Gérard, la puissance des mots
" Me retrouver au milieu de tous ces gens me hante. Je vois défiler leurs visages, j'appréhende toutes ces socialisations à venir et ça me secoue l'estomac. Je suis dans un état de stress intense et la pression est tellement forte que je suis incapable de sortir le moindre son de ma bouche.Tous les jours je dois surmonter ma peur. Parfois je mange dans ma voiture pour éviter d'avoir à parler à mes collègues. Mais l'angoisse ne s'arrête jamais. Même après ma journée de travail. Elle me poursuit le soir, la nuit, le week-end. Alors je m'enroule des ceintures lombaires autour de l'abdomen pour tenter de contenir la pression qu'elle exerce sur moi".
Les mots sont durs. Précis. Sans tabous ni concessions. Laissés sur une feuille, légèrement froissée. Ce sont ceux de Gérard, la cinquantaine qui vient d'être diagnostiqué "autiste" après une première partie de vie consacrée à surmonter une angoisse sans en comprendre l'origine. Ni pouvoir la nommer. Depuis peu, il s'est découvert une passion et un talent certain pour l'écriture. Ça lui permet d'exorciser ses démons, de comprendre sa vie et d'analyser ses sentiments.
" La socialisation et tous les savoir-faire qu'elle suppose, c'était trop fort pour moi " Gérard
L'autisme ?
L'autisme n;'est pas une maladie. C'est un handicap dont les manifestations sont décrites sous l'intitulé de troubles du développement d'origine neurologique. il se manifeste principalement par une altération des interactions sociales, par des intérêts spécifiques et répétitifs et par une hyper ou hypo sensibilité sensorielle.
Originaire de la banlieue lyonnaise,Gérard vit en Haute-Loire depuis une vingtaine d'années. Son parcours scolaire a été "plutôt fluide", jusqu'à l'année du bac au cours de laquelle ses angoisses prennent le dessus et finissent par le paralyser totalement : " J'ai quitté le lycée, parce que la socialisation et tous les savoir-faire qu'elle suppose, c'était trop fort pour moi ". Il dort dans la rue, fréquente les squats alternatifs de la capitale des gaules et se met à boire : " C'était le seul moyen que j'avais trouvé qui me permette de m'ouvrir un peu aux autres et de calmer mes angoisses. J'avais besoin de l'alcool pour y arriver, sinon c'était trop dur. Et dans les squats, tout le monde avait sa propre pathologie. Alors les gens faisaient pas trop attention à moi et ne me sollicitaient pas sans arrêt, comme dans la vraie vie. Les contraintes sociales étaient quasi-inexistantes. J'étais presque peinard".
" Jusqu'en Terminale, je n'ai fait que simuler "
Gérard s'interroge : il a eu une "enfance classique", sans " aucun traumatisme". Une famille plutôt bienveillante. Ses jeunes années se résument pourtant à des successions d'épisodes phobiques, de honte et de simulation : " Jusqu'en terminale, je n'ai fait que simuler. Du mieux que je pouvais. J'essayais de répondre tant bien que mal à ce que je pensais être la norme, et quand c'était trop dur pour moi, je m'isolais et me laissais aller à des stéréotypies que personne n'a jamais remarquées".
Du coup, Gérard passe totalement entre les mailles du filet des soins et de la Médecine. Il quitte Lyon, s'installe en Haute-Loire, travaille à l'usine puis fait les "39 heures dans une scierie". Un enfer : " Les autistes sont hyper-sensoriels, ils sont submergés par une foule d'informations, le bruit, la lumière, certaines odeurs, on n'a aucun filtre. Alors je vous laisse imaginer ce que j'ai pu endurer dans une scierie, en plus de ma phobie sociale".
" Ma vie a changé depuis le diagnostic "
Arrive la délivrance. Sous la forme d'un diagnostic médical : à 51 ans, Gérard apprend qu'il n'est pas le seul à ressentir ce qu'il ressent, à se battre depuis des années pour tenter de donner le change. Il apprend qu'il est un adulte atteint de " troubles du spectre autistique" : " Ma vie a changé depuis le diagnostic. J'ai compris que tout ça, c'était pas forcément ma faute. Et puis c'est rassurant de pouvoir nommer les choses, de pouvoir les comprendre. Ça a été comme une deuxième naissance. Je vais pouvoir m'occuper de moi comme il faut, en connaissance de cause. En côtoyant les autres autistes du GEM, j'apprends plein de nouvelles choses sur moi tous les jours".
Sullivan, la tête dans les nuages
" Habilités sociales zéro"
Avec ses cheveux longs et ses yeux perçants, son phrasé décidé et certaines connaissances pointues, Sullivan ressemble à s'y méprendre à l'astrophysicien Aurélien Barrau. Il évoque son parcours d'autiste avec la même précision scientifique que ce dernier, lorsqu'il évoque l'urgence écologique.
Sullivan est né il y a 37 ans, dans un petit coin des Vosges. Parcours scolaire brillant : " J'ai toujours été considéré comme une tronche, une sorte d'intello, un peu allumé. Apprendre c'était hyper facile pour moi. Le Bac S une simple formalité". Mais Sullivan dénote au milieu de ses camarades : " J'en avais rien à foutre de la mode, je me fringuais n'importe comment et surtout j'étais mauvais dans mon rapport aux autres. Habilités sociales zéro. J'étais mis de côté, mais ça me touchait pas plus que ça. Tout ce que je voulais, c'était regarder les nuages, comprendre ce que c'était et pourquoi ils étaient tous différents".
