----L'environnement qui nous entoure et qui nous est cher -- celui de la Haute-Loire -- nous l'évoquons ici, de manière engagée, comme chaque dernier vendredi du mois, dans notre rubrique Veine Verte.-----Un oncle parisien jusqu’à la moelle avait toutes les peines du monde à comprendre notre choix de rester vivre en Haute-Loire. Pour lui, c'était un de ces départements de transit qu'on traverse de temps à autre pour se rendre ailleurs, en l'occurrence dans le sud, rien de plus. C'était un no man's land, un non-lieu, quelque chose entre le goulag et l'Islande…
Il ne voyait chez nous que des étendues lugubres, hostiles et glacées, des fermettes à demi-aveugles et noirâtres, à croupetons sous des montagnes austères, des gorges oppressantes façon "Délivrance" (film de survie culte des années 1970), des plateaux battus par les vents, mités de lotissements anarchiques et sans âme, royaumes du crépi saumoné et des arcades en fausse pierre. Le Puy ? Une Babel fantôme aux ruelles moribondes et crasseuses, asphyxiée de religion, restée prisonnière de la longue nuit du Moyen Âge… Charmant tableau !
Nous entreprîmes de le détromper.
Nous l'invitâmes à passer un long séjour dans notre "noire Sibérie". Il y eut le Mézenc d'abord, notre mont Fuji ! Nous lui fîmes découvrir les recoins les plus secrets du plateau, ses ruines romantiques, ses cascades oubliées, ses petits cirques rocheux, ses prairies fleuries, sa sauvagerie enivrante à perte de vue... Sans oublier son bestiaire, les marmottes bien sûr, autant que le Tout-Puissant peut en bénir, mais aussi les vautours en maraude, le busard cendré ou l'élégance personnifiée, la pie-grièche et son air de bandit masqué, l'immanquable circaète Jean-Le-Blanc (l'aigle aux serpents !), les renardeaux se chamaillant au terrier…
Petit crochet par la préfecture : son marché grouillant de vie et ses fromages (qui grouillent aussi !), les ruelles bossues du vieux Puy, la cathédrale en majesté autour de laquelle gravite toujours une petite escouade de bonnes sœurs et de curés, les maisons de guingois du Pouzarot, les lions vénérables du baptistère Saint-Jean, les arches à claire-voie de la place du For, la très aristocratique rue du Cardinal de Polignac…
Ce furent ensuite les gorges de la Loire où chaque méandre est une invitation à découvrir le suivant. Chadron, Goudet, Bonnefont, Arlempdes et leurs airs de bouts du monde enchantés, les gourds, les radiers, les bouquets de reine-des-prés... En crapahutant sur les berges, gambillant de rocher en rocher, nous lui apprîmes à repérer le nid rondouillet et moussu du cincle plongeur et les vasques chaudes où barbote le sonneur (ah, ces pupilles en forme de cœur !), à reconnaître les traces de loutre, de genette et de grand-duc, à pêcher l'écrevisse américaine sans se faire pincer la couenne. Bref, à vivre à l'altiligérienne…
Ce fut encore le plateau du Devès et ses murets de pierres sèches, ses gardes coiffées de pinèdes, ses villages rougis par la lave, le kaléidoscope des champs de lentilles en juillet, l'étourdissant ballet des milans royaux tout l'été… Et puis encore les monts Breysse, le plateau casadéen, les bocages de Lavaudieu, Saint-Arcons, le Pontajou, la cascade de la Louade… de quoi en faire une aubade !
Département aux mille recoins secrets, la Haute-Loire est de ces joyaux que l'on aimerait garder pour soi pour mieux les préserver. Son étonnante diversité paysagère et sa géologie torturée (qui met une partie du territoire à l'abri de l'homme et de ses méfaits) en font un bastion naturel qu'il convient à tout prix de protéger, à l'heure de l'effondrement brutal de la biodiversité. En freinant notre consommation (évitons les zones commerciales !), en recréant de la biodiversité (vive le jardin naturel sans engrais !), en réduisant nos déchets (vive le vrac et le marché !). Bref, en misant, plus que jamais, sur la sobriété.
La Haute-Loire selon mon oncle ? "Le plus beau pays du monde".
Oumpah-Pah
NB. Après une pause en juillet et août, Veine verte reviendra à partir de septembre, tous les derniers vendredis de chaque mois sur Zoomdici.fr.
(Photo : Les Gorges de la Semène à Lafayette)
> Précédemment dans Veine Verte :
Stop ou encore ? (30 mars 2018)
Éloge permacole (24 avril 2018)
Requiem pour une poubelle (25 mai 2018)