Joint par téléphone ce mardi matin, Thierry Grimaldi, le président de la Capeb Haute-Loire (Confédération de l'artisanat et des petites entreprises en bâtiment), nous explique que l'émission Cash Investigation de France 2, présentée par Elise Lucet, l'a contacté pour les nombreuses actions menées en Haute-Loire à propos des travailleurs détachés, son cheval de bataille. Il s'agit en gros d'ouvriers polonais, roumains ou portugais qui travaillent sur des chantiers en France pour des entreprises qui ne respectent pas la loi : ils sont sous-payés et soumis à des horaires abusifs.
Le journal l'Expansion et le JT de Pujadas lui avaient notamment consacré des articles et reportages car l'entrepreneur altiligérien avait mandaté un détective privé qui avait démontré que le travail détaché existe bel et bien en Haute-Loire, contrairement à ce que les services de l'Etat prétendaient à l'époque. "On voit bien avec la mondialisation que ça ne s'arrête pas aux territoires frontaliers", ajoute-t-il, "mais ce n'est plus l'heure de démontrer que ça existe, mais plutôt de chercher des solutions".
----Le cadre légal
Pour un travailleur détaché, les cotisations sociales appliquées sont celles du pays d'origine. Ce qui, concrètement, permet à un employeur d'embaucher des travailleurs à moindre coût dans des pays aux cotisations sociales bien plus élevées. En revanche, le salaire et les conditions de travail de l'employé détaché relèvent des règles du pays dans lequel il travaille. Un travailleur détaché en France doit donc toucher au moins le smic.-----"Une escroquerie à un milliard d'euros par an"
Alors que les seuls chiffres officiels concernant les travailleurs détachés émanent d'une enquête du Sénat, ils font état d'un bilan plutôt alarmant (et on peut penser qu'en réalité, les chiffres sont encore plus importants) : la France compte 280 000 travailleurs détachés déclarés, et 300 000 non déclarés.
Rien que dans le bâtiment, ce serait environ 15 000 emplois par an, "une escroquerie à un milliard d'euros par an", selon Thierry Grimaldi (480 millions d'euros de charges sociales et 520 millions d'euros de TVA). "C'est de l'esclavage moderne", tranche le Président de la Capeb 43, "le reportage est accablant, on voit la misère humaine, des gens exploités...", poursuit-il.
"D'un côté ceux du CAC 40 qui en profitent pour augmenter leurs profits et de l'autre de petits artisans, au bord du gouffre"
Une équipe de journalistes a travaillé pendant un an sur ce reportage d'1h10 qui sera suivi d'un débat de 50 minutes. Le reportage de Cash Investigation ne comprend aucune séquence en Haute-Loire mais s'intéresse davantage aux gros chantiers des grosses entreprises, même s'il n'existe aucun territoire épargné par le phénomène. "Il y a d'un côté ceux du CAC 40 qui en profitent pour augmenter leurs profits et de l'autre de petits artisans, au bord du gouffre, parfois contraints d'y avoir recours pour ne pas couler. En aucun cas je ne le légitime mais certains le font plus par nécessité, et d'autres par profit", juge l'entrepreneur altiligérien.
Invité à débattre sur le plateau de France 2 en compagnie de Myriam El Khomri, ministre du Travail, et Guillaume Balas, député européen, Thierry Grimaldi synthétise : "on demande un salaire égal à travail égal", avant de reconnaître les "bonnes initatives du gouvernement" : réouverture de la directive européenne et signature d'une convention nationale sur les travailleurs détachés, qui vise à réouvrir les conditions de travail.
La victime collatérale : le travailleur français
Si ce phénomène s'est amplifié avec la crise économique, le président de la Capeb 43 n'y perçoit aucun lien avec la crise migratoire. "Depuis déjà plusieurs années, il y a une telle tentation avec les pays de l'Est... On a 38 % de charges sur un travailleur français et 18,8 % sur un polonais", nous glisse-t-il à titre d'exemple.
Sans oublier la partie illégale de ces travailleurs détachés, qui baisse le coût et ce qui conduit inexorablement à une victime collatérale : le travailleur français. "C'est une cause structurelle du chômage en France", déplore-t-il, "et un véritable levier pour lutter contre le chômage en France".
Désertification rurale et disparition de l'apprentissage
Autres dangers pointés du doigt par le représentant des petits artisans de Haute-Loire : la désertification rurale et la disparition de l'apprentissage. "Petit à petit, les artisans mettent la clef sous la porte et une famille d'artisans qui s'en va, c'est lourd de répercussion sociale pour un territoire rural", relève celui qui est également maire de Jax, "cette famille ne fait plus tourner l'économie locale, puis retire ses enfants de l'école et quitte le territoire".
Quant à l'apprentissage, les 380 000 entreprises artisanales de France sont aujourd'hui le premier formateur, avec environ 80 % du volume d'apprentis en France. "Si ces entreprises ferment petit à petit, à quoi va servir par exemple le CFA de Bains en Haute-Loire", glisse-t-il ironiquement.
----Enregistrée mais dans les conditions du direct
En réalité l'émission est enregistrée, bien que le débat se déroule dans les conditions du direct. S'il ne peut pas dévoiler le contenu du débat, Thierry Grimaldi assure : "j'ai défendu les intérêts de ma profession et de mon territoire".-----"Le black a toujours existé, et ça continuera, mais ce n'est pas comparable avec les gros chantiers des entreprises du CAC 40"
La dernière chose que l'on peut se demander, c'est de savoir si ce type de reportage permet de faire avancer les choses. "Je l'espère", répond-il, "on connaît tous un artisan, on en a déjà tous employé un, il faut faire évoluer notre conscience collective, avec les problèmes de chômage, de défense du territoire... On ne va pas jeter le bébé avec l'eau du bain". Si l'on veut bien comprendre cette logique de "nos emplettes sont nos emplois", nous lui rétorquons que dans le contexte de crise économique, les gens cherchent souvent le moins cher et que le "black" est légion dans cette profession...
"On ne va pas se cacher, ça a toujours existé, et ça continuera", rétorque-t-il, "mais il s'agit souvent d'argent réinjecté aussitôt dans l'économie locale. Ce n'est pas bien, mais ce n'est tout de même pas comparable avec les gros chantiers des entreprises du CAC 40", reprend-il, avec un ultime exemple en conclusion : l'amende de 25 000 € infligée à Bouygues pour avoir employé 500 travailleurs détachés non déclarés à Flamanville, quand un boulanger de Haute-Loire avait hérité d'une peine de 40 000 € car un membre de sa famille lui donnait ponctuellement un coup de main...
Maxime Pitavy