" Mon hyper-sensorialité a pris le dessus"
Sa jeunesse se passe "sans trop d'embrouilles", jusqu'à son année de Licence : " Là je suis parti totalement en vrille. La fatigue, un contexte familial compliqué. Mon hyper-sensorialité a pris le dessus. D'un coup j'ai perdu tous les filtres que j'avais appris tant bien que mal à mettre en place. Je ne supportais plus rien. Le bruit des autres. L'odeur du parfum de ma mère, du tabac de mon père. Insupportable. J'ai commencé à me mutiler. A me scarifier."
" J'ai été pris en charge pendant 15 ans pour une pathologie qui n'était pas la bonne "
Sullivan fait un " burn-out autistique" : " Aujourd'hui tous les spécialistes savent ce que c'est, c'est un épuisement émotionnel et physique qui nous met tous à plat, nous les autistes. Sauf qu'il y a 15 ans, quand ça m'est arrivé, personne ne savait ce que c'était". Sullivan est donc diagnostiqué "borderline", du fait de son irritabilité et de ses tendances à l'auto-mutilation : " J'ai été pris en charge pendant 15 ans en hôpital de jour, pour une pathologie qui n'était pas la bonne".
" J'avais besoin qu'un expert pose un vrai diagnostic sur mes années de galère et de souffrance "
Ce qui le sauvera finalement, " c'est les nuages " et l'intérêt spécifique qu'il porte aux phénomènes météo : " Je passais mon temps sur Discord, à tchatter avec d'autres passionnés des nuages. Un jour, certains d'entre-eux se sont mis à évoquer leurs troubles et à parler de l'autisme, et c'est là que j'ai compris. Tout seul comme un grand ". Mais en tant qu'hyper-cartésien, Sullivan a besoin d'une validation scientifique : " Les épisodes de Good Doctor, ça suffisait pas. J'avais besoin qu'un expert pose un vrai diagnostic sur mes années de galère et de souffrance". Et rapidement. Le temps de l'hôpital public étant ce qu'il est, Sullivan se tourne vers la médecine libérale : " Ça m'a couté 800 euros, mais la science a parlé : j'ai été diagnostiqué TSA de sévérité 1 sur une échelle de 3, ça veut dire que j'ai juste besoin d'un peu d'aide dans ma vie, mais sans plus".
" On apprend que toute sa vie on va se coltiner un truc un peu zarbi "
Si le fait d'être diagnostiqué a été une délivrance pour Gérard, cela n'a pas été le cas pour Sullivan : " Sur le moment, c'est vrai, ça m'a un peu libéré, j'ai revu toute ma vie avec cette nouvelle grille de lecture, ça m'a fait comprendre plein de choses. Mais c'est quand même une sacrée claque dans la gueule. On apprend que toute sa vie, on va se coltiner un putain de truc un peu zarbi".
Sullivan vit actuellement à Coubon, avec " son amoureuse", qu'il aime à sa manière : " embrasser quelqu'un, c'est pas forcément le bonheur pour un autiste vous savez"!
Le parcours du combattant d'une maman
" J'étais seule face aux souffrances de mon enfant "
Lorsqu'elle évoque son expérience et son parcours de maman de deux enfants autistes, Isabelle, une ponote de 44 ans, a du mal à retenir son émotion et à dominer sa colère. Ses yeux se mouillent à plusieurs reprises et ses genoux s'agitent : " Pour le plus jeune, le diagnostic est entrain d'être posé. Par contre pour le plus âgé, ça a vraiment été l'enfer. J'étais seule face aux souffrances de mon enfant. Je me suis posé des questions très rapidement. Il était hyper solitaire et s'il tentait de s'intégrer ou de se faire des amis, dans le meilleur des cas personne ne s'intéressait à lui et dans le pire des cas on le harcelait et on le violentait. Lui et moi, on a fait comme on pouvait pour qu'il survive à une scolarité classique, malgré ses troubles et ses difficultés d'apprentissage. Mais au moment de passer le bac, ça a coincé, totalement. L'école classique, vous savez, c'est hyper violent pour les enfants qu'on n'arrive pas à faire entrer dans les bonnes cases. Je crois qu'on me l'a détruit".
" Ils étaient tous au diapason pour me culpabiliser "
Son fils finit quand même par être diagnostiqué. Un soulagement pour Isabelle : " J'arrivais enfin à mettre un mot sur son mal-être. Ça m'a permis d'apprendre à me déculpabiliser et à reconstruire une image positive de moi-même en tant que mère. Parce qu'avant, personne ne m'avait épargnée : ni l'école, ni les psys, ni les médecins. Ils étaient tous au diapason pour me culpabiliser. Pour me remettre en cause. Pour insinuer que j'aimais mal mon enfant, que je l'aimais trop ou pas assez et que je ne savais pas y faire".
(Pour finir avec un petit truc en plus mais pas forcément facile : Sullivan prédit encore beaucoup de pluie pour les jours à venir. Et puis pour en savoir un peu plus sur le GEM c'est par ici ).