas leur initiative d’aller contre la loi de biodiversité 2016 en optant pour la ré-introduction des néonicotinoïdes dans les cultures betteravières en France.
Un rendez-vous d’ampleur prévu le 24 octobre
Premièrement, ils regrettent d’avoir été interpellés par quelques associations seulement après le vote alors qu’une discussion en amont aurait permis un échange constructif, permettant d’aborder ce sujet de façon plus sereine. « Nous avons interpellé les députés mais en vain, assure Renaud Daumas, président de la FNE 43 (France Nature Environnement). C’est pour cela que nous avons constitué une lettre ouverte à nos députés, courrier que nous remettons aujourd’hui (lundi 12 octobre, Ndlr) dans la boite aux lettres de M. Vigier. Isabelle Valentin accepte néanmoins de nous recevoir prochainement. »
Pour sensibiliser la société sur le danger des néonicotinoïdes, les nombreuses associations actives sur le sujet ont prévu d’exposer l’emblème de leur colère un peu partout dans le département avant un grand rassemblement dans la cité ponote. « Nous avons fabriqué un totem composé de ruches peintes en bleu blanc et rouge et surmonté d’une croix noire. Ce totem sera déplacé dans différents rond-points de l'agglomération pour appeler toutes et tous, toutes générations confondues, à un important rendez-vous le samedi 24 octobre à 10 heures, à la place Cadelade. » Le mardi 27 octobre, le texte sera ensuite examiné au Sénat.
« C'est le retour tout court qui nous agace, 3 ans ou pas 3 ans »
Le deuxième argument partagé par les députés altiligériens est qu’ils tiennent à rappeler leur opposition à l’utilisation du produit au-delà de trois ans, comme stipulé sur le texte. « C'est le retour tout court qui nous agace, 3 ans ou pas 3 ans, fulmine Alain Condon, apiculteur professionnel depuis 22 ans à Sanssac l’Église. Il faut réfléchir sur ce qu’on veut faire de notre agriculture en 2020 et pour les années suivantes. Les apiculteurs sont certes en première ligne car nous sommes directement impactés mais tout ce qui est autour va être également touché, agriculteurs et consommateurs ».
« Aujourd’hui, sur les 450 000 hectares, c’est 27 tonnes qui sont posées »
L’une des deux justifications des parlementaires qui inquiète le plus les opposants concerne la méthode utilisée. Selon Isabelle Valentin et Jean-Pierre Vigier, « le traitement pour l’enrobage de la graine avant que celle-ci ne soit semée dans la terre, n’a pas de conséquence sur une éventuelle pollinisation des abeilles puisque la récolte de la betterave sucrière se fait avant floraison ».
Renaud Daumas répond : « Les conséquences ne sont pas portées que sur les abeilles mais sur toute la faune ! 4 milliardièmes de gramme de néonicotinoïdes, c'est la dose qui suffit pour tuer 50% d'une population d'abeilles. Aujourd'hui, sur les 450 000 hectares, c'est 27 tonnes qui sont posées. Il y a tous les autres insectes pollinisateurs sauvages en grand danger. Et ça va même bien au-delà puisque que ça s'inscrit dans la chaîne alimentaire. Les poisons seront retrouvés dans le sol, impactant par la-même les vers de terre ». Il ajoute : « C'est toute la vie en général qui est menacée, pas que les abeilles et les apiculteurs. Les pollutions seront très conséquentes dans les rivières, les nappes phréatiques et tout l’écosystème ».
----Action Pirouette-Cacahuète
Aurore Treille, femme d’apiculteur en Haute-Loire, est l’une des créatrices du #neomachinchose. « On ne veut pas que l'on croit que c'est une opposition unique entre les apiculteurs et les producteurs de betterave, intervient-elle. Au final, c'est l'être humain qui est concerné et notamment les générations qui vont suivre. Nous avons donc voulu lancer une action grand public dont les acteurs seraient les enfants. On a écrit une parodie de la chanson Pirouette-Cacahuète. Le but du jeu est de leur faire chanter cette chanson devant une caméra où les animaux mentionnés dans les paroles finissent par mourir à cause des néonicotinoïdes.» Les premières vidéos sont déjà sur internet avec le #neomachinchose et relayées sur le site facebook de Label Ruche du Velay.-----45 000 emplois dans la filière betteravière
L’autre explication des députés du département provoquant une véritable bronca des anti-néonicotinoïdes est le suivant : « Il s’agit plus largement de sauver toute la filière de la betterave, représentant 45 000 emplois et plus de 20 000 familles en France qui se trouvent aujourd’hui en grande difficulté. Alors que notre pays est le premier producteur mondial de sucre de betterave, on ne peut accepter d’abandonner ce secteur et d’importer des produits venant d’autres pays, eux-mêmes soumis à des traitements à base de néonicotinoïdes ».
