Tous les coteaux des gorges du Haut-Allier étaient autrefois recouverts de vignes. Mais au début du XXe siècle, le phylloxera -- une sorte de puceron ravageur -- après avoir prospéré un peu partout en France, n'a pas épargné le secteur du Haut-Allier. "La saignée démographique due à la Seconde guerre mondiale et la transition vers l'élevage", ont selon Paul Aublet-Cuvelier, enterré un peu plus profondément l'activité viticole sur ce territoire qui ne compte plus quelques petites parcelles privées et une parcelle d'un hectare au lieu-dit Auzat sur la commune de Villeneuve-d'Allier, propriété de la Communauté de communes des Rives du Haut-Allier (nous y reviendrons plus tard dans cet article).
"Nous avons une vraie volonté de nous implanter sur le territoire"
Un territoire que le vigneron âgé de 27 ans connaît bien, sans y vivre à l'année. Depuis tout petit, il passe ses vacances dans la maison de sa grand-mère maternelle, à Chilhac. "J’ai vu qu’il y avait un vrai potentiel, des choses vraiment incroyables à faire ici", raconte-t-il. Une analyse personnelle qu'il partage avec son ami, lui aussi vigneron, Mathieu Fleuriet. Les deux hommes ont travaillé ensemble dans le vignoble Sancerrois dans le Cher. "La première fois que je suis venu, j’ai tout simplement halluciné. Le passé viticole, le terroir, le granite, le basalte... Il y a des choses à faire qu’on retrouvera dans nos vins", intervient Mathieu, 37 ans.
De ce coup de foudre entre un territoire et deux vignerons naîtra un projet de réimplantation de vignes (bio) sur des parcelles abandonnées depuis une cinquantaine d'années. Au mois de mars 2020, ils planteront donc quatre hectares de vignes, après un travail de défrichage préalable. "On a fait le choix de certains cépages selon le climat et nos goûts, explique Mathieu Fleuriet. En rouge, on va planter de la Syrah, du Pinot et du Gamay et en blanc du Chenin et de la Roussanne." Il faudra patienter trois ans avant la première récolte, qui sera en réalité une demi-récolte. L'année suivante sera une récolte pleine. Quant à la vinification, dans un premier temps, pour des raisons financières, elle aura lieu dans la cave de Mathieu Fleuriet, à Sancerre. Mais les deux vignerons l'assurent, "on va essayer à court terme de monter une cave. Nous avons une vraie volonté de nous implanter sur le territoire et d'être des acteurs de son dynamisme."
"Vers une labellisation"
Un discours entendu et apprécié par l'assemblée réunie autour des deux jeunes hommes, à Saint-Privat-du-Dragon, le lundi 21 octobre 2019, lors de la présentation officielle de leur projet. Parmi elle, la maire de la commune, Agnès Jean, le président de la Communauté de communes des Rives du Haut-Allier, Gérard Beaud, le sénateur Laurent Duplomb, ainsi que le député Jean-Pierre Vigier et le préfet de la Haute-Loire, Nicolas de Maistre. Le représentant de l'Etat voit en cette nouvelle installation une reconquête de la vigne sur le territoire qui engagera "une réflexion générique". "Je voudrais faire venir FranceAgriMer pour qu’on ait une discussion sur l’ancienne carte d'implantation des vignes avant le phylloxera. Il faut aussi qu’on ait une réflexion portant sur les territoires et leurs qualités agronomiques qui permettent de produire un vin de qualité."
(Les vignes d'Auzat. Photo © S.Ma - Zoomdici)
Effectivement, certains se souviennent, ou ont eu écho, de ce qu'on pouvait faire de meilleur, mais aussi de pire, en matière de production de vin à l'époque où la vigne était la principale activité économique dans ces gorges du Haut-Allier. C'est pourquoi le projet de reconquête de la vigne doit être porté par des professionnels, comme Paul Aublet-Cuvelier et Mathieu Fleuriet "qui ont montré sur d’autres territoires, qu’ils étaient capables de faire de l’excellent vin", commente Gérard Beaud, le président de la Com'com des Rives du Haut-Allier. Et d'ajouter : "La vigne d'Auzat (propriété de la collectivité, entretenue et valorisée par les chantiers d'insertion, Ndlr) permet de montrer que l'activité viticole est possible. Dans ces vignes, nous produisons du vin qui est aujourd’hui d’une excellente facture. Je pense que c’est une démarche qui doit être accompagnée pour que d’une manière générale, on retrouve la production de vin et qu’ensuite on aille vers une labellisation." Cet accompagnement porte essentiellement sur des aides techniques et logistiques. "On sait également que l'activité est soumise aux caprices de la météo. Il faut donc aussi leur [les professionnels, Ndlr] donner l’assurance qu'on sera à leurs côtés pour les aider à passer une ou deux mauvaises années."
Encourager une démarche collective
Paul Aublet-Cuvelier et Mathieu Fleuriet ont eu affaire à des propriétaires "bienveillants". Leur acquisition devrait s'élever, à terme, à 13 hectares de parcelles sur un coteau. Aussi, pour pouvoir accueillir de nouveaux porteurs de projet, le préfet encourage une démarche collective entre les vignerons, les élus et les propriétaires de foncier. "Cette reconquête de la vigne nous offrirait un avantage économique permettant de faire vivre des territoires sur lesquels l’agriculture est souvent en difficulté. En même temps, c’est un facteur très fort d’identité territoriale et c’est aussi très positif pour accompagner le développement du tourisme. Alors soit on arrive à développer un consensus pour accompagner ces replanteurs de vignes, soit il n’y a pas de volonté et dans ce cas-là c’est une chance qui nous échappe."
Stéphanie Marin