Il y a ceux, attablés à la terrasse du Palais qui regardent de loin, sans vraiment d'intérêt. Il y a ceux qui passent et ne font que passer, les bras chargés de courses. Il y a ces commerçants qui pestent contre cet attroupement devant leur vitrine, inquiets pour leur chiffre d'affaire. Il y a tous ceux qui ne sont pas là.
Et puis il y a Jules, Mattéo, Arthur, Médina, Denis, Louise et Huguette . Lycéens, collégien, écolière, enseignant, retraitées. Gardiens de la mémoire. Sortis de leur routine pour porter un instant le poids de l'histoire de l'humanité sur leurs épaules, en plus de celui de leur propre vie. Gardiens d'une histoire trop souvent bousculée par toutes sortes de théories négationnistes : celle des génocides du siècle précédent, qui, comme l'a rappelé Michel Chapuis lors de son allocution, doivent s'entendre comme " la destruction totale ou partielle d'un groupe national, ethnique, racial ou religieux". Et la liste est longue.Trop longue : génocide des Herero et des Nama du Sud-Ouest africain, génocide des Arméniens, Shoah, génocide des Tutsi au Rwanda.
Une journée pour se souvenir
Tous ont répondu présents, rue porte Aiguière, en ce 27 janvier, déclarée " journée de la mémoire des génocides et de la prévention des crimes contre l'humanité". Date anniversaire de la libération, par l'Armée rouge, du camp de concentration et d'extermination d'Auschwitz-Birkenau, à l'ouest de Cracovie, en Pologne. Date à laquelle le monde entier découvrait , stupéfait, toute l'horreur de l'extermination planifiée et industrielle des Juifs d'Europe et des Tziganes.
" Pour les internés de Pithiviers, les raflés du Vel'd'Hiv, les résistants parqués à Compiègne " Jules et Mattéo, lycéens
Ils sont donc là, ces quelques anonymes. Pour rendre hommage à toutes les victimes. A ceux qui "s'appelaient Jean-Pierre, Natacha, Samuel, à ceux qui priaient Jésus ou priaient Jéhovah " comme le récite, émue, la petite Médina, dont la tête dépasse à peine, le pupitre mis en place pour l'occasion. Ils sont là pour " les raflés de Varsovie, les déportés de Lodz, de Prague, de Bruxelles, d'Odessa ou de Rome, les internés de Pithiviers, les raflés du Vel'd'Hiv', les résistants parqués à Compiègne, les pris sur le fait, les pris au hasard ou les pris par erreur " comme le déclinent, émus mais dignement, Jules et Mattéo, deux lycéens de Simone Weil. Ils sont là par respect pour ceux qui ont tenté d'arrêter la marche de l'histoire. Justes parmi les nations. Paysans du Plateau ou résistants ponots.
Une journée pour comprendre
" Tant que cette interrogation est présente parmi les jeunes générations, c'est un signe d'espoir " Denis, professeur d'histoire
Ils sont là aussi pour tenter de comprendre. Comment des gens ont pu participer à ces crimes. Comment d'autres en sont devenus complices. Comment certaines personnes ont résisté à ces crimes. Ils sont lycéens, engagés dans une démarche de recherche et de réflexion encadrée par Denis leur professeur qui témoigne : " Tant que cette interrogation est présente parmi les jeunes générations, c'est un signe d'espoir. Les lycéens de Terminale se posent énormément de questions par rapport à cette période. Il faut absolument les aider à comprendre. Nous travaillons actuellement en partenariat avec le Lieu de Mémoire du Chambon autour de l'histoire des Justes du Puy. Les élèves s'inscrivent dans une réelle démarche d'historiens puisqu'ils travaillent essentiellement sur des archives. Ça les passionne".
Une journée pour résister
D'après nos confrères du "Parisien", il y aurait eu 1 676 actes antisémites recensés en 2023 contre 436 en 2022, soit une augmentation de 1000%. L'antisémitisme n'aurait jamais été aussi élevé en France qu'aujourd'hui et aurait tendance à s'immiscer un peu partout. La ville du Puy n'est pas épargnée : il y a deux ans, s'y est tenue l'université d'été du mouvement catholique intégriste Civitas, désormais dans le viseur du gouvernement du fait de sa propagande antisémite et des affiches à la gloire du régime de Vichy sont placardées régulièrement sur certains panneaux d'affichage.
" On fera tout pour éviter le pire " Louise et Huguette
Pas question pour les ponots présents en ce samedi après-midi, de laisser passer ce genre de choses ou de céder à la fatalité. Ils sont là pour éveiller ou réveiller les consciences, soucieux de construire un monde meilleur. C'est le cas de Denis, le professeur d'histoire qui refuse "que l'on banalise ce genre de choses" et de Louise et Huguette, qui malgré leur âge ou peut être du fait de leur expérience justement, nous préviennent, en fin de cérémonie que "si ça continue comme ça, le pire est à nouveau possible " mais poursuivent, motivées et convaincues qu'elles font et feront tout "pour éviter le pire".
Des Justes parmi les passants.