Samedi 20 août 2016. Je pars du Puy-en-Velay vers 18h45. J'arrive à La Chaise-Dieu, par une départementale raisonnablement rectiligne moins de 40 minutes plus tard. Des paires de gendarmes arpentent les rues en cette période d'Etat d'urgence. Je me gare sans problème dans un parking de 50 places signalé à l'entrée du centre-bourg. Les plaques d'immatriculation alentour font voyager : 13, 75, 63, 42... Dès que je sors, je remarque que l'atmosphère s'est rafraîchie sensiblement. Je suis désormais à 1082 mètres d'altitude (contre 628m au Puy).
300 mètres à pied plus loin, via la nouvelle maison de santé du plateau casadéen et le collège Henri Pourrat, je suis aux pieds de l'abbaye de La Chaise-Dieu, ou abbatiale Saint-Robert.
Là, des bénévoles souriants en gilets jaunes orientent les visiteurs. Des échafaudages à l'arrière de l'abbaye témoignent des impressionnants travaux de restauration en cours. Par-ci par-là, des panneaux explicatifs relatent l'avancée du chantier.
Amuse-gueules et sérénade
D'ailleurs, l'une des pièces fraîchement terminée, aux voûtes d'un blanc cassé impeccable, accueille la réception donnée par la Région Auvergne-Rhône Alpes, mécène du concert du soir. Une trentaine d'invités assistent aux discours des officiels. Florence Verney-Carron, vice-présidente déléguée à la culture et au patrimoine, assure de son soutien la représentante de l'orchestre d'Auvergne qui se prépare à entrer en scène. Du reste, l'un des grands défis de la fusion des deux Régions, au 1er janvier dernier, sera d'harmoniser les politiques culturelles pour qu'aucun territoire ne soit laissé pour compte.
Quant au festival de La Chaise-Dieu, il est question d'augmenter sa subvention. De quoi conforter encore le directeur artistique du festival, “l'excellentissime” Julien Caron, tel que le désignent au micro les conseillers régionaux altiligériens Jean-Pierre Vigier et Marie-Agnès Petit. Parmi l'assistance, on remarquera Michel Chapuis, également conseiller régional et maire du Puy-en-Velay, ou encore Jean-Jacques Faucher, maire de Brioude. Tandis que les amuse-gueules d'un célèbre traiteur du bassin du Puy sont appréciés par l'assemblée, le quatuor “Hornormes” berce le cloître de l'abbatiale d'une sérénade à entrée libre.
La meilleure acoustique
21 heures approchent. Le temps de tendre son billet et d'être confiée à “ce charmant jeune homme qui va vous accompagner jusqu'à votre siège” pour ceux qui ont des places en stalles ou en choeur. De là, la vue est imprenable, surtout en stalles, ces deux rangées de sièges rehaussés bordant les parois. Enfin, le “charmant jeune homme” me précise que c'est Clément VI, le pape français enterré en 1352 en l'abbatiale qu'il fit construire, qui profite de la meilleure acoustique au centre du choeur. Je lui souhaite donc bon concert.
Moi je m'installe, confortablement, sur un siège rembourré. A peine le temps d'échanger quelques mots avec mon voisin que l'orchestre d'Auvergne prend place. Tout du moins, les cordes pour l'instant. Une trentaine de musiciens, de tous âges, la premier violon étant d'une fraîcheur et d'une élégance notables. C'est elle qui donne le “la” afin que chacun s'accorde puisqu'il n'y a pas encore de hautbois. Le chef d'orchestre, Roberto Forès Veses, entre ensuite. Sans baguette, il donne vie à l'ensemble.
Un “athlète” digne des J.O.
En introduction, le “Liebestraum” (rêve d'amour) de Max Reger est donné. Mais c'est Raphaël Sévère que le public attend. Bien vite, le clarinettiste virtuose se joint à l'orchestre auvergnat. Ses 22 ans abaissent d'un coup la moyenne d'âge de l'auditoire, il est vrai assez élevée. Celui qui a été le plus jeune artiste français à recevoir une nomination aux Victoires de la musique classique (dans la catégorie révélation soliste en 2010, alors qu'il n'avait que 15 ans) ajuste son instrument sans arrêt. Alors que l'orchestre entame le concerto pour clarinette en la majeur de Mozart, le jeune Breton vérifie l'alignement des deux parties du corps de son instrument, ainsi que le bec. Il le fera tout au long de sa prestation, à chaque instant libre.
Son souffle s'élève. Mais il n'a pas besoin d'être tonitruant pour s'imposer au-dessus de trente autres instruments. Léger, allègre. La jeunesse et l'insouciance de Mozart retentissent. Gai comme un pinson, dirait-on. Et les deux petites chauves-souris qui virevoltent sous les voûtes de l'abbaye ne font de renforcer ce moment de poésie.
Poésie mais aussi performance physique. Tels les athlètes qui concourent au même instant à Rio, Raphaël Sévère fait parler sa cage thoracique, tout en retenue et en finesse. L'étoffe de tissue noir avec laquelle il s'éponge régulièrement le front et la lèvre supérieure en atteste. S'il n'y a pas de médaille à la ligne d'arrivée, la récompense se lit dans l'enthousiasme de l'assemblée qui en redemande. Après avoir reçu une rose de l'armée de bénévoles, le jeune prodige offre un solo en sol de Stravinsky. Un dépaysement total après Mozart !
Standing ovation
Place à l'entracte. Les 45 premières minutes sont passées en un rien de temps. Raphaël Sévère et les musiciens auvergnats sont gratifiés d'une standing ovation alors qu'ils s'éclipsent par une sortie d'un côté de la nef.
A l'extérieur, les fumeurs se retrouvent sur les marches de l'abbaye. Ceux qui descendent un peu plus bas, vers la fontaine, admirent la projection de lumière en mouvement sur la façade de l'édifice. Le magasin de bibelots en face espère attirer le festivalier occasionnel. Bars et restaurants résonnent de joyeux éclats de voix.
Retour à mon siège. Les instruments à vent et le percussionniste se joignent aux cordes. Le chef d'orchestre s'anime de tous ses membres sur un morceau d'Anton Webern. La soirée s'achève. Après une rose, un tonnerre d'applaudissements et un dernier “encore”, il est temps de repartir au Puy. Sans encombres après une belle soirée.
Annabel Walker