----L'environnement qui nous entoure et qui nous est cher -- celui de la Haute-Loire -- nous l'évoquons ici, de manière engagée, comme chaque fin de mois, dans notre chronique Veine Verte. Cette tribune d'opinion n'a pas vocation à représenter l'avis de la rédaction.-----Il y a des jours où certains recoins du département prennent des airs… de bord de mer. Quand on voit un goéland leucophée entamer sa descente au-dessus de la Loire, quand une escadrille de grands cormorans se perche pour prendre le soleil, les ailes en croix, sur un arbre qu'ils ont méthodiquement repeint en blanc, quand un balbuzard capture une carpe à fleur d'eau et fanfaronne dans les airs avec sa prise encore ruisselante dans les serres, quand Dame loutre se frotte amoureusement le dos sur un rocher et qu'on jurerait voir un phoque ou une otarie… quand le cincle plongeur fait la génuflexion sur la berge…
L'art de la génuflexion
Le cincle plongeur ? Une petite boule de plumes, adorable en tous points. Sous certains angles, avec sa bavette blanche sur un corps brun-roussâtre, il évoque un drôle de petit pingouin. Miniature, s'entend. On ne peut le confondre avec aucun autre. Le chevalier guignette est beaucoup moins rondouillard et la bergeronnette est montée plus fin encore. Très croyant (la Haute-Loire n'est-elle pas impénitemment chrétienne ?), le cincle fait la génuflexion sans arrêt, à la manière du hochequeue, comme s'il était monté sur ressort, juché sur un petit caillou au ras de l'onde. Un petit sifflement strident et le voilà parti comme une fusée, d'un vol battu cocaïné, toujours à fleur d'eau, jusqu'à rider parfois la surface du bout de ses ailes… Au printemps, il n'est pas rare d'ailleurs que les courses-poursuites effrénées entre mâles finissent à la baille !
Ne faudrait-il pas le rebaptiser le "cinglé plongeur" ?
Si on le dit "plongeur", ce n'est pas pour rien : le cincle trouve sa nourriture au fond des cours d'eau rapides (et donc bien oxygénés) – des petits mollusques et des invertébrés qu'il picore en arpentant le lit de la rivière, face au courant, avant de remonter à la surface la bouche pleine, pareil à un petit flotteur (on entendrait presque un "plop !"), de s'ébrouer prestement… et de fêter ça par une petite série de génuflexions. La vision de cette petite boule de plumes affrontant les eaux les plus furieuses du département au cœur de l'hiver force l'admiration, voire pose question : ne faudrait-il pas le rebaptiser le "cinglé plongeur" ? Sans compter qu'on le voit souvent tournicoter autour de la loutre quand celle-ci marsouine en quête d'écrevisses américaines sous les berges… ignore-t-il que la belle ondine serait parfaitement capable d'ajouter un dodu merle d'eau à son menu ?
Une merveille de nid
On a coutume de dire que le nid le plus fantastique du règne animal est celui du marsupilami. Soit, mais celui du cincle n'est pas loin derrière. C'est une charmante boule en mousse, parfois de belle taille (jusqu'à 30 cm), parfois parfaitement sphérique, généralement suspendue dans une branche en surplomb au-dessus des flots (et donc à la merci des fortes crues). Pourquoi au-dessus de l'eau ? Parce qu'à l'heure de l'envol les petits ne prennent pas les airs… mais un bain ! L'ouverture du nid est d'ailleurs orientée vers le bas. Après cette première prise de contact vivifiante avec l'élément liquide, les petits s'empressent de gagner la berge où ils feront ce qu'ils faisaient déjà dans la chaleur douillette de leur nid moussu : quémander à grands cris la becquée à leurs géniteurs. Pour échapper aux prédateurs, il arrive que le cincle installe son nid derrière une cascade, et la vision des parents franchissant le rideau d'eau pour aller nourrir les petits fait partie de ces spectacles magiques dont on ne se lasse pas et que seule la nature peut nous offrir.
Devenu rare dans une grande partie de l'Hexagone, le cincle plongeur conserve une population honorable en Haute-Loire, malgré le triste état de nos cours d'eau, quoi qu'en disent les instances du département (Où sont passés les sonneurs à ventre jaune, les écrevisses à pattes blanches et les tritons ? Que sont devenus les ruisseaux à truites de jadis ?). Très farouche dans les zones encore sauvages, il l'est beaucoup moins dans les villages. À La Séauve-sur-Semène, par exemple, où vivent deux couples, il se laisse ainsi approcher à quelques mètres… même si on ne le conseillera pas, car il n'y a guère d'intérêt à voir les animaux de si près – mieux vaut rester en retrait avec une bonne paire de jumelles pour ne pas inquiéter l'animal et observer des comportements totalement naturels.
Oumpah-Pah
> Précédemment dans Veine Verte :
Requiem pour une poubelle (25 mai 2018)
Ode à nos paysages (28 juin 2018)
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