Le président de la FNE 43 rebondit alors : « D’une part, on met tous ces gens-là en danger en les faisant manipuler des produits néfastes pour la santé humain. D’autre part, si on veut protéger des emplois, c'est en démultipliant la capacité de production de la betterave partout en France avec unités beaucoup plus réduites. »
Quant à l’importation de sucre issu de la betterave, Renaud Daumas précise : « Le choix des députés est un choix d'un conservatisme agricole orienté vers le productivisme et la pseudo protection de filière pour une soi-disant autonomie. Il faut savoir qu'on exporte 50% du sucre qui est produit en France tout en important énormément de sucre bio provenant d’Allemagne. Un procédé totalement absurde ! »
Faire l’apologie du bio en Haute-Loire et voter pour les néonicotinoïdes à l’Assemblée
Enfin, les deux députés LR (Les Républicains) de Haute-Loire affirment qu’ils s’opposeraient aux cadres d’utilisation des néonicotinoïdes si ceux-ci devaient être modifiés en seconde lecture par le Sénat.
« On ne croit plus rien et je n’ai aucune confiance, se désole Alain Condon. À vrai dire, on ne se sent pas trahi par les députés de Haute-Loire car la politique qu'ils ont engagée depuis des années n'était déjà pas une politique en faveur des agricultures biologiques. Par contre, qu’ils soient certains qu’on va les interpeller sans relâche. Il y a trois jours, avec Haute-Loire Biologique, nous avons rencontré Isabelle Valentin venue à notre foire aux miels d'Aiguilhe. Cela a été très courageux de sa part d’être là d’ailleurs. On lui a démontré que notre système était l'avenir de notre agriculture. Nous lui avons fait remarquer qu’elle venait nous acheter des produits, des légumes et des fruits bio et, dans le même temps, qu’elle transmettait des idées à l’Assemblée Nationale à contresens de ce qu’elle prêchait en notre présence ».
Les alternatives proposées par les opposants
Mais parce qu’il est aisé de critiquer, est-ce que les associations d’opposants ont, de leurs côtés, des alternatives pour sauver la filière betteravière et prémunir des maladies et des prédateurs sa culture de façon écologique ? « Il faut ré-imaginer des systèmes agricoles avec des agro-écosystèmes beaucoup plus complexes et plus équilibrés, martèle le président de la FNE 43. Là, on fait betterave sur betterave sur betterave. Il est donc logique que les prédateurs des betteraves soient tout le temps présents. On est dans un système où la rotation des cultures n'est pas ancrée dans les pratiques. Pourtant, c’est la solution pour agir efficacement contre les maladies et les prédateurs. »
Il continue : « Encore une fois, il faut délocaliser les milliers d’hectares de cette culture partout en France et ne pas la laisser dans une seule et même région. Les grosses raffineries et sucreries, c’est terminé. Il faut maintenant penser à des petites structures de transformation en faisant tourner différentes cultures pour ne pas concentrer les ennemis des années durant sur une exploitation et sur un type de plantation ».
La Cour de justice europénne contre le retour des néonicotinoïdes
« Le retour des néonicotinoïdes, c'est un bond en arrière et quelque chose qui nous attriste véritablement, déplore Alain Condon. Nous avons mis très longtemps à les faire interdire. Au-delà des apiculteurs qui ont tiré la sonnette d’alarme devant la mortalité exceptionnelle des abeilles, ce sont les scientifiques qui se sont rendus compte de la dangerosité extrême de ce produit pour tous les pollinisateurs naturels. Hier, on l’interdit et le lendemain on vous dit qu'il est autorisé. C'est quand même signe d’une régression assez incroyable ! ».
À noter que, il y a quelques jours, la Cour de justice de l’Union européenne a émis un avis favorable à la loi de la biodiversité 2016, s’érigeant à son tour contre l’utilisation des néonicotinoïdes.
Nicolas Defay